Nous grimpons aux échelles.



J’attends mon tour pour grimper à l’échelle. Tout le monde est comme moi, au pied de son échelle. Des milliers sont dressées, les unes à côté des autres, tous les cinquante mètres. Elles se succèdent à perte de vue.

Des groupes de gens s’approchent ; ils se disputent au bas de l’échelle. Tous veulent monter en même temps. Ils ont fui les villes et les campagnes. C’est une foule serrée, compacte, qui s’attroupe, se bouscule.

Ils ont lu les panneaux sans savoir combien de kilomètres il reste à parcourir.

Pour arriver jusque là, j’ai déjà bien marché et j’ai soif. Il y en a qui soufflent et s’arrêtent un moment au bas de l’échelle. Pour moi, c’est décidé. L’escalade va bientôt commencer.

Les échelles font au moins cent mètres de hauteur jusqu’à la plate-forme. Là, d’autres échelles les rejoignent. J’observe la foule de tous ceux qui montent, degré par degré, jusqu’en haut.

Au sol, la hiérarchie catholique s’est rassemblée pour les encourager. Ils ont endossé le maillot des supporters de Dieu.

La plate-forme est au premier étage d’une tour immense qui rejoint la voûte céleste. On n’en voit pas le sommet. D’autres tours sont disposées dans l’espace qui m’entoure. C’est le grand jour de l’ascension. Dieu est tout là-haut !

Des échelles sont en fer, d’autres sont en bois. Elles sont aussi faites de cordes, de fibres végétales et de matières textiles.

Plus je m’approche, plus je redoute les dangers de l’escalade. Les gens ont le pied hésitant. Ils ont le souffle court. Quand ils franchissent les paliers, ils sont pris de vertige. Ils sont blêmes, ils ont les traits convulsés. Ils ont mal au cœur.

Et puis, çà pue dans le ciel. Des démons volants, ces pollueurs, ont lâché leurs pets dans l’atmosphère. Les grimpeurs tentent de garder la foi en se bouchant le nez. Ils traversent des nuages malodorants. Ils se disent, pour se consoler, que ce n’est pas Dieu qui sent mauvais mais le diable !

Le diable secoue les échelles et souffle sur les grimpeurs. Les pèlerins ébouriffés s’accrochent comme ils peuvent.

Certains chutent et tombent au sol. Les démons les ramassent comme de vieux chiffons. Le diable est aussi chiffonnier. Il sait faire du beau papier.

Des morceaux de verre sont collés sur les barreaux. Ils font saigner les mains et les pieds. Des grimpeurs crient plus fort que le Christ sur la croix.
Les démons se moquent d’eux et leur crient :
Taisez-vous ! Vous n’êtes pas les fils de Dieu ! Il ne vous a pas demandé de gueuler !

Des échelles s’effilochent. Elles s’écartent de leur axe. Elles se couvrent de ronces avec des épines. Elles sont fines et tranchantes comme des lames. Les marches se réduisent. Elles sont trempées de pluie. Des serpents s’enroulent autour des pieds. Ils sifflent quand Dieu se montre là-haut, du haut de son estrade.

Les grimpeurs s’accrochent comme ils peuvent à des tiges de fer, des tuyaux en plastique, des tubes de verre. Leur contact brûle la peau. Les malheureux posent les pieds sur des vrilles métalliques et des câbles coupants. Où s’arrête pour eux le chemin du calvaire ?

Vais je entamer moi aussi ce chemin ?
Il est toujours temps de redescendre.
Je ne suis pas bien haut.

Soudain, le vent se calme, l’air se purifie. Des oiseaux chantent.
Jésus s’est montré pour rassurer les grimpeurs.
Il leur dit qu’il n’était pas sportif.
Il leur confie qu’il a eu chaud, qu’il a eu soif, qu’il a suffoqué comme eux mais qu’au bout de ses efforts, il a réussi à grimper jusqu’au sommet.


Hervé GOSSE

Voilà qui résume notre vie sur Terre,
la condition humaine
et l'espérance.

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