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Expéditeur Conversation
Framboise
Envoyé le :  20/9/2011 15:25
Plume d'argent
Inscrit le: 6/12/2010
De: Le Mesnil Le Roi
Envois: 287
Argentique...
Ce matin, en fermant la porte, elle avait croisé le regard fixe des personnages inanimés qui occupaient l’entrée. Un jour venait où elle allait les changer de place, mais que deviendraient-ils alors ?
Cette galerie, elle l’avait commencé à Auvers. Peut-être était ce là qu’elle avait éprouvé comme une urgence à leur donner des traces de lignage. Alors elle avait collecté des visages, des couples posés posant, au fur et à mesure, jamais sans démesure. Juste ce qui les rendrait comme les autres, puisque de son coté à elle, la très nombreuse famille ne se laissait pas fréquenter, de l‘autre coté, ils avaient oublié.
D’abord, les premières années, dès qu’ils eurent de la place pour s’encombrer, elle avait ainsi suspendu comme des trophées les très aînés, puis les aînés, puis les plus proches, sans distinction. Les très aimés, les mal aimés, les peu aimés, vitrines irrégulières de vie singulières, ou ordinaires.
Les enfants adoraient ce mur devant lequel ils passaient tous les jours. Quand leurs copains venaient, ils déroulaient le peu d‘histoire qu‘ils connaissaient, les arrières, les grands, les près, et eux, présents.
Ils étaient très fiers de la surprise que cette exposition suscitait. Pour eux, elle a longtemps remis à jour les clichés, parce que, parfois ils disaient: « Non, je suis moche, là-dessus, tu pourrais la changer!! » (Ca, c’était surtout Pierre, Charlotte, elle avait juste le plaisir de se regarder vieillir).
Puis elle remplaça moins les images, un peu moins, plus du tout.
Parce que les enfants grandissant, ils s’attardaient moins dans le couloir, déserté comme un hall de gare. Le dernier cadre était un méli mélo du mariage des enfants. Même Antonin était figé là avec sa bouille de bébé, arrêté sur ses trois ans. Six, il y a deux semaines… Elle continuait à bouleverser les figures au salon. Elle en semait dans la nouvelle maison, mais peu, elle n’en ressentait pas le besoin. D’ailleurs à la campagne, il n’y en avait que chez Charlotte.
Elle se posa la question du pourquoi. Elle s’était rassurée, en se disant au début, que c’était pour les enfants.

Se construire là une famille inamovible,
Indélébile,
Une famille au silence volubile.
Se raconter une partie de ce passé
Qu’elle n’avait pas vécu,
Se rattraper aux inconnus,
Qui l’avaient parfois traversée,
Sans s’arrêter,
Sans lui laisser le temps de collecter.
Avec patience, elle avait déniché,
A force de petits secrets, par hasard échappés,
Assemblés pour être tissés,
Des échardes de mémoire,
Des brindilles pour son nid d’espoir.
Juste ce qu’il lui fallait pour mieux voir,
Pour croire,
L’avenir entrevoir,
Vivre le blanc et le noir.

Elle s’avoua en descendant les escaliers, qu’elle ne s’attardait plus non plus, ils étaient devenus des éléments à épousseter, à redresser.
Elle avait rêvé d’une famille à sourires, alors elle avait choisi des images paisibles, avec des photos non truquées, elle leur avait reconstitué une généalogie, un patrimoine.
Parce qu’elle savait si peu de choses de ces gens, ces parents.
Mais sa famille, c‘était la sienne, la leur, celle qu‘ils avaient faite ensemble, leurs petits, les amours de leur petits, les tout petits. Sa famille, c’était celle qui viendrait avec eux, après eux et puis sans eux, c’était cela la seule vérité de l’histoire, alors le reste, quoi en faire? Il est temps de disperser ce qu’il y a sous les verres, de garder les présents pour le futur.
Mais lui demander avant.
Elle est en bas de l’immeuble. La porte grince, elle est dehors.
La moiteur du jour qui s’éveille. Déjà le soleil se lève, mais elle frissonne un peu. Si elle avait su, elle aurait mis un manteau. Oui, mais après, dans le métro…

Elle est descendue à Montparnasse.
Le ciel s’est lavé à l’eau claire. A peine un léger rayon d’air. Le bleu déteint peu à peu les roses de l’aurore, et la lune s’endort, un croissant blanc que le soleil éteint. Elle s’arrête de plus en plus souvent à cette gare. Ici la vie se régule sur le va et vient des escalators, des quidams qui courent prendre leur train, des voix formatées énonçant les quais TGV. Immanquablement, à la sortie, elle retrouve ceux qui s’enchaînent à la fumée de leur première, ou déjà nième, cigarette, quel que soit le temps. Quand il fait mauvais, ils sortent les parapluies. Intoxiqués jusqu’au bout des pieds ! Marcher un peu, faire sa provision d’impressions.
Etaler sur son âme à dessin
Les couleurs du petit matin,
La foule des trains,
L’odeur du pain,
La promenade des petits chiens,
Des riens.

Si il pleut, elle n‘a pas le choix, métro boulot, boulot métro, alors quand le temps reste au sec, elle y rajoute, balade au petit jour, petits détours dans le parcours, même si c‘est court.
Pas tout à fait 8h.
Paris parait serein, même si les meurtrissures de la nuit se voient encore, des papiers gras, des canettes broyées, chaussures oubliées dépareillées, mégots écrasés. La rosée ne ruisselle pas sur les trottoirs et ce ne sont pas des odeurs de la pierre mouillée qui se répandent, alors, vite, avant que le monde du travail en fasse son champ de bataille, nettoyer l’avenue. Les machines se mettent en marche, et évacuent à coup de jets d’eau qui les tuent, les preuves de décadence de cette ville en perdition.
Dans le petit parterre qui fait l’angle, des tulipes et des jonquilles qui s’éveillent. De la terre à peine fertile, encore humide, remontent des parfums sombres, celui de la grisaille et de la poussière, pas celui de sa campagne, de sa Bretagne où l’humus exhale ses odeurs de chêne, de lierre, de bruyère. Hier les jardiniers ont dû passer, la mauvaise herbe a été enlevée, le carré serait presque propret. Les terrasses des cafés se rallongent pour la journée, les tables en zinc s’installent, un coup d’éponge et c’est prêt, les garçons en grand tablier restent sur le seuil à rêvasser. Tout à l‘heure, vers 9h, les chaises s‘offriront aux passants pas pressés qui s’arrêteront fumer, prendre un café, discuter.

Elle remonte le Boulevard Mouchotte. Ils ont refait le plein de Velibs: il y en a bien une vingtaine, rangés là en troupeau.
Des animaux sans vie,
Au pelage lustré gris,
Attendent en appui
Contre la borne dont le bouton vert luit.

Des cavaliers des villes (elle aurait pu dire des chevaliers, mais ceux-là ne combattent pas pour défendre la veuve et l’orphelin) arrivent un par un en descendant du train, sacoche de cuir ou de toile à la main, ou sur le dos. Pour le moment, ils ne sont qu’un ou deux, les premiers, mais ils ont raison, Paris est encore circulable. Souvent ils sont en costume de ville, mocassins cirés, pas vraiment équipés pour rouler. Certains mettent leurs écouteurs avant d’enfourcher leur monture. Tout à l’heure, il y aura les habitués, tenue plus confortable, tennis noués.
Ces vélos rigoureusement identiques lui font penser à ces chevaux, qui attendaient devant les estaminets que leurs maîtres les récupèrent, attachés par une sangle en cuir aux anneaux de fer ou à une rampe en bois. Ici par d’abreuvoirs, pas de bruits, pas de sabots qui claquent sur le pavé, des poneys immobiles, immobiles et stériles. On ne les nourrit pas au foin mais à la carte bleue, curieux. Mais les parisiens les aiment bien, dans son quartier, dès qu’il fait un peu jour, il y en a plein. Elle, elle préfère aller à pieds. Pas assez loin et puis elle ne verrait plus rien, concentrée sur son chemin. Elle n’écouterait pas les à cotés, ses yeux ne pourraient plus croquer, engranger, ramasser.

A cette heure il n’y a guère que les taxis qui font la queue, et les cars de luxe qui déversent leurs cargaisons de touristes, d’hommes d’affaires et de valises sur le parvis du Pullman. De l’autre coté, d’autres bus attendent la fin des petits-déjeuners pour remplir leur panse métallique, hygiénique, méthodique.
Les livreurs déposent leurs palettes et attendent que les épiceries ouvrent. Elles les croisent et entend des accents différents, Moyen orient plus qu’Occident, aire du temps.
Et puis près du café au bout, il y a les clandestins, chinois, polonais, roumains, qui guettent celui qui les prendra pour la journée, sans les déclarer. On les sent inquiets, dès qu’ils aperçoivent la voiture de police, ils se dispersent. Elle continue.
A l’entrée de l’hôtel, les bagagistes en long manteau et en chapeau s’agitent et s’affairent en poussant leurs petits chariots dorés vers l’entrée. Maquillage, affichage, trucage pense t’elle en croisant des américaines un peu trop fanées, trop fardées, fripées et attifées.
Intolérant, le soleil est impardonnable. Il divulgue au grand jour la laideur hostile qui s’accumule sur les vitres basses du grand hôtel. Macules du quotidien de la ville, crasse noire des automobiles, déchets de toute cette méchanceté servile. Est-ce que demain ils auront nettoyé, quand elle repassera? L’hiver, cela se voit moins, sans doute parce qu’il fait froid, elle passe plus vite, et la lumière ne tombe pas sur cette façade, elle se pose un peu plus haut. Les miroirs ne supportent aucune salissure, sinon ils deviennent vite des dépotoirs, voir des crachoirs.
Tiens, déjà 5 clochards, en une centaine de mètres ! C’est de pire en pire…Ils s’abandonnent comme des pétales usés qui viendraient faner sur les territoires arides des trottoirs, silhouettes délaissées de nos civilisations épuisées, décorations de papier crépon qu’on rejette à la première averse, délavées et défaites. Défaites...
Celui-là l’intrigue, il est différent. Il occupe les deux cotés du banc de bois vert. Il consulte un plan de Paris avec une loupe, un plan qui semble neuf, les pliures sont encore intactes. Autour de lui, un agglomérat de sacs brillants noirs, de ces gros sacs à gravats qu’on utilise pour faire le vide chez soi. Sa vie qui se chiffonne et se replie, et puis déborde un parapluie. Une sacoche d’ordinateur qui semple pleine, des chemises en cartons ouvertes d’où s’échappent des papiers, des relevés, sans doute des lettres. On sent l’abandon, la séparation, la liquidation. Tout neuf. Il faudrait l’approcher, oser, mais après…Et puis est ce qu’il accepterait, on le sent encore muré dans sa dignité. Trop tôt. Alors elle repart, le cœur un peu serré. Oublier.
Il faudrait qu’elle organise un dîner.
Tous ces gens qu’ils ont un peu délaissés, négligés. Pas le temps, trop occupés. Des excuses. Reculer, reculer. Rester dissimulés. Ne laisser personne pénétrer. Elle va trouver une date, mai ou juin, plus calme, non juin, mai, Charlotte et Louis viennent avec eux en Bretagne. Se donner du temps et leur accorder des instants avant qu’il ne soit trop tard, qu’ils échouent les uns et les autres, autre part. Elle va envoyer un mail, Corine et Georges, Bertrand et Nadège, ces presque amis qui ne demandent que cela de devenir juste des amis.
De l’histoire en épure
Des histoires de sépulture
Des images d’un monde qui rassure.

Ah oui, les photos, elle avait oublié.
D’ailleurs c’est décidé, à défaut de virer le mur, elle va commencer par ranger, trier. Les albums et la bibliothèque. C’est une petite journée, cela tombe bien. En rentrant, elle commencera.
Faire de la place, ranger les chapitres de philosophie, les pages de roman et les strophes de poésie, décider ce qui reste ici parce que souvent elle relit.
Il pourrait en faire autant, puisque lui, il ne rouvre jamais ses bandes dessinées, du moins pas ici, il gagnerait au moins une étagère, qu’elle pourrait occuper.
Elle n’achète plus de belles éditions, ou alors en promotion, ou une nouveauté qu’elle veut à tout prix, ou un auteur qui n’est publié que sous ces formats. C’est devenu vraiment trop cher, comment veut-on que les plus jeunes lisent ? Sinon, elle prend des poches, des rééditions, parfois un peu d’occasion. Mais elle préfère le neuf, un livre jamais ouvert qu’elle va baptiser, ouvrir et puis fermer à le corner, parfois annoter. Elle a bien essayé le numérique mais elle n’a pas le même plaisir, et pour elle, une histoire doit être reliée, conditionnée, intercaler entre deux tranches de carton. Etre certaine de ne rien perdre, ne rien oublier, ne rien rater. Pouvoir refermer après la dernière page, ouvrir à la première. Que du symbole, rien que du symbole !
De tête, elle a déjà sélectionné presque toute sa première étagère, qui va partir, pour qu’elle puisse à nouveau remplir. Mais elle va les ranger où ? Là-bas aussi c’est un peu plein, elle a bien des projets de nouveaux arrangements, mais il n’est pas très motivé, s’il pouvait juste flemmarder…
Tous ses livres qui dorment sur les étagères de la campagne passant leurs nuits à refroidir. Dans le salon, l’hiver qui souille les tranches de trainées vert de gris, un peu sombre, l’hiver qui jaunit les pages et leur donne une odeur de fond de cave. Humidité des maisons fermées, oubliées quelques mois, délaissées. Et puis les araignées qui se cachent derrière les piles de volumes, profitant du silence des maisons vides pour les gainer de leur toile, emballage éphémère pour songes qui ne sont plus ouverts. Des araignées, il y en partout parce qu’ils sont près des champs. Les seules qui ne la rebutent pas ce sont celles avec de très longues pattes qu’un souffle d’air pourrait faire s’envoler, celles qui déambulent en échassiers et tissent des nappes très aérées, faciles à arracher. Celles là, elles se perdent dans le blanc des murs quand le soleil se fait plus dur. Il y a aussi les petites araignées pressées qui cavalent sur le carrelage lessivé, un peu fâchées, aux couleurs bruns ambrées, qui se battent avec les petits pucerons, proies à leur portée qu’elles piquent pour les anesthésier. Mais celles qu’elles détestent sont trop noires, le corps trop gros et velu, de grandes pattes poilues. Alors quand elle prend un ouvrage, elle fait attention, elles sont tapies bien au fond, leur toile serrée d’un blanc trop collant. Planquées derrière les rondins du bûcher, de celles qui la font hurler ou sursauter. Elles sortent dès que l’on réchauffe les pièces, et viennent tout près du poêle comme pour mieux profiter. Se secouer, chasser ces visions de pattes qui déambulent.
Le ciel s’est gonflé de bleu.
La rue s’énerve un peu, quelques klaxons, des coups de freins. Un dernier regard vers la Tour Eiffel, là, entre les deux rangées de bureaux, et puis la rue Losserand. Allez, elle est presque arrivée.
Elle va démarrer son pc, et puis monter prendre son café sur la terrasse, respirer l’odeur des glycines mauves que les abeilles butinent avec gourmandise.
Tiens la sonnerie. En cours.



A 10h45, le RER est presque vide.
Elle a fini sa journée, toute petite journée. C’est même agaçant de faire tant de trajet pour 2H3o, mais bon, elle ne va pas se plaindre. Il y en a qui se lèvent sans savoir s’ils rentreront à l’heure et à quelle heure.
Tant mieux, puisqu’il y a si peu de monde, elle n’aura pas à s’isoler des rumeurs et des humeurs. Elle va pouvoir sortir son livre. Elle a hâte de retrouver Bayard, elle lit SARTORIS de Faulkner, et sans aucun doute elle va sûrement en acheter d’autres de cet auteur. SI JE T’OUBLIE JERUSALEM, elle l’a découvert par hasard, elle se méfie toujours des auteurs qui ont une trop bonne réputation, parfois on est déçu, c’est un effet de mode, ou de snob. Mais là, ce sont des romans d’une tristesse tranquille, violente et douce, sans espoir, avec espoir. Comme si toutes les vies ne pouvaient éclore que dans le noir, et déchoir en frôlant la rigole du trottoir. Le bruit du train s’accorde si bien à ces bouquins qu’elle ne les ouvre pas chez elle, c’est comme s’ils ne devaient que passer, pas s’arrêter de crainte d’étaler la peine et la douleur sur le plancher. Alors elle va avoir 25mn de trajet pour tourner les pages. Elle se perd dans les plaines des Etats du Sud, dévale à toute allure les routes non carrossées, guette les opossums et les écureuils, écoute la nostalgie des temps d’avant, la tristesse d’un amour qui se nie, et elle entend son arrêt qu’on annonce : St Maisons Lafitte….Maisons Lafitte.
Dans quelques vingt minutes, elle sera chez elle.
Ranger les livres à emporter, sortir les albums et les boites.
Séparer, ordonner, remiser. RANGER.


Elle s’est assise par terre, a pris un album. Tiens ce n’est pas le premier, où est-il ?
Le premier, non le deuxième en fait, est en Bretagne avec celui du mariage de Pierre, parce que sa tante Louise doit passer les voir et qu’elle veut lui raconter toutes ces années qu’elles n’ont pas partagées ensemble. Pourtant elle n’aime pas raconter, c’est privé, et puis elle a l’impression de se piller, de se voler.
Dans celui qu’elle a dans les mains, il n’y a plus le chien, il est mort l’année précédente. Il est là-bas sous le lilas. Il reste encore ici ou là des touffes de son pelage blanc, dans les nids des mésanges, au creux des tamaris. Elle voudrait bien en acheter un autre, plus petit, mais il n’est pas encore tout à fait d’accord. « Allez, juste un tout petit, pas plus de 4kg, qu’on pourra emmener partout, tu sais comme celui des corses, qui marchera avec nous, allez…».
Pas encore, mais ça viendra…
L’album s’ouvre sur un pied de nez, François sur un tout petit vélo d’enfant, dans l’allée, il fait chaud. A coté il y a un petit garçon qui crie : « Tonton m’a pris mon vélo, rends moi mon vélo », et tout le monde rit, et le soleil sourit. François fête ses quarante ans mais il pourrait continuer à chanter : j’ai dix ans.
Quelques pages d’un grand week-end, une année de canicule, le mais qui frémit d’épuisement dans le champ derrière, les chats qui chassent les musaraignes, des rires, de la bonne humeur, du bonheur.
Repartir en arrière.
Il n’y a plus la grand-mère, ses souvenirs sont dans les autres pages, celles qui dorment près de la plage.
L’histoire de la maison, les corvées, les déjeuners, les ratés, les achevés, les enfants petits, les pièces que l’on oublie. Il y a des paysages, des bateaux de passage, des nuages.
Comment résumer 2, 3, 10 années dans des volumes de trente pages assemblées. Pourquoi choisir celle là et laisser l’autre de coté. Dans les albums qui deviennent encombrants, la place n’est pas extensible, et les photos se font moins lisibles.
Fin de présent,
Passants,
Envahissants,
Souvenirs brillants.
Enfant, génération,
Succession, transmission,
Famille, anniversaires,
Soirées d’hiver,
Bougies, oublis.

18ans, vingt ans, trente ans, cinquante ans, Antonin, un an et puis tant de temps. Charlotte, Pierre. Pierre, Charlotte, et puis et puis…
Et puis, les ajoutés, les accueillis, les acceptés, les quittés, les oubliés, les autres, tous les autres.
Peu de nous, lui, moi, moi, lui. Ils n’aiment pas se prendre en photos, ou alors très peu, juste pour laisser une toute petite marque sur l’histoire de la vie. Sur le premier (non décidemment le deuxième, mais le premier les pages se sont collées et les teintes peu à peu se sont étiolées), ils sont en mariés, elle en rose et lui en gris. Entre les deux, le garçon, il a quel âge, déjà ?
Il n’y a là que des photos argentiques, support papier qui s’use et dont la couleur s’étiole au fil des ans, au fil des « Tu te souviens, c’était quand ? ». Couleur du temps et des avants, mémoires qui se gomment lentement.
Et puis, au hasard, quelques pages, où les autres sont là. Est-ce qu’elle les aime, est ce que lui les aiment? Peut-être, Peut-être pas. Pour d’autres, certainement pas. Alors, pourquoi?
Parce qu’elle pense qu’ils font partie de la vie des petits, elle ne s’est pas autorisée à les éloigner. Ce n’est pas eux de décider qui les enfants vont aimer.
Alors il y a là,
A plat,
Des naissances, indifférence,
Des mariages, présence,
Des baptêmes, assistance,
Famille sans attirance.

D’un coup, à feuilleter ses livres d’image, elle ne sent plus d’obligation. Elle continuera d’accepter les instants de leurs autres sans conviction, juste politesse, simulacre de familiale attention. Et ils finiront dans un carton.
Elle défile tant d’années, des automnes, printemps, été. Des févriers, des mars, des mais, des décembres aussi. Mais aucun regret, la certitude d’avoir fait ce qu’il leur fallait.
Elle récupère quelques boites dans le placard, remplies de films négatifs noir et blanc, ou couleur, boîtes de photos emmêlées, d’années éparpillées, découpées, annotées. La mamie qui apparaît dans une poignée de clichés sans intérêt. La mamie et sa « contenance ». Elle avait toujours un mouchoir à la main quand elle sortait, elle détestait les sacs à main, mais elle disait que ce bout de tissu lui donnait « une contenance». Et la grand-mère de St Maur, cassée en deux par une polyarthrite déformante, les mains tellement nouées qu’elle n’avait plus que sa dureté à partager.
Photos précieuses qui se gravaient dans les particules d’argent.
Support altérable pour souvenirs aliénables.
Elle a conservé presque tous les négatifs, parce que les garder, c’est un peu faire que le fragment existe, que l’aujourd’hui subsiste. C’est pouvoir un jour dupliquer, repêcher la journée de bord de mer, la fête des mères, la rivière, les grand-mères. Pourquoi appeler un cliché une épreuve, se disait-elle, c’est plutôt la preuve d’un passé qui s’en est allé, de celui qu’on peut réveiller, si on veut, quand on veut.
Il y a aussi quelques carnets de voyage, qu’elle faisait quand ils visitaient des villes, avant qu’elle ne réécrive et ne redessine. Il y a l’Armada, Vichy, Montluçon, Honfleur, Strasbourg, et d’autres. Et les autres, les plus frais? Sans doute encore dans l’ordinateur. Ce sera pour tout à l’heure. Sous le meuble, elle sait qu’elle a rangé un grand livre des premières années d’Antonin, ordonnées, commentées, décorées. Des photos jusqu’à 4 ans, qu’elle va lui donner. Le début de son aventure…
Ses collages s’arrêtent en 2007, après ils sont passés au numérique. Mais il va falloir qu’elle termine les deux carnets commencés, ne serait ce que pour eux, les héritiers.
Dehors, une nuée de petits papillons. Des papillons ? Plein de papillons ? Elle se lève intriguée et s’approche de la fenêtre ouverte. Evidemment, elle avait rêvé, elle venait de regarder Giverny, les iris, Monet, les nénuphars, les pivoines, les odeurs, les couleurs, elle était revenue au jardin, un jour de juin... C’est magique, comme tous les ans, pour peu elle se ferait lyrique ! Ce sont les cerisiers que la brise défleure, et qui pleurent. Une volée de pétales roses qui s’évade, et revient tapisser la dalle de goudron rouge, les pelouses pellées par l’hiver, auxquelles il manque encore du vert.
Quelques minutes encore et elle retourne à ses boîtes.
Non d’ailleurs, c’est fini. Un thé qu’elle ira prendre au balcon, et puis après, grand plongeon dans les milliers de photos archivées sur le disque dur.

La tasse finit de refroidir sur la table à ses cotés. Sur l’écran, elle fait défiler les fichiers.
Trop de photos numériques, pas assez regardées,
Trop vite oubliées,
Classées par thème, ou par année.
Les tables de fêtes, enrubannées,
Jamais altérées,
Jamais souillées,
Les bouquets de fleurs qui n’ont pas fané,
La mousse des pierres où l’on s’est posé,
Le bruit de l’eau figée,
La vague qui ne s’est pas cassée,
Le sable de la plage qui est resté mouillé,
Toutes ces joies jamais noyées,
Des heures,
Des saveurs
A jamais préservées.

Assez de rappel au passé, reprendre le fil où elle l’a laissé. Coller des images de ce bonheur été, les protéger sous du papier un peu glacé, transparent, blanc ou beige, qu’ils durent plus longtemps. Il faut terminer au moins les deux qui restent. Elle va opter pour celle-ci, celle-là, et puis une autre, encore une, quelques unes.
Il y a quelques milles, entre les siennes et celles que lui il fait aussi.
Parfois ce sont les mêmes, parce qu’à force, ils ont le même regard. Ils prennent tous les deux, sans se concerter, des reflets de villes dans les fenêtres. Impressions parcellaires et troublées. Comme si la profondeur, la vérité se trouvait là, au fond des verres et des miroirs, là où personne ne cherche à la voir. Elle se dit que c’est un peu comme ce qu’il reste d’un parfum, le dernier effluve, celle qui demeure et qui marque, pas forcément celle pour laquelle on le choisit. La trace initiale, celle qui reste, celle qu’on laisse. Parfois au contraire, le même paysage devient tout à fait différent, chacun y cherche ce qu’il veut. Mais à les regarder, toutes d’un coup (Il est déjà cette heure! Il va bientôt rentrer, elle va cesser), elle se dit qu’en fait ils ont eu de si belles années, que leur amour n’est pas de ceux qui ruent, qui tuent, ce n’est pas un de ces amours éperdus. Elle se dit qu’elle ne s’est pas aimée à travers elle, elle s’aime à travers lui, elle se reconnaît dans ses yeux à lui. C’est avec lui qu’elle a grandi. Et lui ? Sans doute un peu aussi, sinon, il y a peut-être longtemps que…Les belles histoires ne sont pas forcément les plus folles. Pourtant il va bien falloir qu’elle se reconnaisse pour elle, un jour.
Elle voit des attitudes qu’elle lui a volé, clic clac, le voilà prisonnier. Il regarde le bout de la mer, il coupe le bois des hivers, il rit avec Antonin, il leur sert un verre de très bon vin «Tu verras, celui-là il est très bien ».
Prendre un peu de tout pour rattraper les 4 années qui manquent. Elle va les faire imprimer. Faire attention, si elle fait « suppr » elle va perdre définitivement les images, pas de négatif ! C’est le défaut du numérique.
Voilà c’est fini, elle a fait le tri.
A la maison, il faudra passer au grenier.

Elle range les albums sur les rayons, referment les cartons de livres qui vont partir, et puis se pose un peu. Elle pense à tous ces gens qui gardent des petits morceaux de vie, aux armoires de grand-mère où il restait toujours des bouts de papier, des communiants en aube, des rubans passés, des linges dont les plis étaient usés, le voile de mariée. Les boîtes qu’on sort après le déjeuner : « Tu vois, celui-là c’était… », et puis le muguet, « Là, je ne sais plus », la décoration de la pièce montée, le ticket du théâtre. Elle n’a pas de ces boites qui se remplissent de bouts de chiffons encore chargés d’odeurs et d’humeurs, doudous des enfants qu’on aurait gardé pour se rappeler, mèches de cheveux quand ils étaient petits, premières dents, premiers cahiers. Non ! Cà, elle n’avait jamais fait, en tout cas pas pour elle. Si elle a conservé des feuilles de papier, des dessins ratés, des cheveux éparpillés, l’empreinte des petits pieds, c’est pour leur redonner plus tard tous ces souvenirs de leur enfance, avant qu’ils ne partent faire leur vie à eux.
Le grenier de la campagne se remplit de choses à donner, de « Au cas où », à transmettre pour qu’elles soient réutilisées, pas à garder pleines de poussière ou précieusement enveloppées. Elle garde ce qui pourrait servir. Les armoires de famille, les verres qui brillent, les en doubles et les en triples qu’elle n’a pas pu jeter. II y a une chose qu’elle n’a pas donné, et qui est resté quand leur fille est partie, c’est sa robe de baptême, mais c’est parce que pour l’instant, elle n’en a pas voulu, il n’y a pas de petite fille. D’ailleurs, pourquoi elle la garde, quand cela arrivera, elle sera démodée. Elle n’a aucun de ces cartons qui sentent le dépassé, l’encre vieillie, les fleurs décolorées, les souvenirs qui s’apprivoisent, et qu’on transforme au fil du temps, de temps en temps. De toute façon elle n’est pas sûre d’aimer tant que cela l’odeur du vieux…
Elle retire les disques durs et se lève.
Le soleil commence à pâlir et le ciel devient bleu cireux, le vent est toujours là, léger, et les enfants continuent de jouer, demain il n’y a pas d’école.
Elle entend la clé dans la serrure, il est rentré.
Il la cherche, comme si l’appartement était si grand ! Mais c’est amusant. De toute façon, ils se cherchent toujours quand l’un rentre avant l’autre. Une habitude, un besoin ? Elle se dit que 27 ans se sont écoulés et qu’elle vient de les dérouler, de les réhabiliter, de les défroisser. Elle se dit qu’il est temps de les refermer, parce qu’il en reste sans doute encore autant à consommer.







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Françoise Pédel Picard

Honore
Envoyé le :  20/9/2011 16:49
Modérateur
Inscrit le: 16/10/2006
De: Perpignan
Envois: 39530
Re: Argentique...
C'est avec plaisir que j'ai feuilleté ton livre d'images et je te remercie de nous faire ainsi pénétrer ton intimité.
HONORE
candide
Envoyé le :  24/9/2011 0:26
Mascotte d'Oasis
Inscrit le: 20/10/2007
De: Maroc
Envois: 9760
Re: Argentique...
Bel écrit!


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MB CANDIDE

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