LE MIEN, C'EST QUE JE T'AIME...
LE MIEN, C’EST QUE JE T’AIME…
Nous sommes là , face à face, nous observant étrangement : nos silences, eux-mêmes, semblent s’opposer. Je sais ce que je sais : ce que tu m’as confié. Et tu sais que je sais, pas tout évidemment : comment tu te débrouilles au fond avec cette souffrance qui étiole ton âme en ses recoins les plus secrets. Et que sais-je vraiment qui ne soit une possible résonance de tes maux avec ce j’ai appris des miens ? Y aurait-il plus…ou moins d’intensité dans ce que tu endures. Et cette autre souffrance qui vient s’y ajouter de n’être jamais assuré qu’elle puisse être vraiment partagée.
Et pourtant, tu es mon enfant : un peu de ma chair et de mon sang, de mes gênes aussi, mais un peu seulement, sûrement différent dans ton être et ton fonctionnement : ta spécificité à penser, ressentir, jouir et souffrir. Ta femme t’a quitté, renié, jeté comme un kleenex, et pire défiguré. Tu étais devenu grand, un père- « bonne fête »- et te voilà souffrant tel un enfant trop grand qui peine à retenir ses larmes.
Nous sommes là , face à face, à vouloir pénétrer ce miroir qui couvre tes enfers; les mots y perdent leur substance, les miens surtout qui ne savent plus consoler, ne savent plus mentir sur la réalité d’un monde et de sa cruauté : « on se sépare comme on change de chemise », mais on se dénude aussi, se vautre dans la luxure, le déshonneur dénoue les fiançailles. Et le vainqueur s’en va sans même un regard. Aurais-je du t’apprendre toutes ces occurrences : étouffer dans l’œuf tes espoirs ?
Nous sommes là , face à face, nous observant étrangement, attendant tant de l’autre, des silences eux-mêmes dans leur connivence. Je sais ce que je sais, j’entrevois le secret sans jamais le percer : je suis démuni devant ta douleur. Et puis, je sais l’importance de l’intimité et ces chemins incontournables qu’il te faut emprunter pour surseoir à l’insoutenable blessure de n’être plus qu’une part infime dans le quotidien de tes propres enfants : plus de baisers du soir, d’histoires à raconter, de bobos à apaiser, de sourires complices, plus de miroirs ni de regards remplis de douceur, de tendresse et d’affection. Comment leur dire qu’on les aimera toujours : ne contemplent-ils pas un amour brisé.
Bonne fête des Pères.
Nous sommes là , face à face, silencieux…après que nous nous soyons tout dit …il reste encore quelques secrets…
Le mien, c’est que je t’aime …
Pierre WATTEBLED – le 17 juin 2011
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