-Tu m’écoutes ? – me demanda-t-elle
-Désolée, je pensais à autre chose…
Nous étions assises sur une table de notre salle de classe. Cette longue pièce était remplie par toutes les personnes de la classe : les uns dessinant sur le tableau et les autres écoutants de la musique.
Elle me parlait, mais je ne sais plus ce qu’elle disait, à vrai dire je n’y accordais pas grande importance car elle était là et rien d’autre ne comptais. Je plongeais mes pupilles dans son regard que j’aime tant. Je m’y perdis, comme souvent.
Nous attendions notre cour suivant, en cette fin d’année. Je me souviens surtout d’Irène, une fille de la classe, qui voulut faire une photo de groupe, histoire d’avoir un souvenir nous avait-elle dit. Je lui ai dit que je ne voulais pas être présente sur la photographie. Comme elle insistait, je me suis énervée.
-Je n’ai pas envie ! Qu’est-ce que cela peut vous faire que je sois dessus de toute façon ?! Hein ?!
-C’est quoi ton problème ?! -Avait lancé quelqu’un parmi la masse d’élève qui s’était regroupée autour de nous. –
Je les comprends, cela devait être assez surprenant que, moi qui avais été invisible toute l’année, je me mette à crier. Ils avaient tous arrêté leurs occupations.
-Mon problème ? –repris-je de plus belle, je n’avais pas l’intention d’en rester là !- En quoi cela vous regarde-t-il ? –j’étais vraiment sur les nerfs à ce moment là .- Vous n’en avez rien à faire de toute façon ! Vous jugez les gens sans même savoir ce qu’ils ont à l’intérieur !
Tout ce qui compte est à l’extérieur, n’est-ce pas ? –Dis-je ironiquement- Pff !! Vous vous trompez.
Si j’aime bien écrire, lire,… si je suis différente, si je me pose des millions de questions,…, je ne suis pas normale pour vous ??-rétorquais-je- Parce qu’il y a des normes ??! –cette fois je commençais vraiment à crier très fort.- Si jamais j’aime bien la solitude ? Si je n’ai pas envie qu’on me connaisse pour me juger ? C’est mal ??
A ce moment là , je crois que j’ai commencé à être hystérique. Je sentais des larmes couler le long de mes joues et s’écraser dans mon cou.
-Je sais très bien ce que vous pensez tous : Que je suis muette, invisible, timide, trouillarde, lâche,…, que je ne m’ouvre pas aux autres. Mais si je n’en ai pas envie ? Je suis quand même obligée de le faire et de devoir jouer encore la comédie ?! J’estime que je la joue suffisamment pour devoir la réaliser encore parmi une classe entière… -leur beuglais-je-
Je continuais à déverser un flot de paroles qui perdaient leur sens dès que je les avais prononcées, sous le regard ébahi de tout le monde. Je me défoulais en criant toujours plus. De mes yeux un torrent s’était ouvert, je ne me contrôlais plus…
-ALLEZ TOUS VOUS FAIRE ****** -leur hurlais-je avant de finir plus bas- Je veux partir très loin, je veux mourir…
Laissant tout le monde bouche-bée, sauf elle, j’ouvris la porte à la volée. Je m’élançais dans le long couloir du bâtiment G, du plus vite que je pouvais. Elle me suivit. Elle m’appela. Mais je ne voulais pas m’arrêter. Je ne voulais pas qu’elle soit à mes trousses. Je voulais la paix !
Je continuais à courir toujours plus vite. Normalement elle va plus vite que moi et je m’étonnais qu’elle ne m’ait pas encore rattrapé.
J’entendais les murmures des autres classes mais je n’avais cure de tous ces gens qui me regardaient bizarrement, je me fichais de ce qu’ils disaient sur moi. Rien n’avait grande importance. Les yeux toujours dégoulinant du mascara bleu que je me mettais le matin, je m’essuyais le visage d’un geste rapide. Au bout du couloir, je débouchais sur la cage d’escalier. Dévalant les marches du plus vite que je pouvais, j’avais l’impression de me trouver au beau milieu d’un film d’action avec un tueur à mes trousses. Sauf que ce tueur n’aurait pas d’armes et ne voudrait que mon bien. Cela fait toute la différence.
En arrivant en bas, je tombais sur la petite entrée de notre bâtiment. Je me débattis avec la porte, qui mène à la cour, de longues secondes. J’étais trop énervée pour réussir à l’ouvrir du premier coup et ne fut pas assez rapide car elle me rattrapa. Mon poignet était tenu prisonnier de ses deux mains, étonnamment douces, mais je me débattis : je ne voulais pas qu’elle tente de me raisonner, elle devait me laisser !
C’est avec un cri hystérique que je sortis dans la cour. Mais ma « sauveuse » n’abandonna pas. Elle m’intercepta de nouveau. C’est alors que je compris que je ne pourrais plus lui résister. Je me suis laissée aller dans ses bras. Posant ma tête contre sa douce épaule, je continuais à pleurer. Je sentais de grosses gouttes couler le long de sa veste en cuir noire.
-Hermine ? Calme-toi … je suis là … -me rassurait-elle-
Enfouissant mon visage dans le creux de son cou, je laissais son odeur enivrante m’emprisonner.
Ses bras serrant ma poitrine, plus rien n’avait d’importance. Ni mes larmes, ni les gens de la classe qui nous espionnaient par la petite fenêtre, ni le temps qui passe…
Elle Ă©clipse tout.
Seulement je savais bien qu’un jour je devrais m’en séparer. Cela ne m’empêchait pas de croire que rien d’autre ne comptait que notre belle amitié. De croire que tout cela était vrai !
Ces quelques secondes je voudrais ne jamais les oublier, à jamais les mémoriser !
Elle resserrait encore plus son étreinte (belle étreinte tellement belle) quand tout perdit son importance. Mes pieds vacillèrent, je ne savais plus ce qui était vrai ou irréel. J’ouvris mes lourdes paupières et je me rendis compte que j’avais encore rêvé ! Sur mon oreiller encore trempé de ce rêve, je me remis à pleurer …
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"si tu ne vois plus le sens de ta vie, je viendrais, je suis ton amie."
"Fais comme le caméléon en marche: regarde en avant, et en même temps, observe ceux est derrière." Stéphanie Ledoux