Margot est lĂ ,gisante de tout son corps sur le bout de trottoir
qu’elle a gagné. Personne ne contestera son territoire !
Les cartons qu’elle a minutieusement assemblés forment
un genre de toit.
Il y a longtemps qu’elle a décroché !
De la précarité à la rue il n’y avait qu’un pas. Oui, la société
lui a fait franchir ce pas !
Sa vie n’a pas toujours été dans la rue. Elle a eu une vie
comme tout le monde !
Elle vivait dans un HLM avec Bébèrt et ses trois p’tits ;
Dylan, Morganne et Joan.
Le monde du travail, elle l’a connu ; les pauses, les grèves,
les cadences infernales. C’était le bon vieux temps !
Puis, un jour sans qu’elle s’en rende compte,
tout s’est écroulé.
Elle a perdu son emploi, le patron a délocalisé l’usine
de pralines. Bébèrt, était sans emploi, il s’en est allé,
d’ailleurs il valait mieux. Il ne servait plus à rien...
Maintenant elle survit, sans ses p’tis, qu’on a eu
l’obligeance de placer en famille d’accueil.
Alors Margot a sombré dans l’alcool et dans les vapeurs
de la rue depuis cinq ans.
Elle s’est saignée aux quatre veines pendant quinze ans
pour gâter ses enfants, maintenant elle n’est plus
bonne Ă rien !
Aujourd’hui, c’est l’anniversaire de Margot !
Elle a quarante ans, la rue ne lui fera pas de cadeau.
Elle est là , elle n’est plus qu’un tas de chiffons,
de crasses, de détritus.
Un jeune homme s’approche, immobile, le regard figé,
ses membres paraissent paralysés.
Il est vêtu d’un beau costume, c’est sans doute un
ingénieur ou un médecin.
De mon magasin, je vois la scène, j’attends…
Margot n’a jamais eu de visite . Alors ?
Je sors pour parler au jeune homme. Je fais un pas
puis je m’arrête brusquement.
Le jeune homme parle à Margot, je suis à quelques mètres d’eux.
J’entends la conversation.
-Madame, s’il vous plaît.
-Faut m’laisser tranquille. Sauf, si t’as cent balles.
-Je voudrais m’entretenir avec vous dans un lieu plus propice.
-Milord, faut pas me parler compliqué, je piges pas !
Le jeune homme lui tend la main. Margot n’en revient pas,
il y a quelqu’un qui s’intéresse à elle !
-Alors, mon mignon !Je ne te dégoûte pas ?
-Oh ! Non, madame.
-Petiot, ici on m’appelle Margot.
-Oui, Madame Margot, venez avec moi, il y a un beau café
au coin de la rue, je vous offre Ă boire.
-Non, mon p’tit. Dis ce que tu as à me dire ici.
Je te dis déjà que je ne veux pas des services sociaux.
-Maman, c’est moi Dylan. Bon anniversaire maman !
-Margot n’en croit pas ses oreilles, t’es qui mon p’tit ? dit-elle.
-Je suis ton fils…
Margot tremble de tous ses membres, elle bégaye, elle cherche
le pinard de la soirée d’hier, elle prend un longue gorgée.
-Faut pas se moquer de moi p’tit.
-Maman, allez viens je suis venu te chercher, ta place
n’est pas ici !
Tu sais, maintenant je travaille et je vais m’occuper de toi.
Le jeune homme, droit comme un « i » s’assied au près d’elle.
Margot, le reconnait, c’est alors une profusion de sentiments
indescriptibles. Elle n’ose le toucher, elle a les mains sales,
lui est si propre. Elle caresse sa figure du bout des doigts.
-C’est toi mon p’tit ?
-Oui, maman. Je viens te rechercher, ta place est parmi nous.
Oh !Mon p’tit, qu’est-ce que tu m’as manqué ! Tu es si beau,
je crois que j’ai trop bu, c’est un rêve.
Je voudrais qu’il ne s’arrête jamais.
-Tu ne rêve pas ! Je suis Dylan, j’ai fait des études et je travaille,
maintenant je vais m’occuper de toi.
-Oh !Mon tout petit, tu viens sauver ta maman ?
Tu sais maintenant, je ne sers plus Ă rien !Je ne veux
pas te salir…
Dylan, prend sa maman dans les bras et la serre si fort que
les passants s’arrêtent pour les regarder.
Margot hurle sa joie.
-Oui, vous tous ! Voyez comme mon fils est beau !
Il est venu chercher sa maman.
Moi, la gravosse ! Oui, c’est un beau cadeau mon chéri !
Elle ose le toucher, le caresser, l’embrasser.
Mon chéri, pourquoi t’es pas venu plus tôt ?
-Ma famille d’accueil m’a dit que tu étais morte.
J’ai fait des recherches et un jour quelqu’un m’a dit qu’une
SDF lui avait parlé de ses enfants et de son histoire.
J’ai su que c’était toi, je n’ai jamais cru que tu étais morte.
Mon Dieu ,j’ai été tellement malheureuse .
Mon Dieu, que tu es beau ! Et que fais-tu comme boulot ?
Je suis comptable dans une grande société. Je suis marié,
et tu es grand-mère.
-Oh !mon Dieu, c’en est de trop ! Comment s’appelle mon
tout p’tit ?
-C’est une fille…elle s’appelle Margot.
-Oui, j’ai souffert ! Mais que de bonheur en si peu de temps !
-Tiens voici sa photo.
Margot regarde la photo du bébé, les yeux remplis de larmes,
puis elle la serre fort contre son cœur.
-Allons-y maman, ta famille t’attend chez moi.
Le jeune homme la prend sous son bras avec des gestes délicats,
des années de rue ont fragilisés Margot.
Il se dirige vers une grosse berline.
Je n’ai plus jamais revu Margot.