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     La dame (Les amitiés particulières)
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Expéditeur Conversation
njb880
Envoyé le :  5/5/2010 19:36
Plume de soie
Inscrit le: 28/12/2009
De:
Envois: 102
La dame (Les amitiés particulières)
La dame

Ses perles étaient mortes depuis quelques années déjà. Le parfum, sans doute. Un calepin à spirales, posé devant elle, côtoie une tasse de café et un cendrier plein. Elle s'assoit ici chaque jour. Elle boit plusieurs cafés, griffonne parfois sur le papier écorné et regarde constamment par la fenêtre du bistrot. Pierre l'appelle « La dame ». S'il l'avait remarqué depuis quelques temps, elle, elle ne l'avait pas vu.

Elle a du le trainer un peu partout ce collier de perle. Ce doit être un homme qui le lui a offert. A Venise, peut-être. Ce cadeau était-il suivi d'une demande en mariage? Si ce fût le cas, elle a dû refuser. La dame semble trop libre pour attacher sa solitude à une autre.

Pierre n'avait pas cours ce matin-là. Parfois, il allait dans ce petit café de la place de la résistance pour lire. Estelle était chez Nicolas et la solitude lui pesait un peu plus que d'habitude. Rien de tel pour contrer l'ennui que de se plonger dans un bon livre. Surtout dans un livre que l'on aime et qu'on lit et relit sans cesse. Mais chaque fois qu'il y va, il trouve, à une table de l'entrée du bistrot, cette dame étrange.

Elle porte une lourde paire de lunette en écaille et son visage semble marquer par le temps. Enfin, juste assez pour rester belle. Pierre ne saurait lui donner d'âge mais il n'a pas envie de s'encombrer avec ça de toute façon. L'âge n'a que peu d'importance tant que la lucidité est là.

Elle commande à nouveau un café mais avec un verre d'eau cette fois-ci. Sa voix est rauque. Une voix qui a vécu, comme le collier, le visage, les mains. Comme tout ce qui lui appartient : le papier, le stylo... En remerciant le jeune serveur, elle écrit sur le calepin quelques mots. Pas une phrase. Des mots. Est-elle écrivain? De sa place, il aimerait pouvoir lire au-dessus de son épaule les premiers mots d'une histoire et d'une histoire d'amour, pourquoi pas.

Il la regarde de loin. On pourrait le prendre pour un fou car il scrute sans arrêts La dame. Quelques tables les séparent. Quelques tables mais aussi quelques années et beaucoup d'expérience. Pierre s'est toujours imaginé que les gens qu'il observe sentent le poids de son regard. Elle ne s'est jamais retourné sur lui. Enfin, pour l'instant.

A sa table, par moment, il se replonge dans la lecture d'un Duras. Aujourd'hui Yann Andréa Steiner subit encore et toujours les foudres de l'auteure. Tout comme la dame, Pierre boit du café et fume. Cela leur fait au moins un point commun. Mais lui, il n'écrit pas, il lit seulement. C'est un peu la même chose, sauf que l'on prend moins de risque en lisant.

Il est 11h30 dans le petit café de la place de la résistance. Elle ne s'est pas encore décidé à partir. Oui, quitter sa table, prendre le calepin, le stylo et sortir de cette réalité. Elle n'écrit pas vraiment, Pierre en est sûr. Elle doit tenter de retenir l'ambiance pour la retranscrire une fois rentrer dans son grand appartement. Il ne sait pas pourquoi mais il imagine facilement qu'elle vit dans un immense appartement. Même pas une maison. Non, juste un appartement.

Son prochain roman parlera-t-il de ce café? De ses clients? Du patron? Du jeune homme qui la regarde boire son café du fond du bistrot ? Peut-être. Il se demande bien quelle vie elle lui réserve. Certainement quelque chose de grand; les auteurs offrent toujours à leurs personnages une vie sans précédent. Pourtant, la vie des « vrais » gens est souvent banale à pleurer.

Un jour, Estelle a dit à Pierre qu'il jouait sans cesse un personnage. Avec elle, avec sa famille, avec les Autres et ses Amis aussi. Il avait aisément été choqué de cet excès de sincérité. Si quelque chose lui tenait à cœur, c'était bien l'honnêteté. Il s'était juré de rester honnête avec ce qu'il était et ce qu'il pensait. Mais finalement, il avait réfléchi à cette conversation et fini par admettre que son amie avait peut-être raison. Entre ce qu'il était avec elle ou les Autres et sa famille, il y avait un monde. Ce monde, il le voyait comme la pénombre, entre ombre et lumière. Entre silence et hurlement. Mais pourquoi, avait-elle dit-cela? Elle avait avancé le saut de la jalousie pour camoufler cette pensée. Elle avait peur. Elle avait peur que Pierre ne trouve quelqu'un comme elle qui lui apporte plus qu'elle ne pouvait lui apporter. Sans doute, était-ce la vérité. Pierre n'en savait rien et se fichait de savoir quelle angoisse la poussait à le penser à la limite la schizophrénie. En fait, Pierre n'était que ce qu'on attendait de lui : un ami fidèle, un bon garçon, le rigolo ou parfois le pédé de service. Sauf qu'il ne pouvait pas être tout à la fois ou seulement en de rares occasions. En fait, sa vie entière était le sujet d'un bon roman sur la complexité de la vie et de la relation aux autres. C'était prétentieux de sa part mais c'est ce qu'il pensait.

« -Tu es différent parfois ? lui lacha-t-elle.
- Ah bon ?
- Oui, je le vois bien. Quand on est pas que tout les deux, tu es différent...
- Avec qui ?
- Tout le monde. Ta mère, les Autres, tes Amis...
- Je suis schizo, donc ? Questionna-t-il.
- Non, tu t'adaptes et je peux comprendre. Tu es si différent que je me dis parfois que c'est parce que tu t'amuses plus avec eux, les Autres ou tes Amis, qu'avec moi.
- Parfois oui et parfois non... »

Silence

« - Je crois qu'entre ce que je vis chez moi et ce que je vis avec les Autres, j'ai besoin d'un peu d'oxygène, d'un endroit sans extrême où ce que je suis n'est pas exacerbé ou nié... » dit-il, finalement.

Duras et Steiner l'appellent, encore et toujours. Il veut le finir avant de quitter le café. Il aime Marguerite Duras. L'amant, bien sûr. Mais tout le reste, aussi. Tout ce qui est moins connu, surtout. Emily L. est un délice, il aurait voulu être Emily. Juste quelques instants. Une personne sur le port de Deauville, un après-midi de printemps. Finalement, il ne sait pas trop si Marguerite Duras, comme la dame, quittait son appartement pour écrire. Elle ne pouvait certainement pas traîner derrière elle sa machine à écrire d'avant guerre. Ces tout derniers mots, elle les a écrit dessus. C'est un trésor cette machine.

Merde ! Elle est partie. La dame est partie, laissant Pierre seul dans le café avec son tenancier. Sur sa table, il ne reste que le cendrier, un paquet de cigarette écrasé et quelques pièces de monnaie. Il range son livre dans sa besace et va régler ses consommations au bar. Il en profite : 

« - Qui est cette dame qui vient tous les jours?
- Je n'en sais rien, répond le patron.
- Vous en êtes sur?
- Oui, oui. Elle vient ici depuis longtemps. Elle ne dit jamais rien. Elle prend deux cafés, fume plusieurs cigarettes et regarde par la fenêtre constamment.
- C'est étrange...
- Oui et ici on l'appelle la dame du matin. »

Il achète un paquet de cigarette au monsieur en le remerciant de l'information et rentre dans le deux pièces désert de la rue d'Argenton. Pas d'appel, pas de signe de vie depuis 3 jours maintenant. Mais nous sommes Jeudi aujourd'hui et comme tout les jeudi, Estelle et Pierre doivent se retrouver pour une soirée chez Arnaud. C'était leur dernière soirée à Limoges.

Il s'était promis de se faire un cadeau de rupture. Ils riaient de l'absurdité de cette rupture, même si , au fond, la séparation allait ressembler à une rupture amoureuse. Pierre avait acheté un jolie montre pour Estelle. Elle n'avait rien acheté, comme toujours.

L'année allait se terminer et ils devaient rendre l'appartement dans quelques jours. Bientôt, finie la cohabitation, parfois difficile, le petit café de la place de la résistance et les romans de la dame du matin.
Honore
Envoyé le :  8/5/2010 9:27
Modérateur
Inscrit le: 16/10/2006
De: Perpignan
Envois: 39531
Re: La dame (Les amitiés particulières)
J'ai apprécié cette mystérieuse dame qui te permet d'évacuer ton angoisse;
HONORE
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