Kakar m’attrape par le col de ma veste et me colle
le dos sur le tableau de commande.
Jo et le portugais nous séparent.
-Je te laisse deux minutes, pas plus !
Kakar enjambe les arbres d’allonge qui ne tournent pas.
Son intervention est plus longue que prévue.
Il a rempli au trois quart le godet d’huile.
A peine le temps écoulé, je redémarre la machine.
Kakar est immobile, les jambes écartées, l’arbre de
transmission entre ses jambes tournant à pleine
vitesse.
Il crie si fort que je l’entends. On dirait un cochon qu’on va
égorger.
C’est alors que le Portugais appuie sur le stop d’urgence.
Kakar s’extirpe de derrière et vient furieusement vers moi,
brandissant sa mahotte (Marteau).
Pourtant, Kakar sait que je n’avais pas le choix !
-Y’a pas que le fric Lucien ! T’es qu’un pauvre con !
La sirène de neuf heures retentit. A la seconde près,
ma passe est finie.
Nous prenons nos sacs et nous courrons tels des
affamés vers le réfectoire.
Chaque seconde perdue en chemin est une seconde
donnée au patron.
Depuis des lustres nous avons notre table.
Il y a mon équipe et Juju l’électricien.
La belote de magna (du repas) est sacrée. Nous avons
vingt minutes pour manger.
Nous mangeons d’une main et de l’autre nous abattons
les cartes.
C’est le seul moment de répit que nous avons.
Après magna nous avons droit à la visite inopinée de
l’ingénieur de production.
Sur ma machine, je suis seul maître à bord. Je ne supporte
pas les questions, et surtout que l’on me ralentisse.
-Bonjour monsieur Dufour, ça va ?
-Ouais, tourne pas assez vite !
-Ah ! Vous pouvez préciser votre inquiétude ?
-Rentrez votre cravate, ici, fait pas bon pour les cravates!
Si la machine vous emporte c’est avec la bobine
qu’on vous enterrera...