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Expéditeur Conversation
Gryphon
Envoyé le :  24/2/2010 18:55
Plume de satin
Inscrit le: 17/1/2010
De: México DF
Envois: 44
La déviation
C’est fini, dit-elle. La phrase somme toute est scandaleuse. Et tellement inattendue, que l’effet de surprise conséquent laisserait bouche bée tout badaud et moi a fortiori, puisque directement concerné, moi. Mon attitude guère prévoyante semble l’embarrasser, maintenant, elle. Si j’avais été plus clairvoyant, lucide, maître de mes cinq sens plus un sixième hypothétique, oui, alors seulement, si j’avais été plus, j’aurais pu avoir la délicatesse de lui éviter cet embarras, qui du coup m’embarrasse à mon tour, même si, réalisè-je soudain, que finitude ou pas, nous sommes encore capables, elle et moi, de partager un sentiment commun, appelons cela une bonne nouvelle, toute catastrophe en regorge.

Oui, après coup, dans sa chambre – elle a bien voulu m’en permettre l’intrusion ultime – dans sa chambre, qui pour qui sait regarder, ne correspond que très superficiellement à ce qu’on a coutume d’appeler « chambre d’étudiante en lettres » (comme il doit en exister des milliers sur Paris), oui, après coup oui, les signes pullulent, forment un réseau reserré dont le message se laisse résumer en quelques mots, en substance « casse-toi ! ». J’en veux pour preuve l’élément central dudit réseau, le boîtier de CD ouvert qui contient le concerto pour clavecin de Bach. Nul besoin de se muer en détective sherlockien pour déduire qu’elle a dû écouter ce concerto juste avant mon arrivée, alors que je frappais en amoureux transi à sa porte et que j’affichais ce grand sourire des grandes occasions, ce même sourire qui maintenant mutatis mutandis me paraît d’une débilité confondante et finie. Car ce même concerto qui aurait dû lui inspirer de tendres sentiments tendres à mon égard est resté sans effet aucun, et c’est d’ailleurs là que je me rends compte du dramatique irréversible de la situation. Car je lui avais dit, répété, je lui avais mar-te-lé que ce concert c’était elle, qu’il y avait dedans sa grâce, son élégance, son audace et son désir de fuite. Je l’avais bombardée de métaphores, d’anaphores, d’anacoluthes, d’anachronismes si bien qu’elle en avait été toute recouverte et que du tas de mots ne dépassait que sa main m’invitant à n’en plus jeter. D’accord, j’en ai trop fait mais je maintiens que ce concerto, c’est elle, point, suffit de l’écouter, suffit de la voir, elle. D’accord, j’essaie de comprendre. Dans son regard l’indifférence est teinté d’un mirage de regret et même, mais ceci demande un grand effort de perspicacité, de quelques flocons de tristesse translucide. C’est fini, oui, trois petites syllabes, fini est-ce, dis-je, non : dis-tu, mais ça revient au même.

Je digresse, je digresse. « Vois-tu, ai-je failli dire, tes trois syllabes finales me permettent une de ces envolées, d’une profondeur conceptuelle dont je n’eus été capable dans aucun séminaire, si académique fût-il. Les mots véhiculent les idées qui véhiculent les mots qui et voilà quoi. » (Heureusement que je n’ai rien dit !). « Qui plus est, ai-je failli renchérir, je concède volontiers qu’il est plus ardu de distiller trois mots porteurs de sens d’un exposé qu’infuser un mot dans un exposé sensé. » (N’importe quoi ! Ridicule !)

Non, pas tout à fait. Puisque nous revoilà, c’était inévitable et même moi, j’aurais pu le prévoir, à l’évènement fondateur : son exposé.

Je me souviendrai toujours de leurs visages. L’amphi vaguement délabré, la lucarne d’où parvenait un bout de grisaille, les mines apathiques de petits camarades étudiants. Et elle, devant tout le monde, qui récitait d’une voix étrangement monocorde son exposé, c’est à peine si sa voix couvrait le griffonnage des stylos. Et moi au milieu de tout ça, peu intéressé par ce thème imposé, un opuscule d’un auteur mineur dix-neuvième, mais fasciné par ce qu’elle allait en faire. Je la regardai, elle me regarda et dans ces yeux je vis soudain cette déviation qui se préparait. « En effet, annonça-t-elle, la confession de la protagoniste, dans ce contexte, apparaît ici comme un tour de force des plus aléatoires, je cite, ‘Oui, je t’aime, s’écria-t-elle, je te l’avoue ici en présence de tous !’, fin de la citation. » Le griffonnage cessa d’un coup. Puis certains petits camarades firent semblant de situer la citation, feuilletèrent leur exemplaire d’opuscule d’auteur mineur dix-neuvième, hochèrent la tête d’une mine entendue, tandis qu’elle soulignait la banalité de la phrase citée et qu’on avait bigrement raison de traiter l’auteur mineur de mineur. « Très juste », dit quelqu’un.

Le griffonnage reprit. Moi, je n’en revenais pas. Trop clair, trop évident. On va s’en rendre compte ; le prof va sortir de sa torpeur auto-infligée et demander des précisions sur cette citation éclipsée de sa mémoire, l’âge aidant ou plutôt n’aidant pas. Un petit camarade cireur de godasses enculeur de mouches exigera l’emplacement exact de la phrase dans son édition d’occase et reliée par ses propres soins. Je restai paralysé, statufié sur mon banc. Mais non, rien ne vint, aucune question, pas un soupçon de soupçon. Après tout, si elle cite, elle cite, qui sommes-nous pour la contredire ? qui sommes-nous pour contester une citation alors que nous n’avons pas lu le texte et que, sauf votre respect, nous avons mieux à faire que de perdre notre temps avec des opuscules d’auteurs mineurs dix-neuvième et au delà et en deçà ? Ah, quel coup, quelle explosion dans la cathédrale ! Et moi qui lui avais dit, deux soirs auparavant : « Tu sais, ce qui manque à ce texte, c’est une déclaration d’amour bien enflammée, même ironique » Moi seul j’aurais pu crier « Bluff ! Bidon ! Forfaiture ! Faux et usage de faux ! C’est à moi que ça s’adresse ! C’est à moi ! »

Début grandiose. Tout en découlait, y compris le concerto de Bach. Mais – et c’est la déduction toute prosaïque du jour – un début grandiose ne suffit pas toujours pour cimenter un amour qui sans doute ne demandait pas tant de matériau cimenté, qui sans doute (ou presque) réclamait d’autres preuves infiniment immatérielles issus d’opuscules ou, à défaut, de grandes œuvres et en voilà de la belle pensée, me dis-je en redescendant l’escalier.
Honore
Envoyé le :  26/2/2010 16:20
Modérateur
Inscrit le: 16/10/2006
De: Perpignan
Envois: 39530
Re: La déviation
J'ai aimé ces mémoires sur les complications amoureuses de la vie étudiante.
HONORE
Gryphon
Envoyé le :  28/2/2010 4:06
Plume de satin
Inscrit le: 17/1/2010
De: México DF
Envois: 44
Re: La déviation
Merci Honoré!

Bien sûr, avec le recul (je ne suis plus étudiant depuis un bail), on satirise. Mais je tiens à, heu, assurer tous les étudiants parmi vous de ma plus totale sympathie ;)
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