Plume d'or Inscrit le: 8/8/2009 De: Envois: 1179 |
« Je pensais tomber sur un répondeur » « Tes appâts façonnés aux bouches des Titans » « L’ Idéal » de Baudelaire.
Voici de longues semaines déjà , je retranscrivais pour vous, pour moi, la rencontre rêvée de ELLE et LUI. Après une confidence qu’il me fit, je vous avais laissé entrevoir la possibilité d’une suite par le biais d’une conversation téléphonique qu’ils devaient avoir l’un avec l’autre pour se familiariser avec leurs voix, pour s’apprivoiser aussi dans le monde réel. Cette conversation fut dramatique ; presque, elle faillit arrêter là leurs échanges épistoliers. En voici le récit, navrant de réalité, désespérant de vérité.
Dans le monde réel : Devant lui déposé pour conjurer le sort Un crayon, une feuille , une montre en retard Et son visage à elle au regard si lointain. Il ne lui dira rien de son visage Posé devant lui durant toute leur conversation.
C’est son secret en cas de difficulté. Si son cœur en chamade raréfie les mots S’il perçoit une gêne, un recul, un refus. Il griffonne des mots à lui dire Il bougonne des mots à ne pas dire Il vérifie son regard sur sa photographie. Elle est en retard, elle n’appellera pas ! Elle ne veut pas lui parler ! Elle n’a jamais voulu lui téléphoner !
La sonnerie du téléphone le tétanise Le monde vient de cesser de tourner Maintenant, sa vie l’emporte à fond de train.
Conversation : Lui : « Bonjour » Lui a-t-elle dit « Bonjour » ? Elle : « Je pensais tomber sur un répondeur » Lui : « Non » Elle : « J’aurais pu m’habituer à ta voix. La ré-écouter, me l’approprier » Lui : « J’écoute ta voix, je la découvre C’est difficile de dire et de comprendre C’est difficile de vivre et de ressentir ». Elle : « Vraiment, j’aurais alors pu m’habituer ». La terre n’arrête plus de tourner, catastrophiquement accélérée, sans fin désormais sont les conséquences enchaînées les unes aux autres , imbriquées, éperdument précipitées sur eux. Ils se taisent, trois immensément inéluctables secondes durant lesquelles tout se fluidifie autour d’eux, plus un seul point d’ancrage, tout n’est plus que désespérance en cours, glissement lent de noyés dans une eau sans fond, obscure, tombale. Parler, il leur faut parler encore, oser un mot encore avant qu’ils ne sombrent cœurs et biens dans la folie de la difficulté d’être. Parler, même plus pour dire, pour faire comme si un possible subsistait, comme si alors que la catastrophe de la vie réelle ne venait pas de s’abattre sur eux, irrémédiablement sur eux l’impossibilité d’un vivre les prend à la gorge, les jette, les épand sur cette place sans publique, juste eux, asservis à la gorge, muets, sombrés , morts, morts comme sont morts l’un pour l’autre ceux qui se taisent, comme sont morts l’un envers l’autre ceux dont les corps sont morts avant que de s’être effleurés, comme sont morts ceux que le mal de vivre toujours tuera bien avant que d’être. Trois secondes dans lesquelles tout leur amour s’est jeté, s’est perdu, est mort.
Lui : « Il y a si longtemps que j’attendais ta voix » Elle reste silencieuse, lentement chavirée dans son affolement, sa vie dépassée, débordée. Lui perd pied, essaie un mot déplacé mais possible encore. Lui : « Je t’attendais » Elle s’en est allé dans les méandres des peurs, des rebuffades de la vie, des voix entendues puis tues, des cris des autres sur elle, sur la nuit de sa vie, sur les mots impossibles à crier alors qu’elle tait car si elle criait alors, là , elle s’effondrerait à jamais, sans retour , sans vie, sans rien , démunie, abandonnée, refusée, encore , toujours mise à l’index, écartée. Elle se tait ou elle crie. Lui n’entend que son silence qui incite sa peur à s’amplifier, l’immense solitude de ses mots prononcés, sans écho, sans réponse, des mots inutiles, à jamais dépourvus de sens puisque sans être humain pour les recueillir. Lui : « Depuis si longtemps ». Sa voix n’est plus entendue, elle ne dit rien de ce qui pourrait ramener une noyée vers la vie, faire comprendre à la mort qu’ un espoir subsistait . Rien. Plus rien entre eux que ce filé de voix qui se tarit, s’estompe puis disparaît. Trop tard ; désormais, jamais plus, ils ne pourront retrouver le bonheur des échanges, le tissé de leur amour. De s’être trop aimés, ils ne surent franchir le seuil insurmonté des mots à dire.
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