L'INVITATION.
L'INVITATION.
Le veuvage m'est tombé sur le dos assez jeune .L'absence d'un père m'obligeait à jouer le rôle "papa-maman" parfois dur-dur. J'avais une quarantaine d'années et quatre enfants. Au début je n'avais guère le temps de penser à ma solitude. Les enfants se chargeaient d'accaparer tout mon temps. En plus j'avais un emploi. Il faut bien faire bouillir la marmite. Quatre enfants qui se mettent à table ne se soucient guère du prix du pain ! Je voulais qu'ils soient bien élevés, qu'ils fassent des études. Mais les enfants grandissent, font ces études dont vous avez tant rêvé, ont des petits amis et amies et vous quittent.
Me voilà approchant de la cinquantaine et les hommes ne se poussent pas au portillon, pour me demander un rendez-vous, encore moins de m'emmener danser, ou encore m'emmener dans un de ces petits restaurant où il règne une atmosphère prospère à la confidence.
Mais les miracles existent. Oui, oui je vous assure…. Dimanche dernier un homme m'a téléphoné Je le connais bien mais un différent nous avait séparés. Oui, d'accord il est beaucoup plus jeune que moi, peu importe, Cet homme donc m'invite à diner. Alléluia, Merci Saint Antoine qui retrouve les objets perdus. Dans mon cas une certaine joie de vivre.
Quand ? Dis-je d'une voix tremblante.
Mercredi prochain, à 13h au Clou doré ! Cela t'arrange ?
Le Clou doré est le restaurant le plus réputé de notre ville. Luxueux… Personnel stylé, tapis rouge! A coté de l'assiette un tas de couverts dont je ne connais pas l'usage… A part la cuillère, la fourchette et le couteau.
Enfin bref, je suis invitée… Si j'accepte ???? Évidemment. Je serais folle de ne pas accepter. Je ne sais pas quelle est la raison de cette invitation si inattendue, mais je m'en fous… c'est la première et probablement la dernière. Alors pourquoi hésiter ?
Nous sommes dimanche… réfléchissons calmement, D'abord je n'ai rien à mettre. Les femmes n'ont jamais rien à mettre pour les grandes occasions. J'ouvre avec effroi ma garde robe. La peur me saisit au ventre. Rien, mais alors rien n'est encore à la mode. Une robe ??? Non pas une robe. Je suis petite et un peu boudinée ? La solitude ne vous incite pas à surveiller votre ligne et le chocolat est un excellent antidépresseur. Dans une robe je ressemblerais à un petit bouddha !
Je suis plutôt "genre tailleur, veste, jupe, chemisier" ! Classique quoi ! J'ai encore un petit tailleur bleu roi. Un tailleur ne démode pas trop. C'est un Burbury… du temps de ma gloire passée. Soit, peu importe il fera l'affaire. Mais je ne veux pas avoir l'air d'une vieille dame pour ne pas dire une vieille femme ! Je vais donc tout mettre en œuvre pour paraître élégante.
Lundi, Je fais toutes les boutiques de la ville pour trouver LE chemisier qui doit rehausser la classe de mon tailleur, malgré tout un tantinet vieillot. Je LE trouve. A coté de la boutique il y a une parfumerie. Non? Simonne tu n'as pas les moyens. J'entre malgré tout…et sors avec un tout petit flacon de ce parfum exquis "First" de Van Cleef et Arpels. Parfum à la fois discret et envoûtant. Non je ne vous dirai pas combien j'ai dépensé ! Beaucoup trop si je tiens compte de mes finances ! C'est une folie… Mais je mangerai un peu moins de viande la semaine prochaine.
Mardi. Je cours chez le coiffeur. Shampoing colorant, il faut bien cacher les cheveux gris, coupe, brushing (dans mes jeunes années on appelait cette opération une mise en pli !)
Je fouille dans les produits de beauté de mes filles. Je trouve absolument tout ce qu'il me faut.
Crème hydratante, fond de teint, fard à joues, fard à paupières, mascara, crayon et des dizaines de restants de rouge à lèvres et la cerise sur le gâteau des flacons de vernis à ongles assortis.
Dans ma boite à bijoux, je recherche la très belle bague héritée de ma mère et le beau bracelet reçu lors de la naissance de mon fils ainé. J'ai un collier de perles fines (belle imitation) personne ne pourrait croire que c'est un truc bon marché qu'une amie m'a rapporté du Japon.
Mercredi matin. Mon rendez-vous est à 13H. Je me lève à 5h du matin. Mon excitation ne connait pas de limites. Non, je ne vais pas prendre un calmant ….mais un bon bain moussant. Un esprit sain dans un corps "mens sana in corpore sano". Souvenir de mes études chez les Dames de Marie du temps où l'on faisait encore des Greco- Latines.
Je mets mon peignoir de bain et me recouche sur mon lit. Je réfléchis. Que me veut-il ce petit jeune. Pas si jeune que cela. Il est adulte et vacciné. Reparler de nos malentendus ? Reprendre contact ? Parler du passé ??? Je m'interroge et ne trouve pas de réponses. Je suis un rien anxieuse mais aussi pleine d'espoir !
Je me prépare un bon café. Lait et sucre. Petit déjeuner léger. Je me rattraperai au dîner. Comme apéro je prendrai du champagne. Tu rêves, Simonne, réveille-toi !
Il est 10H. Je m'habille. J'ai repassé à la vapeur le petit tailleur bleu roi et ma foi il a encore belle allure. Le chemisier à longues manches fait très "chic" très élégant. Le collier se prend pour un vrai.
Des souliers escarpins avec talon bottier me rehaussent de quelques centimètres. Une amie "qui a bien les moyens" m'a prêté son sac Delvaux.
Maintenant la séance de maquillage. Je n'a pas l'habitude mais ne m'en tire pas trop mal. Franchement, je me sens rajeunie et pas si moche que cela. Un peu de fond de teint couleur basanée, un peu de blush sur les joues, un peu de bleu sur les paupières, un peu de rouge sur les lèvres, un peu de vernis rose nacré sur les ongles. Un peu de First derrière les oreilles et sur les poignets (On ne sait jamais, dans le cas où il me ferait un baisemain !) Je suis une autre femme Dix ans de moins. Je me sens digne de pouvoir franchir le sanctuaire du Clou doré et faire honneur à mon hôte. Je suis heureuse comme depuis longtemps je ne l'ai pas été.
La vie est belle !
Il est Midi. Ou sont mes clefs de voiture ? Les voilà … Je mets la main sur la clinche, je vais partir. Le téléphone sonne… non, non et non je ne décroche pas. Je vais être en retard, ou alors juste dire à mon correspondant que je le rappellerai le soir.
Allo… oui, oui, je comprends… C'était aujourd'hui que nous avions rendez-vous, Oui je comprends .Tu dois donner cours à 14H? Ce n'est pas grave. Ce sera pour une autre fois. Je n'étais pas encore prête. De toute façon j'aurais été en retard. J'avais presque oublié que nous devions dîner ensemble… oui à bientôt…
Je dépose doucement le cornet et je pleure, Les larmes transforment mon visage maquillé en un visage de clown très, très triste.
C'était MON FILS !
