La falaise
Il est des matins noirs comme il est des nuits blanches
Où chaque cœur se perd à l'ombre d'un éclair.
Si tu suis le sentier étroit des avalanches,
N'oublie pas à tes os de bien coudre ta chair !
Combien s'en sont allés, sûrs d'être victorieux,
Sur ce long périple où tout esprit et toute âme
Enlacés et nus dans le tourbillon des cieux
Se sont calcinés auprès de l'antique flamme.
Si tu veux, tout comme eux, consumer tes soleils,
Éventrer ton flacon débordant de jeunesse,
Va ! allonge tes pas vers les profonds sommeils,
Règle ta frénésie au rythme qui te blesse.
Mais si te réveillant au bord de la falaise,
Tu entends le fracas perpétuel des flots
S'encorner mollement au sein de ton malaise,
Lèche alors ta douleur dans la mer des sanglots.
Souviens-toi mon ami, mon double , mon complice,
De tes printemps radieux et de tes rêves blonds,
Des grands champs constellés, des doux chants du délice
Et n'offre pas tes plaies aux gouffres moribonds.
Délivre-toi, ami, de tes chaînes d'airain !
Envole-toi, au loin, sans jeter en arrière
Ton esprit déchiré au trouble souterrain
Et brandis tes ailes aux dards de la lumière !
Carme
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Qu'importe le flacon, pourvu qu'on ait l'ivresse ! (Alfred de Musset)