Pour Viviane, mon cerisier, qui a tant de fois transformé mes larmes en perles.
Un cerisier trépignait dans les soir feuillu.
Alors que ses voisins les framboisiers dormaient,
Lui, vivait cette minute tant attendue
Car l'heure, son amie ne l'oubliait jamais.
Enfin, il sentit le bourdonnement des ailes
De la fée, les chatouillements habituels
De ses petits chaussons sur ses sensibles branches,
Et son désir d'être accueillie dans la nuit blanche.
Elle avait la même taille qu'une cerise ;
Ses cheveux roses flottaient dans la douce brise ;
Sa peau avait une odeur caramélisée,
Et son nez, Cléopâtre l'aurait jalousé.
Ses mains étaient joliment croisées dans son dos ;
La mélancolie flottait dans ses yeux noisettes ;
Ses ailes se laissait de porter le fardeau
D'un lourd secret, elle avait un problème en tête.
Avec joie, le cerisier lui ouvrit ses feuilles :
"Viens petite elfe, je t'attends depuis longtemps.
Viens, installe-toi, je t'accueille,
Et dis-moi enfin ce qui te tracasse tant."
Les petits chaussons avancèrent tremblotant
Sur le solide bois, puis la fée s'affaissa
Lourdement, et contre le tronc réconfortant,
Le regard dans le vide, elle s'adossa.
Ouh là là ! Cela n'avait pas l'air d'aller mieux
Que les autres soirs. L'arbre n'avait pas le coeur
À voir couler sa mielle de pensers pluvieux
Et alla lui cueillir un fruit consolateur.
C'était une belle cerise bien juteuse ;
Elle était à peine plus grande que la fée.
Il offrit cette griotte à la malheureuse
Qui planta dans le gros fruit ses dents chagrinées.
Comme un vampire étant à sa proie accroché,
Elle suçait le sang chaud, le kirsch peut-être,
De la guigne, et ne voulait point la lâcher,
Buvant tout autant qu'une bacchante champêtre.
À mesure que la cerise se vidait,
Que le jus remplissait le tonneau "estomac",
La phalène s'abrutissait, se galvaudait,
Et la liqueur attiédissait tous les frimas.
Le petit visage prit une teinte rose,
D'abord saumon, et puis la couleur s'assombrit,
Passant par le fuchsia, magenta à haute dose,
Jusqu'à un écarlate dont le nez s'éprit.
La fée buvait sans une seule interruption,
Mais elle devait bien reprendre inspiration.
À ce moment apparut un léger hoquet
Qui la réduisit à fractionner son banquet.
Gentiment, elle lâcha la grosse cerise,
Et elle commença à balancer ses pieds
Avec en prime le haut du corps, sous l'emprise
D'une folie qui lui faisait tout oublier.
Lorsque, d'un regard absent, elle chantonna,
L'arbre jugea bon d'entamer conversation.
Après trois temps de réflexion, il entonna
Avec, comme au quotidien, la même question :
" Alors, quel est donc cet esprit qui te tracasse ?
Rappelle-toi, tu as promis de me le dire.
La plus petite de tes contrariétés m'embarrasse.
Je suis patient, mais ne me laisse plus languir.
Voilà bien des soirs que tu viens toute éplorée,
Mais je n'ai jamais vraiement pu te consoler.
Tu accroches tes perles de larmes au collier
Du Seigneur, alors que ma chaîne reste vide.
Confie-moi tes malheurs. Ne te fais plus prier.
Pense à Dieu qui, le temps passant, prenant des rides,
Doit sous le poids de ton lourd bijou se plier.
Confie-toi, et ma langue restera liée."
La fée leva les yeux aux cieux d'un air morose
Et abruti. La tête contre le feuillu,
Elle se concentra trés fort su quelque chose,
Et déconfite, elle marmonna un " ' sais plus".
Ne tenant plus assise, elle s'effondra
Et la fatigue s'éprit de ses yeux mutins.
Son fin ronflement de papillon murmura
Qu'elle avait besoin d'un somme, jusqu'au matin.
Le cerisier maternellement la couvrit
De quelques feuilles : elles serviront de duvet,
Et pendant les heures où la lune sourit,
Il prit grand soin de l'innocente qui cuvait.
Quant à la cerise, de son jus dépouillée,
Il l'offrit à sa locataire : dame pie.
Elle payait très correctement son loyer ;
Elle valait bien la griotte si jolie.
À l'aube, la fée avait la gueule de bois
Et une cloche semblait sonner dans sa tête.
C'est l'effet que nous lègue l'ivresse aux abois,
Nous laissant chaque fois à l'état de carpette.
L'elfe s'envola et zigzaga dans le ciel,
Mais le secret alourdissait toujours ses ailes.
Ce qui donna au cerisier la certitude
Qu'elle reviendrait au soir, comme d'habitude.
Le cerisier trépignait dans le soir feuillu.
Alors que ses voisins les framboisiers dormaient,
Lui, vivait cette minute tant attendue
Car l'heure, son amie ne l'oubliait jamais.
Enfin, il sentit le bourdonnement des ailes
De la fée. les chatouillements habituels...
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"Je est un autre."
Arthur Rimbaud