Ô Jupiter, toi le requiem de mon coeur,
J'agonise de te laisser indifférent.
N'entends-tu donc pas les notes de mon malheur ?
Je suis belle. Aucun regard ne te l'apprends ?
Non ! Car tu prends les pianos pour des damoiselles.
Ne vois-tu pas les amours dont on s'épprend ?
Ne vois-tu pas que je suis fée, que j'ai des ailes ?
Je suis belle. Aucun regard ne te l'apprend ?
Je suis Héra. Je devrais porter tes baisers,
Mais la jalousie ceint mon front d'une courrone
Et mon collier de félicité s'est brisé ;
Ses perles de larme coulent, puis m'empoisonnent.
Quant à tes nombreux claviers, tes nombreuses maîtresses,
Je m'en vais avec plaisir les désaccorder :
Elles subiront les morsures de détresse
Et je saurai toute leur beauté chaparder.
Pour l'instant, je le concède, tu es plus fort.
Sur un piano crapaud tu engendres les Grâces,
Tu séduis la belle Europe, encore et encore,
Et sous tes longs doigts, les Heures naquissent et passent.
Sur un piano droit tu enfantas les jumeaux
Jour et Nuit, bien que j'aie placé dans l'instrument
Le serpent dissonance, dit " Fortissimo ".
Tu as résolus le reptile brillament.
Zeus, sur les touches noires et blanches tu glissas
Comme un cygne blanc, tu fécondas la musique
Engendrant l'amour devant qui Troie s'affaissa,
Et sans que je ne soupçonne cette tactique.
Sur un piano à queue, tu fis naître les arts,
Les neufs muses, de l'épopée à la romance,
Sans oublier lyrisme et tragédie, la danse,
Sans subir le moindre courroux dans mon regard.
Mais les autres pianos ne s'en sortiront pas
Facilement, car j'ai plein de malédictions
Dans mon coeur. Jadis, j'espérais qu'il t'attrapât.
Maintenant, il est aussi noir que ma passion.
J'enverrai deux serpents contre chaque clavier.
Tu résoudras ces sifflants ? Aucune importance,
Car j'ai douze travaux. Pauvres doigts ! Suppliez
Les dieux avant qu'ils ne vous prennent dans leur transe.
Je sais bien que tu relèveras ce défi
Car à tes objectifs, tu es très attaché,
Mais il faut que des harmonies tu te méfies :
Ton feu de folie alimentera leur bûcher.
Et pour les autres, avec qui tu te fais nuage
Pour exploser ensuite en une pluie de notes,
je saurai rallier les éclats de ton carnage
Et enlever de tes doigts ces quelques falottes.
Tu auras beau, pour les protéger, les changer
En n'importe quoi, fût-ce un douce génisse,
Je les prendrai, même si gronde le danger,
Et aucune n'échappera à son supplice.
Je les placerai sous la garde d'un berger
Qui t'observeras avec ses cent longues rondes,
Et même si tu as le dessein de t'en gamberger,
la queue du paon bleu gardera ces notes blondes.
Quant à tes vaches amourettes, elles mourront
Par la piqûre des croches de Cupidon,
Et tu pourras goûter le sucre de la vie,
Par mes lèvres, le nectar et l'ambroisie.
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"Je est un autre."
Arthur Rimbaud
