Je suis la brume et tu n'es que l'étoile ;
Tu n'es qu'un des flambeaux possibles ; moi je suis
La noirceur éternelle et farouche des nuits...
Victor Hugo
Juin 1539
Très estimé(e) lecteur(trice),
je vous déconseille fortement de feuilleter ces paperas. Sachez que dans quatre lignes il sera trop tard : vous subirez une sudation et des cauchemars que seul un récit débutant dans trois lignes peut provoquer. Je cesse ce nonobstant mes palabres car je comprend que je me trouve en présence d'un(e) anagnoste rétif(ve) qui, après cette ligne ne pourra plus se plaindre que je l'avais point prévenu(e).
je me nomme Méphistophélès, mais je vous donne licence d'user de mon diminutif: Méphisto. Je suis un démon. Pouvez-vous donc seulement vous représenter l'immense déniaisement pour un diablotin béjaune qu'est l'apprentissage de la profession de démon ? La réponse est inéluctablement négative ! Les précepteurs inculquent à leurs disciples l'antagonisme à son paroxysme.
Pour quelle(s) obscure(s) raison(s) ? Présentement, tous les autochtones de l'enfer l'ignorent. Nos maîtres nous présentaient la violence à l'instar d'un jeu, et pour quelqu'un de présomptueux tel que moi, il fallait diamétrallement que je triomphasse. En résumé, voici les préceptes du jeu : chaque aspirant au titre de démon doit impérativement se présenter à tous les cours, sous peine d'être expulsé de l'enfer, aucun aspirant au titre de démon ne doit échouer à un examen sous peine de mise à pied, et chaque aspirant au titre de démon a licence d'occire son condisciple ( eh oui ! les diables ne sont point immortels ). lorsqu'il ne subsiste que trois diablotins dans leur classe, le précepteur leur octroient le titre auquel ils aspiraient. En bref, le point nodal du jeu est la loi du plus fort.
durant les premiers jours, personne n'entreprenait quoi que ce soit. Nous nous satisfaisions de regards en coin, de leçons antéchrists, et des échecs de nos condisciples. Il était indispensable qu quelqu'un se lançasse. Subséquemment, par un supercoquelitancieux matin, je partis en cours avec un poignard dans mon gousset. Je vous laisse conjecturer l'ahurissement de mes condisciples lorsque, pendant le verbiage de notre maître, je me suis levé, je me suis retourné, et j'ai, tout à trac, mis en charpie un diablotin simiesque qui se trouvait sur le chemin de mon poignard. Je me suis impassiblement réinstallé, étant accompagné d'yeux de Moscou ébahis, alors que notre professeur ne semblait point se formaliser du cadavre étalé sur le plancher, de la macule de sang qui se répandait, et des viscères ressortant de la carcasse.
A partir de ce jour, un violente débâcle vint remplacer notre trantran. J'avais donné le départ et les meurtres s'enchaînèrent avec une vélocité vampante. Je dus moi-même plusieurs fois tirer mes grègues pour échapper au génocide. Les civières mortuaires défilèrent tant et si bien que, au bout d'une semaine, sur la centaine d'apprentis, il n'en subsistait plus que quatre : Lucifer, Belzébuth, un certain Arachnapathos, et moi-même. Je voyais Lucifer et Belzébuth d'un bon oeil. Ils étaient rusés, ambitieux, un peu flagorneurs sur les bords, et ils possédaient une répartie qui n'était point pour me déplaire. C'est pourquoi je décidai de pourfendre Arachnapathos, chose infamante, débauchée, obséquieuse, amphigourique, en bref idoine au cénotaphe.
Subséquemment, par un crépuscule glacial, je m'absentais de ma chambre accompagné de ma féale épée, dans le but d'expédier Arachnapathos. A brûle-pourpoint, des paroles injurieuse jaillirent dans mon dos.
" C'est malavisé de ta part, que de te promener seul en ces temps troublés. Une épée de Damoclès pourrait s'abattre."
je me retournai et vis Lucifer, Belzébuth et Arachnapathos, assemblés, flamberges au vent, et me bravant avec une hardiesse ganache.
" Oh ! Quelle coïncidence ! m'exclamai-je. mes trois derniers estimables condisciples unis contre ma personne avec un espoir échappé des petites-maisons de m'estourbir ! C'est une tentative très téméraire. si j'eusse été à votre place, je serais convolé de beaucoup plus de diablotins émérites. Ne venir me vilipender qu'a trois, c'est du suicide !... Ah ! J'ai omis une petite bagatelle. Cette engeance qui eût été idoine à me navrer, vous vous en êtes gobergés, tels des vautours rongeurs de vie, avant que l'idée de m'envoyer ad patres ne vous effleure. C'est donc votre carence d'intellect qui vous jugulera."
Sur ce brocard, je dégainai et fis face aux futures machabées. L'échauffourée débuta.
Ce moment fut la déification de mon existence. je n'ai jamais autant excellé dans l'art de passer de gouapes à la chambrière. La tête d'Arachnapathos vola aisément. Il était captieux à l'art de brasser du vent au moyen de sa colichemarde et ce fut pour moi un jeu d'enfant que de le passer par les armes. Les deux autres se montrèrent plus coriaces. Etant donné qu'ils ne commettaient point de fourvoiement, je dus les échiner quelques peu. Lucifer finit par tomber, plutôt anéanti par la fatigue que trépassé par le fleuret. Pour Belzébuth, je dus user de mon escobarderie, un malice plutôt simpliste qu'il aurait pu éludé. j'ai fait le mort, et comme un niais, il s'est approché pour s'assurer de ses lauriers. Lorsqu'il fut à portée de poignard, je le passai au fil de l^épée, ou plutôt de la coutille !
Jamais une victoire ne m'a occasionné autant d'euphorie. Ce boîton, ces macules de sang et ces cadavres représentaient mon triomphe, ma nomination au titre de démon.
je ne pouvais point m'endiguer dans ma gloire. Il fallait diamétrallement que ma renommée crût. je décidai donc du premier acte qui se graverait dans les annales : j'allais venger mon cousin le serpent célèbre, j'allais faire manger de la poussière au protégé du seigneur lui-même.
Et voilà ! je vous avais pourtant prévenu de ne point lire ce texte. Non seulement, vous allez visualiser des tripes, des boyaux, des viscères et des cadavres de démon dans moult cauchemars, mais de surcroît, vous allez vous sentir obligés de découvrir la continuation de mes péripéties dans " Faust " de Goethe qui, je le crains bien, m'a présenté tel un esprit perfide et négateur. En bref, il a terni mon étoile. Je cesse ce nonobstant mes palabres car j'ai compris que je me trouve en présence d'un(e) anagnoste rétif(ve) qui, après s'être mis(e) au fait de la suite de mes éphémérides, m'amputera de la souveraineté de ses cauchemars.
Veuillez agréer mes plus débilitantes salutations.
Méphistophélès
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"Je est un autre."
Arthur Rimbaud
