Ils sont revenus
Les cerbères du réel
Ils grondent devant ma porte
Me dévorent du regard
Dur des dédales et des dénis
Ils sont revenus
Leur antre sombre me guette
Et je me sens l’âme déflorée d’une bluette
Avec tous ces petits rêves en goguette
Comment ai-je pu être assez naïve
Pour penser que je m’en sortirais
Que c’en était fini des sortilèges
Que j’avais droit aux florilèges
Qu’elle me fût douce la bonne chanson
Ne me restent que les fleurs du mal
Toute moisie ma madeleine
J’erre dans Combourg dévasté comme Brest
Où il pleuvait ce jour lÃ
Quelle connerie la vie
Et je t’ai dit « tu » si vite
Si fort
Mon beau mon tendre mon merveilleux amour
Nos perles de pluie faisaient déborder les lagunes
De mes neiges tu créais des dunes
Mais l’entends-tu comme elle gronde
La réalité
La vraie vie
Celle des maux des baux des faux
Faux prophètes faux témoignages faux amis faux semblants
Ton rire était celui d’un enfant
Et me voilà toute arrachée
A ma vie rêvée des anges
Déchiquetée par le réel
Boyaux tordus par la bêtise
Visage lacéré par les fauves feulant
Proie tendre des carnassiers du quotidien
Mon cœur en lambeaux crie famine
Laissez le moi encore un peu
Juste une nuit
Mon Dieu laissez le moi
Ma vie pour une heure avec toi
Pour ouvrir les yeux sur notre rêve
Comment savoir si tu existes tant que tu n’es pas
Comment croire en tes serments puisque je suis aveuglée
La petite musique de nos nuits désirées
M’enveloppe de tendres
C’est Mozart qu’on assassine quand je me vois sans toi
Je serai ta Carmen tue moi si tu le souhaites
Mais ne me déçois pas
J’ai besoin de savoir si tes mots sont sincères
Si tu savais tout le mal qu’on m’a fait naguère
Tous les brigands détrousseurs et les merles moqueurs
Qui me rendra mon temps des cerises
Quand je ne suis que fruit tombé
Mes mots chaptalisés attendent la récolte
Puisses-tu devenir vigneron des bontés
Je me ferai pour toi grappe mûre et divine
Sirupeuse et nectar telle folle ambroisie
Et ton vin neuf chantera pétillances
Faisons enfin sauter le bouchon des réjouissances
Oui qu’il vienne le temps des agapes
Mais je sais bien qu’il court plus vite
Que je ne l’attrape
Le p’tit bonheur tout hésitant
Tel pompon ivre du manège
Qui frôle les mains des enfants
Quelqu’un peut-il prendre ces chiens
Ou au moins leur couper les têtes
Par pitié tenez voilà des croquettes
Calmez les qu’ils perdent du poil de la bête
Laissez moi passer cerbères délétères
Laissez moi rêver encore un peu ma vie.
Après je me calme : promis.
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"Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue:
Un trouble s'éleva dans mon âme éperdue.
Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler:
Je sentis tout mon corps et transir et brûler."
Racine, "Phèdre"...