MEDOR !
Si tu savais la longueur des hivers, la solitude glacée de mon existence; Je cueille
des fleurs de givre aux fenêtres du jour qui ne sait plus aller: la torpeur m'étreint dans l'agonie des heures sans fin. Te rends -tu compte de la force qu'il faut pour affronter le vide. Si tu savais tout ce que j'imagine pour donner le change à mon ennui mortel; par exemple, je m'invente un ami; au pire, c'est un chien, même pas le mien. Mais, qu'importe, s'il comprend ce que je ne dirai pas dans ces longs silences, où seuls les regards échangent l'impensable. D'ailleurs, je pourrais l'appeler Médor, vu que je ne dors plus;.Et même le regarder dormir.
Si tu savais la solitude dans mon squatte à tous vents; si tu l'entendais, ça te ferait frémir: c'est un courant d'air qui se faufile partout, jusque sous mes loques; Quelque chose me fait la peau: j'ai l'âme en perdition. Comment en suis-je arrivé là , tellement bas ? Le but est atteint: on ne peut pas tomber plus bas. Au début, je me suis relevé car j'avais ma dignité. Peu à peu, j'ai choisi l'abandon : à l'évidence ma cause était perdue.
Il faut l'admettre, certains m'ont coupé l'envie d'être seulement un homme; un être humain ordinaire dans une vie ordinaire; pas un cheval de course, ni un bourrin inlassable.Un homme, seulement un homme...
D'ailleurs quand on n'a pas les moyens, a-t-on le droit à une belle vie !
Si tu savais la longueur des hivers durant lesquels j'arpente ma liberté. Si tu savais combien , parfois, j'ai honte de ma misère. Alors, désespéré, j'avale mon verre de vinasse. Je trinque, bien sûr. Je cueille des fleurs de givre qu'illumine l'oeil scrutateur de l'astre; c'est un peu comme si le bonheur savait où je niche. Alors je m'adresse à l'absence comme à une respiration haletante:«Sage, Médor ! Chut, fais le mort !» Et nous nous endormons...
Pierre WATTEBLED- le 28 décembre 2008
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