Une carrière, une passion
Dans la maison la lumière fut éteinte quand je rentrai chez moi. Je croyais que mes parents me rendraient visite comme promis. Pourtant personne n’était là . Comme d’habitude, depuis mon affectation à Rachidia, je restais seule, cloitrée entre les murs gelés de ma chambre modestement meublée. Sur le bureau je mis les dernières fiches de travail que j’avais préparées le soir pour la prochaine séance de langue.
J’aimais bien mon travail, mes collègues me trouvaient très sympathique, d’autres me croyaient hautaine et distante. Comme j’étais réservée et timide, je ne les blâmais pas. Je restais dans ma classe pendant la récréation ou les heures creuses pour corriger les copies de mes élèves et écrire quelques poèmes.
C'était ma seule évasion, ma passion devenue obsession et obsession qui devint rapidement ma seule consolation. Chaque nuit, je lisais L’horloge de Baudelaire, sa façon de communiquer et transmettre ses émotions d’impuissance face au temps me fascinait puis je prenais ma télécommande et je zappais à la recherche d’un film ou d’un reportage.
Oh, mes élèves, oui j’aimais bien m’entretenir avec eux sans imposer aucune autorité. Ils commençaient à apprécier les leçons que je leur apprenais mais entre nous je détestais les séances de langue, j’aimais surtout parler de littérature, d’écrivains et analyser les textes de Voltaire, Montesquieu, Baudelaire, Victor Hugo … ils avaient très bien compris mon penchant et ils me rendaient visite à chaque occasion propice pour discuter de littérature, converser au sujet d’un poème qu’ils avaient lu ou d’un texte qui les avait intrigués.
Cette relation entre professeur élèves me passionnait, je voulais abolir toutes les barrières et j’avais réussi. En plus, ils avaient commencé à aimer la langue française.
Mon grand bonheur fut lorsque je voyais leurs yeux briller lorsqu’ils perçaient le mystère d’une strophe, qu’ils comprenaient le message dissimulé d’un paragraphe ou qu’ils assimilaient la philosophie d’un écrivain. Cela m’encourageait de plus en plus à leur transmettre mon amour pour la littérature.
Je me souviens encore le jour où nous avions étudié L’Albatros de Baudelaire, un fin psychologue, si j’ose dire. Il avait bien assimilé le secret du poète, sa maladresse dans le monde des hommes et son envol dans le ciel de la création ! Les élèves étaient fascinés par la comparaison entre l’albatros et le poète ; ils restaient devant moi, attentifs et bien concentrés, comme s’ils buvaient mes mots. Au bout de ces précieux instants, je me voyais voler la gloire d’un grand poète. Mais quelle était cette étincelle qui brillait dans leurs regards ? J’étais éblouie par leur attitude. Et je continuai à leur parler du comment et du pourquoi ce poète fort talentueux avait choisi de telles métaphores ou telles comparaisons, c’était fascinant !
Aya
2008
----------------
@ textes protégés