Connaissez-vous la tante Sabine
Celle que l’on n’invite pas
Elle n’est pas comme nous tantine
Tu sais ne l’approche pas
A l’heure de sa prime jeunesse
Elle en a fait des drĂ´les de choix
C’est sûr elle n’allait pas à la messe
Et puis maintenant regardez la
C’en est fini ses années folles
OĂą bien gaiement sur ses guiboles
Elle parcourait l’Europe en vélo
Avant de suivre un ex voto
Jamais elle n’aura fait construire
Ni mĂŞme su garder mari
Les hommes elle les a tous fait fuir
Ils partent vite sans faire de bruit
Elle avait bien de grands projets
Elle disait mĂŞme vouloir Ă©crire
Et puis la vie s’en est chargée
Et puis ça nous faisait sourire
A l’heure où d’autres sont rangés
Sages comme rayonnages Ikéa
Elle prend chemins des Ă©coliers
Et remet encore le monde Ă plat
La voilà qui déménage encore
Jamais contente de son sort
Non mais vous avez vu ça
A son âge c’est n’importe quoi
Même pas fichue d’avoir l’agreg
Le permis n’en parlons pas
Elle a mĂŞme des amis au Maghreb
Elle va finir par s’appeler Aïcha
Nous on préfère l’éviter
Des fois que ce soit contagieux
Ici on est bien protégés
On peut garder notre sérieux
On l’aurait voulue respectable
Elle finira en vieille dame indigne
Alors mes enfants Ă©coutez bien la fable
Du canard qui se prenait pour un cygne
Tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se casse
On l’avait prévenue avant qu’elle ne se ramasse
Tu finiras par payer tes erreurs du passé
Tu ferais mieux de raison garder
Elle finira en dame seule
Hantant allées de sa mémoire
Aimée par quelque lointain filleul
Quand ses enfants n’iront plus la voir
Elle n’aura jamais la chance
D’être vraiment accompagnée
De décliner romance
Au gré des jours en décliné
Elle montera ses six Ă©tages
Vers l’appartement empli d’hommages
A vieilles joies un peu foldingues
Avant que la vie ne la déglingue
Oui elle est folle la tante Sabine
Elle se prenait pour Adèle H.
Romantique et si câline
Elle aurait même fumé du hasch
Et dansé avec ses élèves
Et puis quand on divorce deux fois
On a mérité chaque glaive
On est quand mĂŞme un peu hors la loi
Chut taisez-vous elle est arrivée
Avec ses yeux de bleu fardés
Il faut encore qu’elle en fasse des tonnes
Encore heureux qu’elle ne demande pas l’aumône.
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"Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue:
Un trouble s'éleva dans mon âme éperdue.
Mes yeux ne voyaient plus, je ne pouvais parler:
Je sentis tout mon corps et transir et brûler."
Racine, "Phèdre"...