Plume d'or Inscrit le: 5/3/2008 De: Tunisie Envois: 1238 |
Le palais oublié Le palais oublié Miserere domus labientis! (Publius Vergilius Maro)
Comme une amante son amant, la lune De ce palais que le jour importune Caresse doucement les vieilles tours; Près des vastes et ténébreuses décombres, Des fantômes l'œil voit passer l'ombre Dont le frémissement est sourd;
Tel un flambeau éteint, le ciel pâlit La cime de ce mont que ronge l'oubli Et dont le corbeau hante la branche ; L'arbre est silencieux et semble souffrir Et de chaque aurore l'on voit mourir Dans cette nuit, la lueur blanche.
La rose, qui contemple cette splendeur fatale, Comme l'aigle son aile, ferme ses pétales; L'oiseau se tait. Le vent muet Des chênes ne caresse plus la chevelure, Et toute la plaintive nature Pour les morts semble prier.
Ô, tristesse! Le marbre qui, rêveur, Des fronts des reines égalait la blancheur, Est pâle est couvert de fange; Sur sa surface, patient et songeur, Le destin, avec son ciseau vengeur, Sculpte des formes étranges!
Un insecte hideux du trône humilié Ronge patiemment le bois oublié Où un roi ployait ses ailes; Tout semble dormir d'un sommeil profond, La sombre araignée, sur le haut plafond Erre en tissant sa toile frêle.
Les flambeaux éteints pour l'œil ténébreux N'éclairent plus avec leurs rayons heureux La salle à la sombre prunelle; Les escaliers qu'un pas léger foulait Et que le pan d'une robe blanche frôlait Pleurent leur solitude éternelle!
Ô, beauté éphémère! Triste splendeur! Autrefois, exhalant leurs riches odeurs, Des femmes aux chevelures parfumées Dont tous les regards étaient amoureux Souriaient à leurs amants bienheureux Qui les nommaient leurs bien-aimées;
Autrefois, chaque matin et chaque soir, Le roi sur ce trône venait s'asseoir Radieux comme le soleil qui rayonne; Sa reine, qui régnait aussi sur son cœur, Auguste comme lui, avait l'œil vainqueur, Parée de sa double couronne!
Sous cet arbre, charmants comme la jeunesse, Le prince venait voir sa princesse, Il lui disait: "Respire cette fleur!" Et s'il pleurait d'amour, sa royale amante, Avec le pan blanc de sa robe flottante Essuyait doucement ses pleurs!
Ce chêne, qui semble prier à genoux, Jadis vit tomber tant de billets doux Du haut de ce balcon qui rêve, Olympe où des déesses au front radieux Souriaient, bercées par les lyres de leurs dieux, Comme l'aurore au jour qui se lève!
Ô, temps vainqueur, qui comme des roses Respire le parfum éphémère des choses Et en flétrit la douce beauté! De tant de soleils nul rayon ne reste! Les heures ailées, aux vivants funestes, S'envolent dans l'immensité!
Chaque berceau est une profonde tombe! L'homme qui vieillit, dont les cheveux tombent Et qui des ses jours voit l'hiver, Songe avec effroi aux rapides années, À sa jeunesse, fleur par la houle fanée, Au gouffre sous son pas ouvert!
L'oubli puissant, plus cruel que la mort, De nos souvenirs, frères de nos remords, Dans nos cœurs éteint la flamme. La terre où nos pères sont et nos aïeux Est pareille à ce palais oublieux Dont le temps obscurcit l'âme!
Années de mon enfance sans courroux, Comme ce lieu à ces rois, je songe à vous! Que vos aurores étaient douces Et que vos nuits étaient douces aussi! J'errais, loin du monde par l'ombre obscurci, Dans les près verts où les fleurs poussent;
Sous l'ombre d'un arbre, je m'arrêtais, Et ,sur mon livre penché, j'écoutais Le murmure des calmes rivières Que chantaient les vers d'un antique auteur; Les roses répandaient leurs douces senteurs Et le soleil sa lumière!
Ô, jours lumineux et par Dieu bénis! Vous étiez doux, vous sembliez infinis! Dans mon cœur, coupe toujours pleine, Vous versiez vos impalpables rayons, Comme l'épi doré s'élève dans les sillons La joie s'élevait, sereine,
Dans mon âme, et reluisait dans mes yeux! Aujourd'hui, comme ce palais au front pieux, Qui ferme son œil et songe, Mon cœur est sombre. Et mon esprit obscur Est pareil à ces tours hautes comme l'azur Que la nuit avec sa dent ronge!
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