Plume d'or Inscrit le: 5/3/2008 De: Tunisie Envois: 1238 |
Ovide à son livre, élégie Ovide à son livre, élégie In quâ scribebat, barbara terra fuit! (Publius Ovidius Naso, Tristes, 1, III, 1)
Ô, livre orphelin! Loin de ton père Dont le cœur gémit et désespère Quand de son exil il compte les jours, Déploie ton aile qui saigne toujours Et où l'on voit rougir ma blessure! À Rome dont le souvenir me torture, Où je naquis, où je ne puis mourir, À Rome qu'à mes yeux tu ne peux offrir, De mes nuits ténébreuses va dire l'ombre! Le fard ne sied point à ton front sombre; Qu'un haillon pare ton cœur douloureux Digne fils de ton père malheureux, De ton père las de tant de luttes! À Rome va, comme un lion hirsute, À Rome va, toi que mouillent mes pleurs, Ô, emblème humide de mes douleurs! Va à Sulmona qui m'est si chère, À Sulmona où une tendre mère Berçait mon enfance avec ses chants doux! Devant son tombeau mets-toi à genoux, Comme je l'eusse fait, et dis-lui: "Mère tendre Ton fils chéri te dit de l'attendre, Près de toi il s'éveillait sans frémir Et près de toi il viendra s'endormir, Pareil à l'enfant jadis son défense!" Aux lieux qui virent s'éclore mon enfance, Fleur tombée dans le torrent oublieux, Dis: "Mon père songe à vous, augustes lieux Dont son pas foulait les vastes prairies; Comme Endymion se repose à Carie, Dans vos solitudes il veut reposer Son pied fatigué et son cœur brisé; Il veut caresser, loin des tourmentes, Sa lyre qui pleure dans vos ombres charmantes, Et de vos rivières il veut écouter Les murmures divins et enchantés!" Vole au-dessus de ces ondes livides! Si Rome songe encore à Ovide, S'il est un homme qui bénit mon souvenir Et qui rêve encore de me voir revenir, S'il est une femme qui pleure un poète Et qui peut-être pour mes jours s'inquiète En maudissant de César le courroux, Bénis-les et dis-leur: "Il songe à vous Comme vous songez à lui. Que vos pleurs justes Attendrissent les dieux et Auguste Qui aujourd'hui le retiennent à ce port Où, loin de sa patrie, il sera mort, Et que les dieux tout-puissants bénissent L'homme qui des malheureux plains le supplice!" Mais, ô, mon livre! Comme moi assagi, Ne répond point à la foule qui rugit! Mon fils, qu'importe à la nef qui se noie, Des ondes cruelles l'innocente proie Les crachats qui souillent son front naufragé? Ah! Il ne me chaut point d'être outragé, Sois muet quand la vulgaire ironie, Hostile à l'art et hostile au génie, Te dira, pleine d'un courroux impur: "Rome ne veut point de toi, livre obscur! Nous sommes joyeux et tous nos jours sont fastes, Qu'à ton sombre auteur l'océan vaste Te ramène sur ses flots, livre ennemi!" Ô, mon cher fils! Mon cœur point ne frémit, Jaloux de ma gloire, de ces outrages! Ne leur montre qu'un serein visage; Les siècles de mon nom se souviendront, Malgré mon exil propice aux affronts! Laisse ces vautours ronger ma dépouille Qui empourpre leurs griffes qui me souillent! L'on dira aussi: "Que ces faibles vers D'Ovide dont la voix emplit l'univers Sont indignes!" Mais ma voix est amère, Hélas! À ma place l'on eût vu Homère Sous le joug qui l'accable gémissant, Prier en vain son génie impuissant De répondre à Zoïlus qui l'assaille! Les filles d'Apollon, que l'ignorant raille, Aiment la solitude. Les vers radieux, Doux flambeaux, dans la nuit rayonnent mieux, Et la paix au génie est propice, Mais moi, de la mer aux sombres caprices, De la houle qui gronde et des âpres vents Jouet futile, je ne puis, en rêvant Des amants qui soupirent et des déesses Dont le souvenir a bercé ma jeunesse, Chanter les feux et chanter les regards! Va à la terre de Rome, livre hagard, De mes ennemis ne crains point la colère Et ne rougis point de leur déplaire! La Fortune est hostile à nos destins, Qu'importe la gloire? Jadis, hautain, La Renommée berçait mon cœur avide, Je voulais écouter le nom d'Ovide Dans les temples où nos dieux dont vénérés; Aujourd'hui, livide et déshonoré, Je ne songe plus, victime des Muses, À éblouir un peuple que mes chants amusent! Cependant, va à Rome, fils ailé, Ô, va à Rome où je ne puis aller! Que ne puis-je être ton fils, que je voie Cette ville qui m'est hostile comme aux Grecs Troie! Quand à son rivage les flots de la nuit, Hostiles ou propices, t'auront conduit, Tu iras, silencieux, à ma demeure Consoler tes frères qui loin de moi pleurent Et tu leur diras: "Votre père vit!" Ces fils joyeux, à mes veilles ravis Quand ma fortune égalait mes alarmes, Ne te ressemblent point, fils de mes larmes! Mais ils sont tes frères. Embrasse tendrement, Comme je l'eusse fait, leurs fronts charmants! Un seul à tes caresses sera hostile, Il chante de l'amour les ruses subtiles, C'est lui qu'il faut maudire! Ne l'embrasse point! Et que de toi il demeure plus loin Que je ne suis de lui! Je l'abandonne! Nomme-le Œdipe et Télégone, Nomme-le Thésée, ce livre criminel! Que rien n'émeuve ton cœur fraternel! Maudis comme moi ce fils parricide! Sur un mont haut comme les colonnes d'Alcide, Tu verras, fier, le palais de César, Auguste et jadis ami de mon art; Ne l'approche point! C'est de ce lieu paisible Que tomba sur moi la foudre terrible! Ce mont, c'est l'Olympe sous les éthers, César, c'est le terrestre Jupiter Qui d'un mortel châtia les offenses! Les dieux aux hommes apprennent la prudence, Icare, qui brava le ciel, est tombé Dans la mer. Phaéton a succombé, Ô, leçons que les hommes point n'écoutent! Ulysse de cette Ilion qu'il redoute En songeant à la mer et ses dangers, Pour brave qu'il fût, sous un ciel étranger, N'eût jamais cherché une autre gloire! Thésée dont j'ai chanté les victoires Revînt-il à Dia, n'eût point revu D'Ariane éplorée le front imprévu! Et moi, à ton rivage qui m'opprime, Ô, Rome qui me condamne, comme pour un crime, Pour mon génie, de mes jours le bourreau, Je n'ose revenir! Fussé-je comme les héros Puissant, et comme Jupiter invincible! Envole-toi loin de ce mont impassible, Livre chéri! Ô, laisse-moi souffrir! Ne te hasarde point à attendrir Un dieu. Mais va attendrir les hommes Et verse mes pleurs sur le sein de Rome! Pourtant, si ce dieu daignait pardonner Ses crimes à un poète infortuné, De Rome je reverrais le sourire! Ô, Patrie! C'est pour toi que je soupire! Mais comme Achille qu'Apollon terrassa, Seul le dieu punisseur qui me chassa Peut guérir mon cœur que son trait blesse! Mais va, livre chéri! Je te laisse Fouler sans moi Rome dont je suis épris. Les maux qui appesantissent mon esprit T'eussent appesanti, trop lourd pour la voile Qui te conduit, sous l'œil des étoiles, Au port qui m'est désormais interdit! Va, et laisse gémir ton père maudit Qui demeurera ici, loin du monde, Et écoutera chanter les ondes Que caresse le port du pays natal, Dans ce port sombre à sa nacelle fatal!
PS: chers amis poètes, j'ose encore une fois compter sur votre clémence en postant ce poème trop long, et en y joignant ces quelques notes, qui ne vous apporteront rien de nouveau. Ce poème s'inspire, comme l'indique son titre, d'une élégie du Géant Ovide, plus précisément de la première élégie des Tristes (Tristes). Personne n'ignore qu'Ovide, pour des raisons demeurées mystérieuses -même si je penche pour l'hypothèse selon laquelle le poète fut châtié à cause de la soi-disant "immoralité" de son livre "l'art d'aimer", "le livre ennemi" comme il le dit lui-même dans son élégie- fut exilé de Rome par l'empereur Auguste, qui régna sur Rome après Jules César. Je ne prétends point égaler la beauté du texte latin, ce poème n'en est qu'un reflet bien pâle. Encore une fois désolé pour tant de longueur, et dans mes humbles vers et dans mes plus humbles phrases.
|