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Épître, Ariane à Thésée (Inspiré du chant X des Héroïdes d'Ovide) Épître, Ariane à Thésée Alta puellares tardat harena pedes. Interea toto clamanti littore theseu Reddebant nomen concava saxa tuum. Et quotiens ego te totiens locus ipse vocabat. Ille locus miseræ ferre volebat opem. (Publius Ovidius Naso)
Ô, cruel Thésée ! Dans ce port farouche, Tu laissas Ariane, seule dans ta couche ! De l’océan, de la terre et des cieux Les bêtes féroces et les monstres furieux Sont plus doux que toi qui m’as outragée ! Amant perfide, d’une amante affligée Ne plains-tu point les soupirs et les pleurs ? Seule ici, tu ne vois point les douleurs De la plus malheureuse de toutes les femmes, Trahie par le sommeil et par ta flamme ! Le matin doux blanchissait l’univers, L’oiseau sur sa branche chantait des vers Et les roses pleuraient, mouillées de rosée, Quand tu me quittais, inhumain Thésée ! Ne devinant point ton cruel dessein, Ma main cherchait ton tendre sein, Par le sommeil encore appesantie ; Par mon cœur crédule d’abord démentie, Elle toucha de cette couche le sein froid. Craintive soudain, réveillée par l’effroi, Comme hier par ta voix douce endormie, Je vis vide cette couche ennemie, Cette couche cruelle au front vainqueur Qui n’offrait plus ton image à mon cœur ! Dans le désordre où me vit la nuit tendre Et où le jour cruel semblait m’attendre, Je me levai. Mes yeux épouvantés Te cherchaient encore. La vérité Les ouvrit, comme les ferma ton mensonge ! J’imputais ton crime odieux aux Songes ; Père de mon père, daigne me pardonner ! Mais je vis le jour fatal rayonner Et Hélios à ma prunelle mouillée Montrer son œil puissant dans les nuées Que le vent rapide ouvre avec ses doigts. Mon cœur sans vie et ma bouche sans voix, Je courus à ce fatal rivage ; La douleur ailée qui me ravage Hâtait, comme l’amour hier, mon pas tremblant, Le sable appesantissait mes pieds blancs Déjà affaiblis par ma jeunesse ; Ô, fatale douleur, ô, mortelle tristesse ! Comme ta couche le rivage était désert ! J’y courus encore. Et aux arbres verts Et aux vents, en songeant à ce lit vide, Je demandais Thésée, plus livide Que la nuit qui, docile, courba mon front. La mer, où ton père cache ton affront, Ne me répondit point. Les antres blêmes, Amis, répétaient ton nom que j’aime, Secondant de ma voix l’écho pâli ! Doutant encore de ton cruel oubli, Sur un roc que les flots acérés minent, Je montai. Ô, souvenir qui me chagrine ! Ô, perfidie ! Ô, infâme trahison ! Je vis, sereine sous le vaste horizon, Ta voile qui dans la mer errait encore Et que Notos, le fils de l’Aurore, Emmenait à un rivage inconnu ! Ma pudeur n’effrayant point mon sein nu, Je montrais à ta voile, déshonorée, Les lambeaux de ma robe déchirée, Pour que tu me visses. Mais en vain j’appelais Ta nef que loin de moi l’onde exilait ! Je criais : « Reviens, héros barbare Que nul monstre dans l’univers n’effare Et qui de ce rivage semble trembler En fuyant une amante au cœur troublé ! » Bientôt, ma voix se tut, impuissante. Mes larmes m’étouffaient. Comme une bacchante, Dans cette île vaste, j’erre aujourd’hui, Et mes jours sont plus sombres que mes nuits ! À cette couche, à nos feux jadis propice, Je dis : « Couche perfide ! Que les dieux maudissent De cette nuit les éphémères plaisirs ! À mes tristes yeux tu ne peux offrir Le confident parjure de mon âme, Rends-moi mon amant, ô, couche infâme ! » Mais ce n’est point elle qu’il faut condamner, C’est moi, qui pour toi ose abandonner Ma Crète natale, et trahir un père ! Pour toi, héros meurtrier de mon frère ! C’est moi ! C’est moi qui vins à ton secours Et qui du fil fatal à mes amours Osai seconder ta main rivale ! Mais tu n’es point innocent ! Ta voix mâle Me disait alors : « Reine au front si doux, Par ces périls que je brave pour vous, Par mille autres que mon bras redoutable Brava, plus que ceux-ci effroyables, Madame, je jure de vous aimer ! » Ô, toi dont le bras, par les dieux armé, Fit trembler Eleusis et Athènes ; Fils de Poséidon que chante Trézène, Qui fit frémir Pnyx et Thémiscyra ; Toi dont la gloire immortelle reluira Et qu’à Hercule aujourd’hui on compare ; Vainqueur à Eleusis et à Mégare, Et à Erinéos, et à Crommyon, Qu’Amphitrite para avec ses rayons, Est-ce ainsi, héros, que tu récompenses Les bienfaits d’un cœur que tu offenses ? À Dia tu me laissas dans tes fers, Seule ici et assiégée par la mer. Outre tes maux, d’une femme abandonnée Je ressens l’effroi. À toi enchaînée, Héros, je ne tremblais point pour mes jours. Que ces temps furent doux, mais qu’ils furent courts ! Aujourd’hui, loin des hommes et du monde, Je crains la terre, les vents et les ondes ; Je crains les monstres qui hantent ces bois, L’air que je respire et l’eau que je bois, Et les dieux qui à ces lieux m’ont appelée ! Barbare ! Que ne m’as-tu immolée Avec ta massue qui brise les monts ? Je n’eusse point vécu. Et à ton nom Tu n’eusses point lié le tien, parjure ! Hélas, tout m’a trahie ! Et tes murmures Qu’amante avide, j’écoutais en rêvant, Et ton cœur, et le sommeil, et le vent ! Thésée, quand tu seras à Phalère, Raconte aux Athéniens qui te vénèrent Ton exploit, mais n’oublie point ton forfait ! Parle-leur du monstre que tu as défait Et de la fille de Minos ensevelie Dans cette île lointaine où tu l’oublies ! Traître ! Toi dont le front ne rougit point De mon trépas daigne être le témoin ; Si tu ne peux m’aimer, dans cette terre, Viens ensevelir ta victime ! Ma mère Ne mouillera point mon corps de ses pleurs pieux, Nuls doigts aimants ne fermeront mes yeux, Après ton départ, ma mort est certaine, Mais fille de toi comme les monts hautaine, Je ne souffre point que devant ce port Les oiseaux de la mer rongent mon corps Et d’être des loups l’ignoble pâture ! Ne me refuse point la sépulture Et pour honorer ma dépouille reviens, Ô, toi dont mon cœur toujours se souvient, Même morte et par mon amour humiliée, Ô, toi que j’aime et qui m’as oubliée !
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