La vie est pleine de bribes de parole, de rumeurs, de bruits de pas
sous les arcades, de cris d'enfants qui jouent ou pleurent ou
appellent leurs parents, de musiciens qui accordent leur instrument,
de vacarme de machine, de vrombissements d'avions qui s'envolent
vers les lointains comme on descendrait à l'épicerie d'à -côté, de
discours politiques ou de vente à la criée.
J'ai vu il y a longtemps un regard qui écoutait. La rue est pleine de bruit.
On prétend que les aveugles entendent mieux. Il y a des sons dont on
s'est déshabitué, comme celui d'une cariole menée par un cheval trottant
sur les pavées de Paris, qui étaient familiers à nos arrières-arrières-grands-
parents.
Les hopîtaux sont plein de râles, les jardins d'enfants plein d'aventure qui
siègent dans quelques mots et les regards en disent long.
Parfois, une parole s'élève qui tente, dans la déconstruction de la grammaire,
de retrouver le fil de la parole.
C'est ce qu'on appelle la poésie. Je me souviens, je crois que je me souviendrai
toujours, du récit que j'avais lu où cette petite fille appelait son papa mort dans
une guerre inutile, comme sont toutes les guerres, au milieu des discours qui
encombraient l'espace qui entourait corps défunt.
J'imagine les gradés, les politiques en tenue d'apparat, pressé de retrouver
la banalité de leur journée, d'échapper à la corvée de rendre hommage au
défunt. J'imagine la petite fille qui apporte opiniâtrement le dessin qu'elle vient
de faire pour le porter aux yeux éteints de son papa : j'ai dessiné ça pour toi,
papa, réponds-moi.
Je me demande si, avec tous les fragments de discours sans racines, on pourrait,
en les assemblant de manière mystérieuse, à nouveau retrouver le fil de la parole
et rassembler le poème de la vie.
Les bruits des sabots du cheval sur les pavés de Paris, quelques paroles volées et
envolées d'un politicien qui se soucie de mettre en scène quelques mots pour
attirer votre attention, qui puise dans le fonds commun des mots, et pille, et
organise une parole sans faille et sans signification.
Puis, la prière incessante de la petite fille. Papa, papa, regarde, j'ai fait ce dessin
pour toi.
Que d'amour dans le monde, que de fragments d'amour qui cherchent le lien, et que
de bruits qui l'étouffent, et quelle difficulté à en retrouver le chemin.
Le chemin est dans le coeur de la petite fille, dans son opiniâtreté à refuser
l'irrémédiable.
Toute sa vie, elle renouera le fil de ce dialogue interrompu.
Quel rapport cela peut-il avoir avec la poésie ?
Je ne sais pas, j'ignore ce qu'est la poésie, si ce n'est, dans un superbe mouvement
du coeur, la tentative de refuser la fuite, et de rester, face au mystère, à chercher
le fil, à renouer la prière, à réunir tout ce qui ne peut pas être dit, pour en faire un
présent pour celui ou celle qui, empêtré dans les bruits de la ville ou dans les silences
sans promesse, ne sait plus ce qu'il ou elle attend.
Donc, la poésie serait parole d'espoir, malgré tout. De tous les avatars que nous
traversons durant notre passage terrestre, que restera-t-il sinon cette parole
mille fois enroulées et déroulées, et quelques gestes qui nourriront les légendes ?
Nous avons acquis un petit morceau de technologie. Nous l'avons utilisé et nous
l'utiliserons pour recueillir et rassembler quelques fragments de vie et de voix. C'est
tout à fait maladroit, ca n'est pas aboutit, ca n'est pas fini, c'est pourquoi, j'espère
que c'est un petit peu infini.
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Mon voeu cette année procurer du bonheur dans mes textes ou histoires.