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Épître, Laodamie à Protésilas (Inspiré du chant XII des Héroïdes d'Ovide) Épître, Laodamie à Protésilas Silicet ipsa geram saturatas murice vestes ? Bella sub iliacis mœnibus ille geret. Ipsa comas pectam : galea caput ille premetur. Ipsa nouas vestes : dura vir arma feret. Quo possum squalore tuos imitata labores Dicar : et hæc belli tempora tristis agam. (Publius Ovidius Naso)
Ton épouse éplorée dont le cœur est las De ton absence se plaint, Protésilas ! Seule ici, attendant que tu reviennes, Ta Laodamie, triste Émonienne, Ne te voit point, radieux à ses côtés, Sourire, doux, à son cœur épouvanté ! Mes jours sont ténébreux et mes nuits sombres Et mon cœur esseulé se remplit d’ombre Quand le jour se remplit de rayons ; Maudite soit cette fatale Ilion Qui fait pleurer tant d’amantes fidèles ! Cette Ilion qui à la guerre t’appelle ! Cette Ilion où tant d’époux seront morts ! Il ne t’a point retenu à ce port Ce vent qui à Aulis retient les rames Des Grecs, bravant vainement les lames ! Ah ! Quand tu me fuyais, ce vent odieux Était propice aux matelots oublieux Mais à mes vœux n’était point propice ! De la mer cruelle sombre caprice ! Époux cher à mon cœur et à mes yeux, Je ne pus te dire qu’un sinistre adieu, Mes prières expiraient dans ma bouche Quand tu partis. Et Borée, farouche, Souleva tes voiles gonflées par le vent Qui, loin de moi, s’envolaient en rêvant ! Mes yeux suivirent ta nef fugitive – De Poséidon désormais la captive – Qui errait dans les ondes de la mer ; Quand elle disparut, ô, souvenir amer ! Je tombai sur ce fatal rivage. Mes yeux, qui ne voyaient plus ton image, Se fermèrent et ne voulurent plus rien voir ! En ton absence fidèles à leur devoir, Iphiclius et Acaste, mon père, Ô, pieux et inutile ministère ! Me réveillèrent. Je voulais mourir Devant ce port qui ne peut plus t’offrir À mes yeux, et qui de tes yeux me prive ! Loin de toi, pourquoi faut-il que je vive ? Pourquoi veiller au soin de ma beauté, Si tes yeux ne peuvent plus en profiter ? Ma chevelure au vent, comme une Ménade, J’erre, l’œil sombre et le cœur malade, Car dans ma solitude je ne puis D’une robe radieuse où l’or reluit Parer ici mes grâces abandonnées ! Les mères de Phylacé, étonnées, Osent me donner de sinistres conseils ; Elles me disent : « Reine, ton manteau vermeil À ta beauté sied mieux que ces hardes ! » Moi, être belle pour qu’on me regarde Et pour que mon époux ne me voie point ! Tandis que ma guerre aux terribles soins Fatigue son bras, pourtant redoutable, Dormir doucement d’un sommeil coupable ! Et tandis qu’un casque scintillant et lourd Appesantit sa tête chaque jour, Pour d’autres parfumer ma chevelure ! Non, je ne suis point cette Hélène impure – Puisse-t-elle périr dans les tourments Déshonorée, elle et son lâche amant ! – Digne fille de sa mère adultère ! Zeus lui-même, brandissant le Tonnerre Et me jurant un supplice éternel, N’allumera point ses feux criminels Dans mon âme amoureuse, dans mon âme chaste, Digne fille de mon père Acaste Que le preux Jason ne fit point frémir ! Je t’attendrai. Tu viendras m’endormir, Cher époux, avec ta voix qui me berce. Oh ! Viens vite ! Les larmes que je verse Sur l’encens que chaque jour je fais fumer Émeuvent les dieux, qui aiment à voir s’aimer Deux mortels dont l’hymen pur couronne, Flambeau qui reluit, l’amour qui rayonne ! Mais tant que je ne vois point ton regard, J’errerai, le cœur triste et l’œil hagard, Et pendant cette guerre de périls pleine, Par mon désordre j’imiterai ta peine ! Pâris ! Pâris ! Ô, mon ennemi mortel ! Plus que Ménélas et les dieux du ciel, Je te hais ! Et mon âme t’abhorre, Et même mort, je te haïrai encore, Hôte perfide, homme lâche, amant insensé ! Puisse le Foudre de Zeus terrasser Ta Troie ! Puisses-tu périr dans les flammes, Homme qui vendit son pays pour une femme ! Tu pris, traître, une épouse à son époux Et un époux à son épouse. Pour vous, Amants criminels, il court, le cœur mâle, À cette Troie à Achille lui-même fatale, À cette Troie qui m’inspire tant d’effroi ! Pâris, comme tu fus un hôte ingrat, sois Un ennemi impuissant. Que ton fer tombe De ta main. Je veux que tu succombes Sous les coups de Ménélas outragé, Sans que mon époux ne coure le venger ! Que mon Protésilas, loin du carnage, Pour sa femme oubliant son courage, Prudent, n’assaille que ses assaillants ! Troyens, ne percez point ce cœur vaillant ! Que mon sang ne coule point de cette blessure ! Car, s’il meurt, ma mort n’est que trop sûre ; Je périrai, ô, époux ! Que mes larmes Plus que le salut des Grecs t’alarment Et plus que cette fille de Léda ! Ténédos, le Simoïs, le Xanthe, l’Ida Sont des noms qui font frémir mon âme ; De ce puissant Hector je crains la lame, Ô, ne le combats point ! D’autres feront Tomber son casque radieux de son front ! Ne brave point ce péril inutile ! L’armée achéenne, en héros fertile, Sur son aile déployée porte un vainqueur. Oh ! Que ton bras obéisse à ton cœur ! Aime-moi, c’est assez. Et sauve ta vie ! Que pour ravir son épouse ravie Ménélas seul combatte son ennemi ! Un oracle cruel, dont je frémis, Promet la mort au premier de nos braves Qui osera fouler Troie. Les dieux savent Que je te veux vivant. Oh ! N’y va point ! Que tes yeux de ce rivage demeurent loin Et qu’il demeure plus loin de tes voiles Que la terre des radieuses étoiles ! Je plains cette épouse dont l’œil éploré Reverra mort un époux adoré Et verra loin de lui blanchir ses charmes ! Ô, Grecs ! Dans la mer jetez vos armes Et n’offensez point un dieu jaloux ! Ô, vaisseaux d’Inachus ! Où allez-vous ? De Poséidon vous bravez la colère, Repentez-vous, mortels éphémères ! Ce dieu protège sa ville. Comme des forts, Les vents puissants s’opposent à vos efforts. En vain vous bravez, avec vos glaives, Son trident qui jusqu’aux cieux s’élève Et qui étonne la terre et les cieux ! Pour vos femmes, pour vos fils, quittez ces lieux Où la mort vous appelle et non la gloire ! N’en doutez point ; vos anciennes victoires Vous suffisent, et chacun de nos guerriers, Appesanti par un faix de lauriers, En trébuchant, à marcher s’évertue ! Par les dieux eux-mêmes Troie est combattue, Pour son salut ou pour sa destruction, Laisser leur ire ou leur bénédiction Pencher, au lieu de vos aruspices ! Des ondes ennemies écoutez les auspices, Oh ! Ne bravez point les flots courroucés ! Mais que dis-je ? Époux, à mon cœur blessé, Pardonne ce crime où ton amour le plonge ! Ô, Grecs, ce n’est point à vous que je songe ! Mais c’est pour toi que je pleure aujourd’hui, Toi qui fus mon jour et qui es ma nuit ! C’est à toi dont la flamme me dévore ! Tu reviendras, radieux comme l’aurore, À ton épouse soumise à tes lois Me dire ton amour et tes exploits ! Tu seras mon dieu et moi ta déesse, En songeant aux temps de notre jeunesse Nous vieillirons en demeurant sereins. Je t’attends, ô, mon amant souverain ! Chaque jour, au pied de ton idole, Que j’embrasse, je dis de tendres paroles, Je la caresse en songeant que c’est toi ! Plus propice que le ciel est mon toit, Mon lit est un rivage plein de zèle Qui au repos convie ta nacelle Et mon cœur, à tes vœux fidèle toujours, Insensible à ta gloire, veut ton amour !
*PS Mes chers amis, il s'agit là du troisième poème que m’inspirent les Héroïdes d’Ovide. J’espère ne point vous ennuyer avec ces épîtres. Mes humbles vers ne peuvent égaler la splendeur mélancolique de ceux du divin Ovide, la langue latine sait merveilleusement allier tant de concision à tant d’expressivité ! Cependant, dans ce poème, pâle reflet d’une clarté céleste, je me suis permis plusieurs libertés par rapport au texte latin : au fil de ma lecture, j’ai remarqué qu’Ovide, bien que s’inspirant d’un mythe grec, utilise des noms latins : Vénus, Jupiter, Neptune, comme pour mieux s’approprier le mythe, le « latiniser » si vous voulez. Afin d’être mieux fidèle à l’esprit du récit originel, j’ai choisi d’employer des noms grecs (comme « Ménades » au lieu de « Bacchantes », ou encore « Poséidon » au lieu de « Neptune »). Certains mots gardent pleinement leurs sens étymologiques : « amant » signifie « amoureux » ; « étonner » : frapper par le tonnerre ; « ministère » : service. Désolé pour la longueur de ce poème. Le thème exigeait une certaine patience dans la description et dans la diégèse.
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