Plume d'or Inscrit le: 5/3/2008 De: Tunisie Envois: 1238 |
Les vies antérieures (épopée mystique) Les vies antérieures (épopée mystique) J’ai longtemps habité sous de vastes portiques Que les soleils marins teignaient de mille feux, Et que leurs grands piliers, droits et majestueux, Rendaient pareils, le soir, aux grottes basaltiques. (Charles Baudelaire)
Une nuit, le rêve m’emporta sur son aile À son pays divin et enchanté. Loin des hommes et du monde épouvanté, J’ouvris, dans les ténèbres, ma pensive prunelle.
Je vis trembler toute la pâle création. Hydres ailées et monstres énormes, Du Chaos je vis tomber les formes, Puis, comme d’un arbre un fruit mûr, les humaines nations !
Les noirs GĂ©ants passaient en courbant la tĂŞte, Ils Ă©taient plus hauts que le firmament ! Partout un formidable grondement, Un tonnerre, Ă©branlait la terre muette !
Des temps antiques je vis les splendeurs terribles, Et les glaives reluire comme des soleils ; Jupiter, armé du Foudre vermeil, Ensevelir, dans deux monts, les frères invincibles !
Puis je vis s’élever les villes expiatoires, Gomorrhe, Sodome, Rome, Athènes et Babel Que les dieux, pour châtier les mortels, Comme une coupe de nectar, remplissent de gloire !
J’étais tour à tour dieu, prêtre, empereur, soldat, Tirésias à l’œil sombre, Moïse Guidant mon peuple à la Terre Promise, Zeus, Odin, Jupiter, Vishnu et Jéhovah !
De mille naissances je pris les formes diverses, Une extase infinie berçait mon cœur, Et mon esprit, subtil comme une odeur, Était comme un azur que la brise traverse !
Nulle douleur ne rongeait ma rêveuse pensée, Nef emportée par l’onde et par le vent Qu’Eurus aux doigts blancs caresse en rêvant, Comme une muse par les vers d’un poète bercée !
La nuit était profonde et tout rayonnait mieux Comme le flambeau dans la solitude, Des héros l’œil plein de mansuétude Reluisait, superbe, comme un soleil radieux !
Comme les Achéens et les Épigones, J’assaillais Thèbes, j’assiégeais Ilion, J’étais Adraste, Achille, Diomède, Créon, Le glaive qui châtie, le fourreau qui pardonne !
Le songe m’emportait, comme un Arion rapide, De la terre des hommes au ciel de Dieu ; Je vis les archanges silencieux Caresser les nuées avec leurs ailes limpides ;
Le monde en bas était comme couvert d’un voile Dont une beauté cache ses charmes à l’amour ; Rome et ses chapelles, Babel et ses tours, Dans l’azur terrestre brillaient comme des étoiles !
Je songeais en rêvant au peu que nous sommes Et à nos jours, différents et pareils, À la mort, extatique sommeil Qui, bercé doucement par l’infini, endort l’homme ;
Je songeais à notre jeunesse couronnée Qui s’envole, comme la fumée dans l’air, À la métamorphose de la chair En âme, des heures en jours, des jours en années !
Divines métamorphoses, par Ovide chantées ! Ô, impermanence, souverain Karma ! Toutes les souffrances sont l’homme s’alarma Sont éphémères, et toutes ses joies sont emportées
Par le destin, comme la rose par le torrent ! Les heures en rêvant déploient leurs ailes blanches Comme l’oiseau pour quitter sa branche, Pour quitter l’homme, qui les implore en pleurant !
Mais moi, j’étais heureux, comme un dieu immortel ! De l’Olympe, mont colosse et antique, Je buvais tout le nectar magique Et j’étais à la fois et le temple et l’autel !
Zeus, je brandissais le Foudre, Neptune le Trident, Amon le Sceptre et Anou le Tiare ; Et de loin grondait comme une fanfare Le bruit de l’univers confus, se répandant
Comme un vague parfum, dans l’existence humaine ! Mais, comme un chêne haut dans la houle debout, Mon cœur était serein et sans courroux Et des mortels je ne songeais point aux luttes vaines !
Comme l’aile d’un oiseau que réveille le matin, Du saint Royaume je vis s’ouvrir les portes Et des vierges qui dans leurs mains portent Des fleurs moins parfumées qu’elles, et ont l’air lointain.
« Nous sommes les Parques ! » me dirent-elles, et ces fleurs Que nous respirons sont les destinées ; Dans nos mains elles sont vite fanées, Nous en cueillons d’autres quand elles tombent comme des pleurs ! »
Plus loin, un géant à l’œil radieux qui souriait Et un deuxième géant, à l’œil sombre, Qui semblait, haut et fier, un mont d’ombre, Contemplaient le monde, et leur voix divine priait.
Le géant dont l’œil est radieux me dit : « Je suis L’idée du jour » doux était son murmure, Et le géant à la prunelle obscure En grondant me dit : « Je suis l’idée de la nuit ».
Ils me dirent ensemble : « Nous sommes l’Harmonie ! Frères, nous sommes du même sein sortis, Dans le monde éternellement retentit Notre chant immortel, notre voix infinie ! »
Je m’éloignai d’eux, à chaque pas changeant de forme. Je vis, près d’une rivière au doux regard, Haut sur son thyrse, un tranquille vieillard, Dont l’œil pour s’endormir jamais ne se ferme.
Il était calme. En lui rayonnait la santé, Les rides ne balafraient point son visage, Au fond de sa prunelle, nul orage Ne grondait. Ébloui par sa divine beauté,
Je lui demandai : « Qui êtes-vous donc, homme auguste ? » Il me répondit : « Je suis la Raison Qui reluit, comme sur l’Argo la Toison, Sur le front de l’homme sage et de l’homme juste ! »
Je m’avançai. Sur un mont comme le ciel haut, Je vis une femme au doux sourire Dont les doigts blancs caressaient une lyre. Sous sa paupière blanche, son œil était plus beau
Que le soleil sous les printanières nuées ; Elle répandait, comme une musique qu’on voit, Le parfum limpide, dompteur des rois, De sa chevelure par le vent remuée ;
De l’ange elle avait la blancheur, de la femme La paresse, de la reine la majesté. Sa robe voilait avec chasteté Ses charmes aux hommes, et sa bouche disait pourtant : « J’aime ! »
Je lui dis, en levant vers elle mes yeux éblouis : « Ô, souriez, déesse ! Souriez encore ! Vous êtes plus belle que la nuit et l’aurore, Le soleil de votre beauté doucement reluit
Dans l’azur de votre front, plus majestueux Que le mont où je vous vois reposée ; Près de ces roses vous semblez la rosée, Dites-moi votre nom, belle au sourire oublieux ! »
Avec sa voix plus douce que le chant des oiseaux Cette belle me dit : « Je suis la Poésie ! Comme les dieux, aux hommes je donne l’ambroisie Et je sais le secret des vents et des roseaux ! » J’errai plus loin. Dans un pré vaste comme le ciel, Où les fleurs répandaient leurs haleines Comme des coupes de liqueur pleines Et comme des calices divins remplis de miel,
Je vis un homme debout, couronné de roses, Comme on couronne un vainqueur de lauriers, Il avait l’air serein et il riait En voyant sous son pas fleurir la terre heureuse ;
Et il était plus beau que l’antique Adonis Homme dont deux déesses furent amoureuses ; Dans son sourire nulle pensée douloureuse Ne répandait sa nuit. Par la jeunesse béni, Il était pareil au soleil qui ignore Et qui aime pourtant à rayonner, Et il semblait un astre abandonné Dans ce pré céleste, que l’azur déplore !
« Jeune homme, lui dis-je, le ciel est ta demeure ! Ô, ange ailé, que fais-tu donc ici ? Et pourquoi te vois-je, rêveur ainsi, Contempler la nature et oublier tes heures ? »
Il ouvrit ses lèvres comme l’enfant sa paupière Et il me dit : « Je suis l’Amour divin ! Comme Bacchus remplit les coupes de vin Je remplis les cœurs des hommes de ma lumière ! »
J’errai encore. Cette fois, je vis dans l’azur Une lumière immense, plus radieuse Que le soleil lui-même. Mystérieuse, Elle m’éblouit. Vers ce flambeau vivant et pur,
Je hâtai mon pas, comme au rivage la nacelle. Mes yeux ne pouvant la contempler, Je les baissai. Elle semblait m’appeler Cette lumière qu’en voyant l’esprit chancelle !
Je m’approchai d’elle. Mon cœur était plein d’effroi Et d’amour, tant elle était formidable ! Je lui dis : « Lumière insondable, Qui êtes-vous ? Je vous implore, répondez-moi ! »
Je vis alors pâlir le firmament radieux, Je vis les monts à genoux, et les chênes Prosternés comme des captifs qu’on enchaîne, Et j’entendis une vois me dire : « Je suis Dieu ».
*PS Je sais que ce poème est beaucoup trop long...désolé.
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