Plume d'or Inscrit le: 5/3/2008 De: Tunisie Envois: 1238 |
Ab imo pectore (Dédié à mon cher cousin, mort le 13/04/08) Ab imo pectore
Ô, vains chagrins, ô, soupirs superflus ! C’est donc vrai ! Je ne te reverrai plus Doux ami de ma radieuse enfance ! Rappelle-toi ces temps de bonheur et d’errance ; Ces temps magiques, que le cœur n’oublie pas, Où le rêve conduisait nos jeunes pas Aux prés verts où le soleil rayonne Et la lune reluit comme une couronne ; Où, comme un amoureux de son sort las, L’oiseau sur sa branche chante tout bas ; Ô, rappelle-toi, mon ami, mon frère ! Rappelle-toi ces temps doux et éphémères ! Comme deux nefs dans une paisible mer, Nous errions dans le vaste univers, Nous étions petits et le monde immense ; Tout, le jour qui finit et recommence, La forêt dont l’œil ne voit pas le fond, Nous semblait mystérieux et profond ! Sereins pourtant dans notre solitude, L’hiver aux mains rauques et aux caresses rudes Ne nous caressait point. Et le printemps, Père au grand cœur, nous berçait en chantant Mille chansons douces et lumineuses ! Nos deux mères, tendres déesses, âmes pieuses, Veillaient sur nous. Et nos pères puissants Nous disaient mille choses en nous caressant, Ils nous parlaient de Dieu, de la nature, De l’amour qui unit les créatures, Du ciel où sont les morts, et des vivants, Et nous, nous les écoutions en rêvant, Attentifs à chacune de leurs paroles Puis, cherchant dans le monde des symboles, Nous allions contempler la grandeur Du ciel, respirer le parfum des fleurs Et voir, à l’heure du crépuscule, Où se cache le soleil, frère d’Hercule ! Nous étions deux oiseaux, deux angelots, Le songe nous emportait sur ses flots, L’enfance nous emportait sur ses ondes, Loin de la ville qui gémit et gronde, Aux bois profonds, aux monts vertigineux, Où du Seigneur l’on voit l’œil lumineux, Radieux dans l’ombre vaste et funèbre, Sourire doucement dans les ténèbres !
Ces temps ne sont plus, hélas ! Aujourd’hui Tu es mort ! Et moi, seul dans la nuit, Loin de toi, je gémis et je pleure ! Tu es mort ! Oh, pour que tu demeures Toi, héros qui bravas la mort mille fois, J’eusse donné ma vie ! Pour ouïr ta voix, J’eusse offert la coupe de mon âme À la mort, qu’elle y verse toute sa flamme ! Hélas ! Hélas ! Où es-tu maintenant ? La mort à l’aile obscure, ta main tenant, Jeune encore, mais pâle, mais sublime, T’a conduit au tombeau, son abîme ! Tu n’avais que vingt-cinq ans ! Vingt-cinq ans, C’est l’aube douce de la jeunesse, quand Ne voyant partout que des aurores, Tout nous sourit, joyeux de vivre encore ! C’est le printemps où, sans avoir pâli, Tout nous enchante et nous embellit, Où nous frémissons, dans notre paresse, D’un doux baiser, d’une amoureuse caresse ! Mais cette aube divine et sans remords, Pour toi, c’est le crépuscule de la mort ! Ce printemps où l’on voit tout reluire, C’est l’hivers sombre, au ténébreux sourire ! Le destin couvrit d’un vaste linceul Et ton père aimant, et toi, l’enfant seul ; Ce linceul que tissait sa colère ! Qui peut aujourd’hui consoler ta mère À qui Dieu a dit : « Mère, voyez S’envoler les deux oiseaux du foyer ? » Qui peut consoler cette mère chagrine Qui vit s’éteindre ses deux clartés divines, Le père et le fils, l’enfant et l’époux ? Ô, d’un sombre destin sombre courroux ! Ô, loi cruelle, ô, arrêt sévère ! Dieu, vous savez que mon cœur vous révère, Vous savez qu’en vous je crois, qu’en vous j’ai foi, Mais de cette mère tendre pourquoi Briser le cœur ? Pourquoi à la fois prendre Et l’enfant radieux, et le père tendre ? Et pourquoi d’un foyer faire un désert ?
Moi, mon cœur est las. Car je vois l’hiver Emporter toutes les roses que j’aime ; Toutes ces roses, je les vois, blêmes, Tomber, pâles, dans le gouffre de l’oubli, Et en pleurant je les ensevelis Dans le linceul de mes rimes éplorées ! Ô, frère, que tes mânes soient honorées ! Que l’aube dise à l’aurore et au soleil Ton nom, à d’autres noms point pareil, Et que la nuit au jour le murmure ! Car ton cœur était bon et ton âme pure, Car la fange de vice n’a point souillé Ton aile blanche ; car tes yeux mouillés De pleurs, voyaient l’éternelle lumière De Dieu, que bénissaient tes prières ! Sois béni, mon frère ! Toi qui déployais Tes ailes pour quitter le monde, et voyais Ton père dans tes songes te dire : « Je t’attends, mon enfant ! Tu soupires, Mais tu trouveras le repos éternel ! » Et tu disais à l’ange paternel : « Ô, mon père ! Je gémis et je souffre, Je vois la douleur ouvrir son gouffre Sous mes pieds, qui ne peuvent plus me porter ; Dans mon azur je n’ai point vu monter L’aurore de l’amour et de la jeunesse ; Ma vie a passé comme l’éclair passe, Je ne veux pas mourir ! Je n’ai point vécu ! Dans ma courte vie, hélas ! Je n’ai vu Que par l’œil du tourment ! La maladie Me ronge chaque jour avec sa dent impie ; Mais je sais que dans un monde sans douleur, Le Seigneur me promet un sort meilleur, Oui, je souffre. Mais je meurs tranquille, Car je n’ai point péché. Comme une idylle Mes jours coulèrent ; à ce moment fatal, Je suis heureux ; je n’ai point fait le mal. »
Oh ! Sois béni ! Que le ciel que j’implore T’exauce, ami innocent de l’aurore ! Dans l’ombre de Dieu repose donc en paix, Ô, frère de mon âme ! Nul lourd faix N’appesantit plus ton cœur magnanime, Noble héros dont le souvenir m’anime Et reluira, éternel, dans mes chants, Comme le soleil en quittant le couchant !
|