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La montagne Du Djellaz, vue un soir (El Djellaz: cimetière en Tunisie) La montagne Du Djellaz, vue un soir
J’aime à te voir, montagne au front fleuri Dont la bouche chaque jour nous sourit, Ô, montagne haute et souveraine Et fière comme les antiques reines Dont le sceptre ployait tout l’univers ! Si hautaine que nos neigeux hivers De tes arbres n’ont point courbé les branches, Comme d’un vieillard chenu la tête blanche D’où l’on voit choir les rêves et les cheveux ! Mais tu es grave et hautaine, et tu veux Au-dessus de nos bruits, de nos violences, Régner, comme un Sphinx dont l’âpre silence Ne dit rien, hélas ! à l’homme tremblant ! L’on voit sur ta cime les nuages blancs Couronner, mystérieuse auréole, Ton front saint, qui jamais ne console Le cœur humain par la houle flétri ; Mais tu vois, sombre, ceux qui ont péri Et, radieuse, ceux qui vivent encore, En leur disant : « Bientôt, cette douce aurore Que vous voyez reluire aujourd’hui, Sera plus ténébreuse que la nuit Et l’on vous verra lentement descendre Où tout descend. Comme un peu de cendre Demeure, petit vestige d’un grand feu, Tous vos rêves, qu’ils soient nobles ou fangeux, S’évaporeront, senteurs amères, Qu’exhale l’océan de vos chimères ! Vous périrez tous, lâches ou triomphants ! Ce qui réunit la mère et l’enfant, C’est du tombeau la rude caresse Quand le cercueil ferme avec paresse Sur eux, sa porte qui ne s’ouvre pas ! Je le sais, moi, la montagne de Trépas, Qui vous vois choir, habitants du monde, Dans la tombe, comme la nef dans l’onde, Quand l’orage déploie ses ailes avec bruit ! »
Ô, montagne inhumaine qui reluit, À l’homme effaré c’est ce que tu murmures, En laissant tomber ta chevelure Sur les tombeaux profonds où sont nos morts, Comme une déesse pour voiler son corps Quand, dans une rivière, elle se baigne nue ; De ta bouche il sort une hymne inconnue, Comme d’une fleur un parfum mystérieux, Au repos tu invites nos cœurs curieux Que nul remède impuissant n’apaise ! À l’homme, que ronge un éternel malaise, Tu montres tes bras qui s’ouvrent en grondant, Comme une belle en souriant montre ses dents ! Toi dont le front vaste sur nous s’incline, Ô, tu as les tombeaux pour racines, Et pour feuillage tu as le ciel, Des deux abîmes que sondent les mortels Et dont chaque sage jadis rêva ! Car c’est au ciel que l’âme immortelle va ; Le corps périssable va à la tombe ! Tu vois l’âme qui monte et le corps qui tombe, Et, éternelle, tu es au milieu, Au-dessous de l’azur, Royaume de Dieu, Au-dessus de la terre, demeure des hommes ! Tu regardes le monde où nous sommes, Tu contemples le monde où nous serons ; Tant d’aurores claires ont doré ton front Et tant de nuits profondes et sombres, Comme l’hiver sa neige, ont laissé leur ombre Sur ton sommet haut et majestueux, Sinaï mystique où l’homme voir, radieux, Du dieu éternel l’éternel emblème ; Mer qui vois couler les ruisseaux blêmes De nos vies, ces éphémères flambeaux Qu’éteint la houle obscure du tombeau !
Oh ! Moi, amant de l’éternel mystère, Qui sonde les vérités austères Comme la nacelle un océan sans fond ; Je sais que les hommes de ce monde font Beaucoup de bruit ; que le tumulte Agite ce siècle où l’amour, le culte, Le respect de Dieu, sont de vains mots ; Et je sais, hélas ! Que mille sombres maux De l’univers rongent la dépouille sanglante Qui, tel Narcisse, voit son image tremblante Sur laquelle le vent souffle avec dédain, Reluire vite et disparaître soudain Au fond de la rivière qui change Et déploie ses ondes, comme l’ange Déploie ses ailes pour revenir à l’azur ; Nous avons oublié ces temps purs Où l’homme, dans des chants pleins de flamme, Vénérait, en tremblant, Dieu et la femme Et de la nature louait la beauté ; Où l’amour, rayonnant comme la piété, Dans chaque cœur érigeait un temple, Et où l’homme qui rêve et contemple Et l’homme qui aime et soupire parfois, Avaient tous deux le cœur rempli de foi Et l’âme remplie de douces prières ! Ô, ce siècle est errant et sans lumières ! Nul ne chante de la vie l’hymne doux Qui jaillit d’une lyre sans courroux ; On ne voit plus reluire l’auréole Du poète, maître des symboles, Et de Dieu, maître de la création !
Toi qui vois nos orageuses passions, Ô, montagne, impassible déesse, Tu nous enseignes que la sagesse Est vivre aujourd’hui, et songer demain À Dieu, qui aime tous les humains, Que tout bénit et que tout révère, Et qui nous attend, l’œil doux et sévère !
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