Plume d'or Inscrit le: 5/3/2008 De: Tunisie Envois: 1238 |
La pauvreté et nous À une femme pauvre
I Qu’avez-vous donc ? Pourquoi pleurez-vous, madame ? Oh ! Ces larmes radieuses semblent mouiller votre âme, Tant elles mouillent vos yeux, ces humides miroirs, Et, comme un voile épais, vous empêchent de voir ! Vous marchez, lasse. Les cailloux, comme des épées, Ont blessé vos deux pieds blancs. Ô, sombre épopée De la misère ! Où les pauvres, noirs combattants, Toujours vaincus, s’avancent, ténébreux, haletants, Et hantent éternellement la cité des hommes Comme un château désert que hantent les fantômes ! Ô, madame ! J’entends votre cœur soupirer, Je vous entends gémir, et je vous vois pleurer, Tandis que vous portez, fardeau de lumière, Votre cher enfant, que bénissent vos prières ! Vous marchez encore ; des innombrables passants, Vous évitez les yeux terribles et menaçants, Oh ! Tous les regards sont pour vous des injures ! L’on vous sait misérable et l’on vous croit impure, À cause de vos haillons, à cause de vos douleurs ! Et, tandis que votre cœur saigne comme une fleur Qu’une main inconsciente, malgré ses plaintes, coupe On ajoute une goutte de fiel à votre coupe Déjà pleine, hélas ! À votre malédiction L’homme ajoute l’insulte et raille votre affliction ! Car les bals rayonnants où les robes tournoient Où ces femmes stupides et aveuglées par la joie Sous les regards des hommes dansent lascivement, Voient par l’œil du bonheur, non par l’œil du tourment ! Ces vains plaisirs, où nos âmes chaque jour s’abîment, Nous rendent insensibles à l’amour magnanime !
II Oh ! De Dieu en colère combien d’avertissements Nous ignorons, malgré les puissants châtiments ! Cette sombre créature, qui en nous sommeille, Dit : « je n’ai point d’yeux, je n’ai point d’oreilles, Pour voir vos malheurs, et pour entendre vos cris ! Parce que tout homme vit, tout homme périt ! L’amour ? Vague illusion ! La pitié ? Chimère ! Vous vivez ? Maudissez vos pères et vos mères Qui vous ont vu naître, et que vous verrez mourir ! Misérables mortels ! Vous êtes nés pour souffrir ! Vous êtes vains, vous êtes petits. Vos humbles vies Sont des nefs brisées, par les houles poursuivies ! Vous marchez dans l’ombre et vous courez dans la nuit ! Vous aimez tout ce qui vous blesse et tout ce qui vous fuit ; Vous aimez la femme parce qu’elle vous tourmente, Le travail parce qu’il vous fatigue, et l’amante Parce qu’elle vous trahit. Vous errez, éperdus, Pareils à l’avare qui pleure l’or qu’il a perdu, Pleurant vos illusions, vos rêves, vos mensonges, Et portant le deuil de vos chers songes ! Mourez, misérables ! Ou, vivez pour périr ! Et ne cessez point de marcher et de courir, Comme le jour à la nuit, à a tombe ouverte, Victimes sur l’autel du Trépas offertes ! »
III Oh, madame ! C’est pourquoi, sourd à votre malheur, L’univers ignore votre morne pâleur ; C’est pourquoi vous errez, sublime et hagarde, Sans que nul ne vous plaigne et ne vous regarde, Ô, ma pauvresse ! Ange que les hommes ont fait choir Des immensités bleues au précipice noir ! Hélas, hélas ! Tandis que vous errez, madame, Dans les superbes palais, maintes autres femmes Marchent, majestueuses, couvertes de soie et d’or, Insensibles aux vivants, oublieuses des morts ! Tandis que de vos yeux humides coulent les pleurs, Le rire embellit le front du monde extérieur ; Tout un monde bruyant, effronté, stupide, Que ni la jeunesse et son sourire splendide, Ni la vieillesse et ses augustes rides, n’ont pu Emouvoir, tant son cœur est noir et corrompu ! Et vous êtes, hélas, pauvre femme malade, Pareille à l’immense et rouge estafilade Sur l’armure de cet univers triomphant !
Qui sait ? Peut-être que plus tard, ce doux enfant Qu’aujourd’hui vous portez sur vos épaules lasses, Dira, la nuit au cœur : « que le mode trépasse ! Ma mère n’a pas pu attendrir ces hommes fats, Et moi, j’obtiendrai par la force de mon bras Ce qu’elle n’a pas pu obtenir par ses larmes ! Tout le monde tremblant croulera sous mes armes, Je tuerai, je serai un illustre voleur ! Je te vengerai, mère ! Pour chacun de tes pleurs, J’occirai un homme ! Et la froide épouvante Accompagnera mes pas dans l’ombre hurlante ! Tu as été méchante ; je serai monstrueux ! Tu as été la douce brise et moi, flot furieux, Je dévasterai la cité des hommes impies Et j’ignorerai l’œil de leur dieu qui m’épie ! »
Et il errera, comme vous sombre et ténébreux Comme vous maudit et comme vous malheureux, Et de sa bouche cruelle mille horribles blasphèmes Jailliront, comme le sang jaillit d’une plaie blême, Et parfois, sentant une goutte humide sur sa main Tomber, sans lever ses yeux au ciel, inhumain, Il suivra sa route par le Satan tracée Essuyant furtivement cette larme effacée Qui tombe tristement de l’œil rempli de fiel De sa mère, qui le regarde dans le ciel.
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