PARLER AU VENT
Certains qui ont frôlé la mort se souviennent parfaitement bien avoir vu se dérouler toute leur vie en quelques secondes ; avec, ici et là , quelques refrains joyeux, des hymnes à l’amour, quelques orages et des torrents d’allégresse ; mais aussi ces pages flétries dont la vie n’a que faire.
Lui, cette nuit – là , durant son sommeil, entreprit de n’en oublier aucune, de reprendre l’histoire à sa première page. IL fit tout son possible pour classer avec soin et dans l’ordre chronologique celles que les années avaient épargnées ou simplement gravées. En fait, seules des images subsistaient dans ce miroir où se joue le temps : parfums et couleur se mélangeant, les voix se modulant sur d’autres tessitures. Mieux tout de même qu’un film muet !
Les visages eux –mêmes subissaient de terribles métamorphoses : ils étaient paradoxalement différents et semblables. C’était comme un miroir menteur avec son mirage de cohérence : une sorte de dénominateur commun, une clé qui permettait d’accéder à l’invisible, d’aller et venir d’un espace à l’autre sans trop de peine. Pour autant ne courrait-il pas le risque de les perdre en une seule nuit ?
Que pesait donc sa vie, l’angoisse en plus. Ou que pesait son angoisse ? Lui, il traçait les chemins d’un ailleurs, ce refuge où rien, jamais, ne se perdrait. Pourquoi concevoir un ailleurs ? La vie n’était – elle pas qu’un mouvement perpétuel avec ces heures qui s’égrènent quoi que nous fassions ; en cela, il ne faisait pas exception : le souffle de la vie l’entraînait.
Cependant, bien que son langage ne soit pas toujours compréhensible, Lui savait parler au vent. Pas absolument, non ! Le désir d’absolu lui taraudait l’esprit mais ce n’était qu’une utopie de plus. L’absolu, une pensée humaine, communiant à l’intuitive mémoire stellaire ?
Etrange pensée discrète comme une ombre : exigeante maîtresse dont il entendait les soupirs incessants. Alors, dans un accès d’humeur exécrable, il fuyait ses bras. Elle se gaussait de tant d’efforts déployés,, s’évertuait à le solliciter en lui remémorant la saveur des fruits, l’embrasement des sens, l’appel de la chair, usant comme d’une arme de sa soif de l’authentique et de la qualité.
Lui, dans son rêve, précipité, ramassait les feuillets et promettait de faire un grand discours au vent…
Pierre WATTEBLED – le 10 février 2008
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