Quand on vous a volé votre enfance,
Et, avec elle, votre innocence,
Quand on vous a, hélas, ravi
Une partie de votre vie,
Vos âmes, ombres en errance,
N’auront jamais de répit.
Il nous reste, aujourd’hui,
De ces instants d’une autre vie,
Que quelques photos jaunies,
Que le temps qui fuit détruit.
Il nous reste votre mémoire,
Elle découvre les miroirs,
Et le poids de vous souffrances
Rompt enfin ce lourd silence
Où vous étiez enfermés,
Depuis de si longues années.
Trop longtemps votre détresse,
Par pudeur ou par paresse,
Incapable de s’épancher,
Vous a gardé emmurés.
Evoquez ce tatouage indélébile,
Ce matricule sur vos poignets,
Cette époque d’horreur et imbécile
OĂą la colombe de la paix
En holocauste s’est empalée
Sur son rameau d’olivier.
L’ignorance et la défiance,
La bêtise, l’indifférence
Vous ont jetés en pâture
A l’aigle de la guerre
Aiguisant, comme un parjure,
Ses griffes délétères.
Vous avez pris la mer par gros temps,
Abandonnant vos lits d’enfants,
Ceux des grâces matinées
Des jours d’école sans cahiers.
Vous étiez devenus « l’étranger »,
Celui qui doit être condamné,
L’envahisseur, le prédateur, le coupable !
Celui dont on détruit les châteaux de sable…
Et une vague monstrueuse,
Destructrice et impérieuse
A détruit votre petit monde,
Rien qu’en quelques secondes,
Renversant tous les tiroirs,
Fracturant portes et placards,
Brisant la vaisselle ainsi que les miroirs.
Et la peur avec un « P » colossal,
La Peur, en grosses gouttes perlées,
La Peur, la tristesse, comme des vestales,
Sont entrées en vous, pour ne plus vous quitter !
oOo
Revenus de cet enfer grotesque
Et concentrationnaire,
Dans des corps décharnés
Et des crânes rasés,
Vous traînez, avec des yeux dantesques,
Le souvenir hagard de la mort !
Oh ! Apprendre Ă ne plus avoir tort !
Oh ! Apprendre Ă ne plus avoir peur !
Regarder le monde sans la douleur,
Apprendre Ă ne plus vous cacher,
Regarder le monde avec acuité,
Ecouter pour ne pas sombrer...
RĂ©apprendre enfin Ă marcher debout !
RĂ©apprendre Ă ne plus vivre Ă genoux !
A ne plus zigzaguer,
Comme si la mer continuait,
Sous vos pieds, Ă danser.
Vos bourreaux ont distillé, dans vos veines,
Avec la terreur et la haine,
Des poisons Ă diffusion lente :
L’incertitude et l’attente…
Qu’ils soient maudits à jamais !
Que leurs âmes errent dans la nuit
Et que jamais, à l’infini,
Elles ne trouvent l’apaisante paix !
Antigone (27.01.2005)
60e Anniversaire de la libération du Camp d’Auschwitz
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(c) Antigone
"L'amour, ce n'est pas se regarder l'un l'autre, c'est regarder ensemble dans la même direction" (Antoine de Saint-Exupéry)