Une à une, les cellules se remplissent dans la plus grande discrétion. Les nouveaux détenus, détroussés de leurs armes et de leurs clés sont assommés pour ne pas crier. De bien vilains larcins dois-je reconnaître. Mais maintenant que ce travail peu réjouissant est terminé, il nous reste une chose de taille à découvrir : Pourquoi sommes nous là ?
Un fusil à la main, nous nous faufilons au hasard des couloirs, tels des ombres fuyant la clarté. La prison ne semble pas très grande, étonnamment peu surveillée, et nous trouvons rapidement le centre névralgique, menant d’une main de maître les opérations. Entrant dans un fracas monumental, tout en couvrant nos arrières, nous mettons en joug les responsables du l’établissement. Les officiers pris en otages, nous avons quelques questions à poser. Quatre détenus m’accompagnent et nous allons nous entretenir avec le plus gradé de tous, tandis que les autres sont tenus immobiles par le reste des troupes. Je n’aime pas user de la violence, mais il me faut désormais m’y contraindre pour cet interrogatoire. A chaque refus d’obtempérer, l’officier principal reçoit gracieusement de la part d’un compagnon un poing brutal, venant achever sa course dans son ventre. Les informations tant escomptées ne tardent pas à faire leur apparition.
Il existerait selon lui une salle d’archive protégée où nous trouverions tout ce qui nous intéresse, à savoir les dossiers de chaque détenu. Nous en prenons alors la direction en compagnie de notre invité désemparé et profondément surpris, puis arrivons sur les lieux. Il ouvre la porte, posant son doigt sur une plaque de verre prévue pour l‘occasion, seul signe de modernité en ces lieux, et je demande à mes frères de rester au dehors avec lui. Unique privilège que je m’accorde en retour de la libération que je leur ai offerte.
Je trouve par inadvertance le dossier concernant les raisons de notre amnésie et m’en trouve consterné, pour ne pas dire anéanti. Peu à peu la réalité émerge tristement, sourdant de toute part, glissant sur les murs, rampant le long du corps pour percer insidieusement l‘esprit. Il flotte dans l’air comme un parfum amer, et dans ma tête, quelques souvenirs fugitifs rejaillissent. Des images succinctes, des cris de détresse, un sourire malsain et des visages terrifiés. L’atmosphère se glace, devient pesante et le temps se fige. Le poids de la vérité charge mes épaules, espérant ne pas me voir m’en relever. Nous ne sommes au final que les cobayes d‘une prison en test, où les condamnés voient leur mémoire mise à bas pour les tenir dociles et sages en attendant de franchir la ligne verte. Mais bien pire encore, l’angoisse de feuilleter mon propre dossier me tiraille, comme si j’en connaissais déjà le contenu mot pour mot. La peur de comprendre le pourquoi de ma présence en ces lieux devient atroce, et une curiosité acérée me pousse à chercher frénétiquement ce qui me concerne. Tremblant, je fouille parmi les casiers et trouve finalement la clé de toute cette énigme. Je m’assoie maintenant, hésitant et terrifié. Je n’ose ouvrir cette pochette cartonnée, mais il le faut pourtant.
Les feuilles défilent les unes après les autres, et la culpabilité émerge, sentiment acerbe pour un homme se croyant innocent. Les larmes coulent. Le cœur tambourine sous la poitrine, et je reste paralysé. Il est des réalités sévères que nul homme ne peut endurer ou comprendre. Cherchant la force, je me lève et titube jusqu’à la fenêtre, rongé par le remord, bercé par les regrets. Je n’avais pas vu la lumière du jour depuis des semaines. Mais aujourd’hui, elle brûle et a perdu sa douceur d’antan. J’ôte ma chemise pour briser la glace discrètement et m’empare d’une pièce de verre.
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Assis dans un coin, la dureté des images s’intensifie, les cris deviennent plus stridents en moi-même. Ces êtres imaginaires me communiquent leur masque d’effrois. Mais je reste pourtant silencieux. Le visage crispé, la tension à son paroxysme, je sombre. Deux tâches vermillon se répandent sur le sol, issues d’une source qui bientôt tarira. Ma vue se brouille peu à peu et je ne distingue plus que des ombres. Les battements ralentissent, les frissons s’emparent de moi. La force me quitte et mon corps s’affaisse. Je vous en fais don! Non pour chercher le pardon car je ne le mérite pas, mais pour une raison bien plus profonde et personnelle.
Les yeux se ferment, je ne sens plus mon corps. Un sentiment de légèreté naissante m‘envahit. L’âme tourmentée quitte son enveloppe, retourne à la source, et ne trouvera jamais le repos éternel. Condamné à errer, je vous fais mes adieux. Ainsi s’achèvent les confessions d’un violeur d’enfants.
Voila, j'espère que je vous ai fait passer un bon petit moment de lecture
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Derrière le venin des mots, il faut y voir un pardon en demande...