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Les parlementeuses (Mot de mon vocabulaire)
Les parlementeuses (Mot de mon vocabulaire)
M/S Tigre, Baie de Diego-Suarez, Madagascar Quand il n'y avait plus de place à quai, nous étions obligés de mouiller au large, face à la ville de Diego, les bateaux plats du port venaient charger ou décharger notre cargaison. La manœuvre durait plusieurs jours, car bien souvent nous déchargions presque tout le bateau, pour reprendre du fret pour le retour en Europe. Le travail s'effectuait avec les treuils du bord qui marchaient à la vapeur, le travail de nuit n'étant pas autorisé pour des raisons de sécurité. Ce qui fait que moi, l'électricien du bord, après ma journée de travail, j'avais quartier libre jusqu'au petit matin, enfin presque, jusqu'à la dernière vedette navette qui assurait la liaison bord/ terre, et bien entendu terre/bord. Les pilotes de cette vedette avaient des horaires très stricts, et il ne faisait pas bon louper le coche. Quand celle qui devait nous emmener à terre était manquée, nous prenions la suivante, mais quand nous rations celle de terre et que c'était la dernière de la nuit, que pouvait-on faire ? On reste sur le rivage, à regarder au loin la silhouette de notre cargo qui se découpe au clair de lune, en se demandant comment faire pour rejoindre le bord, car la prise de service au petit jour est fortement compromise. Quand la première vedette accostera demain matin le cargo, tout le monde aura repris son travail depuis longtemps. J'étais là , dans mes pensées, quand une idée me traversa l'esprit. Souvent, le soir, des indigènes discutent sur la plage, autour d'un feu de bois, je m'approchais d'un groupe, et je racontais ma dernière vedette ratée pour rejoindre le bord. Deux hommes se détachèrent du groupe, et m'emmenaient déjà près de leur barque pour me reconduire à bord, quand les femmes s'en mêlèrent. Avec de grands gestes et de grands éclats de voix, elles expliquaient aux deux bénévoles que ce service ne pouvait être gratuit et qu'il fallait me demander le plus cher possible. Les hommes écoutaient et n'osaient interrompre les parlementeuses. Je commençais à perdre patience, connaissant le verbiage et les grandes discussions pour de petits faits, quand quelqu'un me tapa sur l'épaule. C'étaient deux autres types d'un autre groupe (des célibataires sans doute), qui voulaient bien me reconduire, pour pas grand chose. Ne voyant pas de femme autour, j'étais sûr que le manège de tout à l'heure n'allait pas recommencer. Et nous voici partis de notre côté, laissant les parlementeuses expliquer aux maris patients leur façon de voir les choses sur ce qui est de rendre service aux étrangers. Une barque, deux rameurs, moi au centre, il nous fallut quand même une petite demi-heure pour rejoindre le cargo. A un moment, je mis la main hors de la barque, pour sentir la fraîcheur de l'eau. Plus vite que l'éclair, un rameur me donna un violent coup de pagaie sur la main, ce qui me la fit remettre très vite à l'intérieur. Il n'eut pas besoin de me dire la raison, déjà un petit requin sautait à ma hauteur, me frôlant de près. -"Pardon Vazaha*, mais j'avais oublié de te dire, les squales nous guettent tout le temps, et profitent d'un moment d'inattention pour nous surprendre", crut bon de préciser mon sauveur. Mais je préférais de loin avoir un coup sur la main qu'un bras arraché. Ce fut le seul incident jusqu'au cargo. J'invitais les deux indigènes à monter également, ils se restaurèrent, je leur offris en plus quelques provisions, et surtout un petit peu d'argent, car toute peine mérite salaire. Depuis ma prise en charge sur la plage jusqu'à leur départ, il ne s'était pas écoulé une heure; mais je suis bien certain que là -bas, mes parlementeuses en étaient encore à leurs palabres. Tant pis pour elles.
* Vazaha : Mot donné aux blancs par les indigènes (prononcez vaza)
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