HUILE SUR TOILE
LE CHĂŠNE
C’est un peu essoufflé que j’accède enfin au sommet de la colline. Le sentier était raide et pierreux. L’ombre de ce chêne solitaire est bienvenue ; je lui accorde, allez, trois bons siècles, il est énorme. Le réseau de ses racines est impressionnant et l’arrime solidement au sol. Un de ses bras me servira de fauteuil, un peu rude, il est vrai : mais quand on est fatigué…
Je me désaltère à la régalade d’un peu d’eau fraîche et appréhende la vallée du regard. Le bourg de Malrivière est blotti le long du cours de la Salette, et dominé par un éperon rocheux où se dressent les ruines d’un château médiéval. Enfin deux murs de mâchicoulis et ce qui fut une tour…
Les maisons s’agglutinent à la base en alignements sinueux imposés par le cours d’eau. L’église romane et son clocher sont mieux conservés.
Je somnole, distrait, et l’image paisible du site se dilue dans le temps.
Inconsciemment, je rebâtis la forteresse, les tours et le donjon, replace la poterne et le pont-levis. Les masures au toit de chaume se placent tout naturellement sous la protection des remparts. Les paysans en servage semblent avoir une existence difficile. Pas de grands troupeaux dans les enclos. Des moutons et quelques bovidés. Les chevaux sont l’apanage du seigneur du coin et trouvent l’écurie dans la cour intérieure de la place-forte. Le chemin empierré qui serpente dans la vallée constitue une voie de communication incontournable de cette région montagneuse. Source de profits conséquents pour les châtelains qui ne manquent pas de prélever le péage de l’unique pont. Un foirail ceint d’une palissade occupe une aire à l’entrée sud.
J’imagine sans peine l’animation des jours de marché, les fêtes votives et les réjouissances présidées par le maître des lieux. Les moissons, bonnes ou mauvaises aussi. La famine, les brigands, les pillages et les incendies, les épidémies venues d’ailleurs, les batailles sanglantes pour la possession du site et son rapport juteux. Le cortège des misères. Reconstruire, panser les plaies, rebâtir l’avenir : ces gens étaient tenaces et courageux, portés par la foi. Ils ont bravé l’adversité pour nous léguer le village d’aujourd’hui. Je ne retiens, dans mon demi-sommeil, que la fête paysanne, les rires et les chants, les rubans du mât de cocagne et les jeux des enfants…
Allons, assez rêvassé, il reste du chemin à faire. Un peu magique, cet arbre, le lien entre la terre et le ciel, entre le présent et le passé…
Parceval