Je la vois débarquer dans un matin d’avril,
Le rêve encore ouvert, mon amour de profil
Se fixant à mon dos; un rayon de soleil
Annonce avec humour la sortie du sommeil.
Je la vois magnifique, ordinaire au possible,
Quelques rires d’enfants à l’espoir disponible;
Sur la feuille, un parfum de quatrains déjà lus
Reliant l’historique au fait d’avoir vécu.
Je la vois m’arracher d’un coup sec à la terre,
Hier j’étais en vie… Que c’était mieux hier !
Me serais-je douté quand je me suis levé
Qu’un réveil annonçait ma dernière journée ?
Je la vois en avance, à quelques heures près,
Impatiente et réjouie de venir me chercher,
La bouche grande ouverte, articulant un vœu :
« Te voilà sur le point de ne pas être vieux… »
Je la vois hésiter au tout dernier moment,
Est-ce un crime d’aimer malgré le dénouement ?
Plus facile, en effet, à dire qu’à trancher
La tête, à bout de coeur, de son plus grand allié.
Je la vois désarmée devant l’autre moitié,
Celle qui se refuse à laisser la beauté
Dans les doigts d’un poète au regard incertain;
Puis-je encore exister lorsque sonne la fin ?
Je la vois contredire, à mesure d’écrire,
Tout ce qui la couronne au royaume du pire
Au hasard… Un… Deux… Trois… Si c’est tombé sur moi,
Elle a beau m’attirer, je ne la suivrai pas.
Je la vois sous la douche ou dans le canapé,
Au claquement de doigts que prend la destinée
Quand elle est face au mur; foudroyante seconde
Qui exhorte ma vie à la fin de ce monde.
Je la vois à mes pieds, si c’était aujourd’hui
Que mon corps se cognait contre la maladie…
Un soupir dans le dos, du mal à respirer,
L’estomac en déprime et le cœur qui se tait !
Je la vois transformer comme dans ce poème,
Quelques rimes de trop en quelques chrysanthèmes
Qui luttent pour rester encore… encore un peu
Auprès d’une lumière encore au fond des yeux.
Et je la vois pourtant mettre fin au débat
Du glorieux dernier cri : « Mais enfin pourquoi moi ?
Et pourquoi maintenant ? » Ô réponse mesquine…
Ce qui commence, hélas, un beau jour se termine.
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"Le monde a soif d'amour : tu viendras l'apaiser." A. R.