TĂ©moignage de Corsaire...
Ô jeunesse éternelle, hostile à t’incliner,
Faut-il, donc, qu’ici même on me voit décliner ?
Mes pas lents, jadis prompts, modifient leur allure
Comme un voilier sans vent qui baisse sa voilure !
Je vous trouve bien las Ă venir constater
Qu’en mon corps tout perclus plus rien n’est à tâter !
Venez ! Je vais conter des temps d’adolescence
Où les jeux sont toujours accomplis d’innocence !
Alors oui ! Restez là , tout près de mon vieux banc
Je vais vous décliner mon passé de forban !
-Pouvez-vous, Cher Ami, situer cette Ă©poque
-En nous parlant ici d’un ton qui vous débloque ?
-Dites- nous maintenant ce qui vous fit trembler
-Quand l’honneur vous poussait à nul ne ressembler !
-Et puis, sur vos bateaux, voyait-on des donzelles
-Qui pouvaient naviguer sous noms de Demoiselles ?
Je vous parle d’un temps qui vous semble distant
Mais résonne en ma tête avec fougue pourtant !
Cet âge qui vous sied par son précieux langage
Je l’ai vécu, jadis, avec peu de bagage !
Je connus, en effet, un Maître à bien penser
Qui savait son escient toujours me dispenser.
A l’école de l’avis il avait fait fortune
Et m’en laissa ce brin de manière opportune.
Or ceci n’est qu’un pan de cette succession
Ce qui fait que je peux faire ici sécession
-Pourquoi désirez-vous pareille dissidence
-En vous cherchant, tantôt, une autre résidence ?
-Le Pays n’est-il plus ce domaine d’accueil
-Que l’on peut découvrir dans le moindre recueil ?
-Allez, reprenez-vous ! Votre humeur semble hostile !
-Faites-nous un récit de portée plus futile !
Je disais, donc ainsi, que j’allais par tout temps
En hiver, en été, en automne ou printemps
Chercher quelque butin Ă ramener en France
Harponnant l’ennemi qui peinait de souffrance !
Le Roi récompensait ce courage sans fin
Qui chassait sans répit le preux et l’églefin.
Le personnel Ă bord de la rivale flotte
Était remis au trou sans veste et sans culotte.
La gratification seyait Ă tous nos gens,
Demeurant cependant des marins indigents.
-Ainsi votre fortune a le goût d’aventure
-Et fait qu’en ce moment vous changez de nature.
-Restez donc parmi nous, malgré tous les défauts
-Que vous voyez fleurir chez tous ces vieux gerfauts
-Et ces penauds pĂŞcheurs qui se mettent en lignes
-Voulant cacher aux gens leurs pas peu rectilignes.
Je sens votre regard du mien peu différent
Car se moquant, bien sûr, d’être peu déférent !
Parmi les bons conseils de l’école publique
Figure un vrai dicton vous paraissant supplique.
Il dit en frontispice en sec commandement
« Dis tout ce que tu fais comme un gars qui ne ment !
Panse aussi tous les maux qui déforment ta bouche
Pour donner au prochain tout ce qui n’est point louche ! »
Chers Amis plaidez donc sans donner de leçons
Mais dénoncez toujours les mauvaises façons.
-Nous voici fort instruits par toutes ces paroles
-Pour n’avoir à tirer tout plein de casseroles.
-Les temps ont bien changé depuis votre verdeur
-OĂą vos contemporains se plaisaient en candeur.
-Gageons qu’à l’avenir nous soyons en sagesse
-Pour aider nos Ă©gaux de cordiale largesse.
