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     Dédé (Episode 2)
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Expéditeur Conversation
Palmier
Envoyé le :  1/9/2022 6:30
Plume de platine
Inscrit le: 12/12/2005
De: Cévennes (France)
Envois: 2670
Dédé (Episode 2)



(Episode 2)


Dédé







***

Depuis quinze ans que je suis instituteur ici, à Campelevade, jamais je n'ai vu un autre cas comme celui de Dédé, Monsieur le Maire. D'ailleurs de toute ma carrière -et je vais sur ma retraite bientôt - je n'avais jamais vu un gamin comme ça ! Je n'en reverrai jamais, à coup sûr.
Je ne sais vraiment pas s'il est fou, s'il est seulement un peu "illuminé" ou "demeuré", ou bien si c'est un génie ! Ou encore rien de tout cela, mais une simple exception. Un humain hors norme, quoi.
Quand on me l'a amené à six ans, au CP, il avait déjà un comportement assez étrange. Je l'ai mis sur le compte de la chute qu'il avait faite quelque temps avant de rentrer à l'école. Il parlait déjà peu et regardait beaucoup. Je me suis toujours demandé ce qu'il observait ainsi avec une telle attention. On aurait dit qu'il voyait des choses que vous et moi ne voyons pas, et d'autres sûrement aussi. À travers les autres, pour ainsi dire...
— Dédé ! Écoute un peu quand je parle au lieu de rêver à la lune. Tu m'entends, Dédé ?
Vingt fois par jour. Il me répondait lentement de cette voix curieuse, douce, haut perchée et légèrement zézayante :
— Oui, Monsieur !
Mais on voyait bien qu'il atterrissait de quelque part où je n'avais aucun accès, que ça lui était pénible, désagréable, qu'il ne faisait pas cela pour m'embêter.
Et il recommençait cinq minutes après.
Il n'a jamais voulu écrire correctement, mais peut-être qu'il sait. Lire, je crois qu'il sait, je crois lui avoir appris, mais je voudrais en être sûr... Et j'en suis incapable.
Son père et ses frères l'ont abandonné complètement à lui-même dès son plus jeune âge. Dès qu'ils ont été convaincus qu'on ne pouvait rien en tirer pour les travaux du mas. Il leur est inutile. Il ne sait rien faire de ses dix doigts. Alors, on le nourrit, et on le laisse tranquille. Sa famille le regarde avec inquiétude, sauf sa mère, évidemment. Ils sont encore plus inquiets depuis qu'ils lui auraient trouvé des talents de guérisseur ! Des choses extraordinaires, comme guérir les animaux simplement en les caressant : chiens, chats, lapins, chèvres, brebis... Curieux gamin, non ?
Ils en ont tellement peur qu'ils n'ont jamais voulu savoir s'il pouvait guérir aussi les gens !! C'est vrai aussi que je ne suis pas allé vérifier tout cela sur place !

***

C'est comme pour les bêtes.
Moi, je les entends, de loin, et je les comprends. Je sais quand elles se plaignent, quand elles sont malades, qu'elles souffrent. Et ça me fait mal. Eux, les autres, ils n'entendent rien. Ce sont des sourds de naissance. Une brebis qui se casse la patte, je le sais, je le sens, bien avant qu'ils ne s'en aperçoivent. Alors, si je peux le faire, si je sens que je peux le faire, je m'en vais vite la caresser pour qu'elle n'ait plus mal. Et moi non plus, par la même occasion. Je n'aime pas entendre souffrir les bêtes, je souffre autant qu'elles. Alors, je les caresse...
Les gens, c'est pire. C'est affreux, les gens... Mon Dieu ! Et je ne peux pas les caresser, ils ne se laisseraient pas faire, ils auraient peur, et puis je ne suis pas sûr avec les gens comme avec les bêtes. Je ne sais pas s'ils souffrent vraiment, s'ils sont vraiment malheureux, ou bien si c'était avant, ou si ça sera après. Pour moi, tout est au présent...
Je m'en suis aperçu lorsque Touffu est mort. Je le savais depuis longtemps qu'il allait mourir puisqu'il était devenu mort quand je l'écoutais... Il n'avait plus de pensée... J'en ai eu de la peine longtemps et je ne disais rien. À quoi ça aurait servi ? Déjà qu'ils me prennent pour un fou, un sorcier, que sais-je ? Mais ce brave chien, il le savait, lui, comme moi. Les bêtes savent toujours quand leur vie va finir. Les hommes, non. C'est étrange. On dirait que l'intelligence, enfin, ce qu'ils appellent l'intelligence, leur a enlevé toutes les sensations.
Moi je préfère être "pas futé" et bien sentir toutes ces choses importantes. Car tout cela m'appartient aussi. Je me sens concerné par tout ce qui vit, tout ce qui se cache derrière la forme d'un nuage, derrière les vieilles pierres des murs, derrière l'apparence des gens et les choses... Tout y est vivant, en silence, tout y meurt en secret et ressuscite avec discrétion, incognito, au-delà des frémissements des arbres, des forêts, des serres, sous le miroir des gours, au fond des vieux puits moussus où glougloutent les sources.
Ils ne voient que du bois où il y a de la sève, ils mettent en geôle les fontaines dans des tuyaux, les ruisseaux dans du béton. Ils captent le vent sans l'entendre pleurer et ils tuent les oiseaux sans les écouter chanter. Et ils racontent que c'est moi qui suis "dérangé" !
C'est comme pour Louisette. Ah ! Louisette ! Elle est jolie, elle est gentille, Louisette ! Elle est gaie, elle chante. Ou plutôt, je devrais dire : elle était gaie, elle chantait. Et eux, ils croient qu'elle l'est toujours. Mais moi, hélas ! Moi, je sais que ce n'est pas pour longtemps.
Parce que je la vois de plus en plus souvent sous le miroir des eaux, et même sous l'eau, dans le vieux puits moussu. Elle m'y appelle, elle pleure. Moi je m'assieds sur la margelle écroulée et je pleure aussi, jusqu'à ce qu'elle parte...
Et ça peut durer longtemps.

***

Monsieur le Maire, personne ne l'aime vraiment Dédé. Même pas sa famille, sauf sa maman, je vous l'ai dit. Je crois bien que c'est la seule personne qui l’a toujours regardé comme un enfant normal. Les autres se méfient de lui. Ses frères aînés, son père, sa sœur, l'ignorent et l'évitent autant que possible ! Il a la réputation d'avoir "le mauvais œil ". Je le sais, je les ai tous eus en classe...
Et puis il est laid. Cela n'arrange rien. Encore, il serait beau... ! Mais non ! Il est chauve de naissance. Il n'a presque aucun poil, même pas des cils ou des sourcils. Ça lui fait des yeux bizarres, à fleur de tête, avec des paupières qui ne clignent que rarement. Il est gras, boudiné. Il marche avec peine et je crois bien qu'il ne peut pas courir. Je ne l'ai jamais vu courir. D'abord, il n'a jamais essayé.
Pourtant, je crois qu'il n'est pas idiot. Je le crois même intelligent. Enfin, disons qu'il a une sorte d'intelligence qui n'est pas la même que nous. C'est autre chose. C'est une forme d'intelligence plus radicale, plus souterraine, basée sur ce qu'on ressent plutôt que sur ce qu'on comprend... Ce n'est pas facile à expliquer. Mais chaque fois qu'il parle à quelqu'un, chaque fois qu'il m'a parlé, et c'est rare, il dit des choses étonnantes avec sa drôle de voix. Étonnantes et inattendues. On dirait qu'il prévoit les évènements. On peut le dire comme ça, mais en réalité je crois qu'il les voit simplement comme si c'était de l'actualité. Pour lui tout se tient, tout est actuel, parce qu'il ressent des ensembles, d'un seul coup, dans leur totalité. Je ne sais pas si je me fais bien comprendre, Monsieur le Maire. Et ne me regardez pas comme ça ! Je ne suis pas fou. Il y a dix ans que je l'observe, ce gamin. Croyez-moi, il n'a rien d'un sorcier, ni d'un devin. Il ne sent pas comme nous, c'est tout. Nous on sent de l'extérieur, mais lui, il peut aller voir en dedans, à l'intérieur des gens, des bêtes et des choses. En tout cas, c'est ainsi que je le comprends.
Mais son entourage le surveille comme un oracle, comme un baromètre : s'il a un comportement normal, sans souci, ou même gai, ce qui est rare... tout va bien. Mais pour peu qu'il soit triste, morose, qu'il se mette à se plaindre, à pleurer... c'est le branle-bas dans le mas !! Ils craignent tout et le pire.
Son père m'a un jour raconté ceci.
En plein mois d'août, il y a une dizaine d'années, juste avant la guerre, Dédé s'est mis à gémir, à pleurer pendant plusieurs jours d'affilée. À cette époque, déjà, sa famille savait à quoi s'en tenir à son sujet et ils s'étaient tous postés en sentinelle aux quatre coins de la propriété. Sauf sa mère qui s'ingéniait à le consoler : elle se fait beaucoup plus de souci pour lui que pour ce qui peut arriver. C'est sa mère. Mais les autres passaient leur temps à surveiller les environs et à se surveiller entre eux !
Finalement, un après-midi où il faisait une chaleur caniculaire, le ciel bleu est devenu subitement tout noir et il a éclaté un orage phénoménal. Pendant plus de dix minutes, sans un éclair, sans un tonnerre, il est tombé des grêlons comme des œufs de caille. Ils sont tous rentrés en courant de peur de se faire assuquer. Les trois-quarts des tuiles du mas ont été pulvérisées !! Parfaitement. Et puis une trombe d'eau a suivi : un déluge, un quart d'heure de plus. Les pièces d'habitation ont subi une vraie inondation ! Il y a eu trois ou quatre bêtes, brebis ou chèvres, qui ont été assommées. Elles en sont mortes. Authentique !
Mais ça n'est tombé que sur leur mas et aux alentours immédiats. La preuve, c'est qu'ici, à Combelevade, à trois kilomètres, personne ne se souvient d'une chose pareille. Ça se saurait ! Ils ont tous gardé le silence sur cette histoire, mais, au mas de Dédé, il leur a fallu quinze jours de travail pour réparer les dégâts sur les toitures. Pendant tout ce temps, Dédé était resté enfermé dans la cave avec sa mère, à gémir sans interruption depuis le matin.
Enfin bref, il vaut mieux le prendre au sérieux, voyez ? C'est pour ça que je suis venu tout de suite vous prévenir quand il m'a parlé de Louisette. Je ne sais pas si vous réalisez exactement. Car il est venu exprès pour m’en parler. Il faut croire que ça lui tenait à cœur...

A SUIVRE



Extrait de "Histoires mystérieuses des Cévennes"


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Avec mes amitiés

Alain

Pour voir mon site : Mes vers à moi

""A la cour, mon cher fils, l'art le plus nécessaire
N'est pas de bien parler, mais de savoir se taire !""
(Voltaire)

dolores
Envoyé le :  1/9/2022 7:53
Mascotte d'Oasis
Inscrit le: 24/8/2009
De: france : 06 Alpes-Maritimes
Envois: 34142
Re: Dédé (Episode 2)
Bonjour Alain,

Merci pour cette suite qui m'a tenu en haleine
j'ai aimé ce second volet j'attends la suite merci l'ami
Belle journée


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Sybilla
Envoyé le :  1/9/2022 22:07
Modératrice
Inscrit le: 27/5/2014
De:
Envois: 95396
Re: Dédé (Episode 2)
Bonsoir Alain,

J'ai adoré lire le cheminement de ce second épisode !
Et j'ai hâte de lire la suite !



Belle soirée cher ami poète !
Toutes mes amitiés
Sybilla


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Presque toutes mes poésies ont été publiées en France et ailleurs avec les dates "réelles" de parution.


Le rêve est le poumon de ma vie (citation de Sybilla)

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