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     Dédé (Nouvelle) - épisode 1
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Expéditeur Conversation
Palmier
Envoyé le :  31/8/2022 8:40
Plume de platine
Inscrit le: 12/12/2005
De: Cévennes (France)
Envois: 2670
Dédé (Nouvelle) - épisode 1


Episode 1

Dédé





Je m’appelle Dédé.
J'ai grandi abandonné de tous, sauf de ma mère, la brave femme, et de mon instituteur.
Je n'aime vraiment que les serres, les valats, les sources et les roncarèdes où passe le vent. J'aime les ruisseaux, les fontaines d'eau pure où nagent les sangsues, où flottent les feuilles mortes, et j’adore le murmure des feuilles dans les forêts. C'est là que j'ai mon repos, ma quiétude. C'est là que je me réfugie, c'est là que je me repose. Car je ne me repose bien qu'éloigné de tous.
J'aime sentir la brise caresser mon visage et la pluie baigner mes yeux. J'aime le soleil de l'été et la froidure des hivers. Je ne rentre au mas que pour manger et dormir. Le reste du temps, je me tiens à l'écart. Sinon je les entends beaucoup trop dans ma tête et ça me rend triste, ça me fatigue énormément. Je suis épuisé et pourtant je ne peux pas me couper complètement de ce monde où ils vivent, eux. C'est mon monde, ce sont mes voisins, ma famille et surtout c'est ma mère. Elle seule sait me consoler. Elle seule n'a pas peur de moi.
J'aime les gens, mais eux ne m'aiment pas, car ils ont peur.
Ils ont tous peur quand ils me voient, je ne sais pas trop pourquoi. Même le père, même mes frères, ma sœur. Si j'arrive et qu'ils soient en train de travailler dans l'étable ou la cour du mas, ils trouvent vite un prétexte pour s'en aller ailleurs, pour m'éviter, pour s'éloigner. Ils ne veulent pas que je leur parle... À table, ils me jettent tous des coups d'œil furtifs. Ils regardent en coulisse la figure que je fais, si je suis d'humeur inquiète... Et c'est souvent le cas ! Avec tout ce que j'entends dans leurs pauvres têtes, avec tout ce que je sens passer ou que je sens venir, avec leurs confidences involontaires, leur futur qu'ils ignorent, il n'y a pas de quoi être guilleret tous les jours.
Alors, ils ont pris le parti de ne même plus me regarder. Sauf ma mère. Elle m'aime tellement, ma mère, qu'il n'y a que cela dans sa tête à elle. Alors, ça me repose de venir la voir quand il n'y a personne. Parce que, ne ressentir rien que de l'amour dans une tête, ça me fait du bien... C'est si rare.
Je suis né ici dans le mas des Cabanes à côté de Campelevade. Je savais que je m'appellerais Dédé avant de naître. Et je savais aussi avant de naître que personne ne pourrait me supporter, et que je serais tout seul toute ma vie avec toute la misère des gens dans mon cœur.
Pourtant, dans tout ce qui m'arrive, il y a une chose qui m'aide à vivre. C'est le lieu où je suis né, où je vis. Car il y a de grands espaces où je peux me retirer, me cacher, disparaitre. Il y a des serres, des montagnes, des forêts où je vais loin du monde, loin des gens. Je ne supporte pas les foules, je suis bien heureux d'en être éloigné.
J'étais prévenu de tout cela en naissant. On se fait à tout, mais c'est difficile quelquefois.
Maintenant, j'ai seize ans et je ne suis pas futé. Du moins, c'est bien ce qu'ils disent lorsqu'ils parlent de moi et qu'ils croient que je n'entends pas. D'ailleurs, j'en ai pris mon parti, je me suis résigné à ne pas être comme eux, je fais semblant de ne pas les entendre. C'est plus simple pour tout le monde. Comme ça, ils ne se méfient pas et, quelquefois, j'apprends des choses sur moi.
- Dédé ? Ah oui. Pauvre gamin ! Il n'est pas futé.
- C'est de naissance ?
- Plus ou moins. Mais en plus, il a fait une chute d'une terrasse en bas ! Cinq mètres. Et ça n'a pas dû l'arranger.
- Ça l'a choqué ?
- C'est ça. Choqué ! Sur la tête. Il est resté une heure dans les pommes !
-Il y a longtemps ?
- Oh là là ! Très. Il devait avoir cinq ou six ans.
Ils chuchotent, de peur que je ne les entende. Mais j'entends très bien, j'ai une ouïe de lièvre et de chien réunis. J'entends tout, et de loin. Pour vous dire si j'entends bien, figurez-vous que j'entends les sifflets à chien que les autres n'entendent pas. Les ultra-sons, ils disent... Moi, ça me casse les oreilles, ces saloperies de sifflets.
Alors, ils peuvent toujours chuchoter !! Même si je ne les vois pas, je les entends. J'entends tout le monde jusqu'à cent mètres autour de moi. Et si je n'entends pas le son, j'entends quand même leurs cervelles penser. Vous vous dites que ça doit être pénible ?
C'est vrai ! Mais au bout de quelques années, on s'habitue... D'autant plus que, croyez-moi, ce n'est jamais drôle ! Je suis au courant de tout, et même de ce qui n'existe pas encore. Et pourtant, je fais des efforts pour ne pas entendre ! J'écoute quand ça m'intéresse, quand ils parlent de moi. Et puis j'écoute les gars de mon âge, et les filles, qui me fuient comme la peste. Eux, je les écoute, ça m'apprend. Ça m'apprend à quel point ils ne comprennent rien à rien.
- Il est laid, Dédé ! se disent les filles entre elles. Il a de gros yeux, une tête ronde et cabossée, et en plus, il est chauve...
- Et surtout, il est complètement fêlé, disent les garçons. Tu peux toujours essayer de lui parler, il ne te répond pas, ou alors à-côté de la plaque. Il te regarde comme si tu étais transparent. Ou alors il te tient un discours incohérent et te demande des nouvelles de gens que tu n'as jamais vus. Il te parle d'endroits où tu n'as jamais mis les pieds...
Hé oui ! Ils sont tous idiots. Je m'y suis fait, mais cela a été le plus difficile pour moi. Je veux dire d'être tout seul fait comme je suis.
Ils ne voient rien comme moi, ils ne sentent rien comme moi, ils n'entendent rien comme moi et ne comprennent rien comme moi... Ce sont des handicapés. C'est comme ça que dit Monsieur Mathurin, mon instituteur de l'école, qui m'a appris à lire. Ça veut dire qu'ils sont empêchés, qu'ils ne peuvent pas... comment expliquer ? Qu'ils n'ont pas les capacités...
Comment puis-je parler à des personnes qui ne comprennent pas un mot de ce que je leur dis, hein ?
Ils n'entendent que le souffle du vent dans la bise qui passe, et jamais cette musique que j'entends tout le temps, moi. Ils ne voient jamais voler les anges à travers les nuages, ni danser les feux-follets sur les étoiles de la nuit. Ils n'entendent jamais crier le silence qui pleure sur les serres, ni hurler la nuit d'hiver quand la neige écrase la terre, quand le gel fige les artères du monde et les veines du temps. Ils ne savent jamais rien, ils ne voient jamais rien, sauf s'ils l'ont déjà vu. Ils appellent ça le souvenir. Et c'est vraiment pauvre un souvenir, parce que ça ne reviendra jamais plus.
De ce point de vue je suis plus riche qu'eux, parce que je ne sais jamais si ce que je vois dans ma tête, ça doit venir ou bien si c'est déjà venu. Pour moi ce qu'ils appellent le temps, ça n'existe pas, car la vie est un tout indivisible et ils n'en savent rien, les pauvres.
Je suis sûr qu'ils me disent fou à cause de cela. Ils ne savent pas de quoi je parle et ils ont peur de ce que je vais pouvoir dire.
Alors, maintenant, je me tais souvent, je me tais beaucoup...

( A SUIVRE)

(Extrait de "Histoires mystérieuses des Cévennes")


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Avec mes amitiés

Alain

Pour voir mon site : Mes vers à moi

""A la cour, mon cher fils, l'art le plus nécessaire
N'est pas de bien parler, mais de savoir se taire !""
(Voltaire)

dolores
Envoyé le :  31/8/2022 9:18
Mascotte d'Oasis
Inscrit le: 24/8/2009
De: france : 06 Alpes-Maritimes
Envois: 34143
Re: Dédé (Nouvelle) - épisode 1
Merci Alain,

Pour ce beau début d'histoire prenante
Pauvre Dédé mais il semble si bien dans son être.
Un beau partage que j'ai apprécié de lire
Bonne journée bisous l'amie


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Palmier
Envoyé le :  31/8/2022 9:58
Plume de platine
Inscrit le: 12/12/2005
De: Cévennes (France)
Envois: 2670
Re: Dédé (Nouvelle) - épisode 1
Merci mon amie. J'ai décidé de partager avec vous cette nouvelle que j'ai écrite il y a bien longtemps car c'est une de celle que je préfère dans ma production d'histoires cévenoles.


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Avec mes amitiés

Alain

Pour voir mon site : Mes vers à moi

""A la cour, mon cher fils, l'art le plus nécessaire
N'est pas de bien parler, mais de savoir se taire !""
(Voltaire)

Sybilla
Envoyé le :  31/8/2022 15:42
Modératrice
Inscrit le: 27/5/2014
De:
Envois: 95473
En ligne
Re: Dédé (Nouvelle) - épisode 1
Bonjour Alain,

Une superbe histoire émouvante sur cet homme rejeté de la société !
J'ai hâte de lire la suite !



Belle journée cher ami poète!
Toutes mes amitiés
Sybilla


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Presque toutes mes poésies ont été publiées en France et ailleurs avec les dates "réelles" de parution.


Le rêve est le poumon de ma vie (citation de Sybilla)

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