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     Les ruines de Mars (chant 6 et dernier)
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Expéditeur Conversation
Froidmont
Envoyé le :  31/7/2021 10:31
Plume de soie
Inscrit le: 20/7/2021
De:
Envois: 69
Les ruines de Mars (chant 6 et dernier)
Le silence revint, les peuples se calmèrent, dans les champs et les bourgs des hérauts le clamèrent : la paix est revenue, fini le temps du fiel ; plus aucune fumée n'obscurcira le ciel !
Dès lors les habitants revinrent aux demeures. Les cloches ne sonnaient que la marche des heures. Le boulanger reprit le travail aux fourneaux et le pain renaquit des labeurs du hameau. Les honnêtes marins, des flibustiers en liesse quittèrent la maraude et les actes qui blessent pour regagner le port, le marché aux poissons, les femmes en jupon, les débits de boisson. La résurrection des routes maritimes fit couler à flot l'or comme un immonde chyme.
On organisa même une fête et des feux où l'on faisait rôtir de longs épieux de freux, des ovins, des bovins, les viandes familières, et des légumes chauds frétillants sur la pierre. Le miel et la vinasse et le lait de brebis se mêlaient dans le bock aux plus savoureux ris ; et les bouches repues, et les bouches joyeuses lutinaient la chair morte en palpant la chair gueuse.

Mais loin des nuits de pourpre et des aubes grisés, loin des chants et des cris, loin des bruits de nausée, loin du chaume et des champs qui nourrissaient la plèbe, il existait encore un lieu comme l'Érèbe.
Sous un toit de montagne et d'ombres accrochées à la voûte de pierre, en cette obscurité, deux fragiles douleurs, deux âmes enfantines laissaient largement bées leurs deux lèvres si fines. Cette fragilité sous le rire des morts qui signalait la fin comme le sémaphore annonce la marée qui jette sur la plage, des poissons égarés, des algues photophages, avait sur ces blancheurs quelques aspects touchants, l'on se fût senti mal rien qu'en les regardant.

Ilynion se mourait de ce maigre régime, quand, émergeant alors du fond de son abîme, il vit un plat de viande, deux morceaux bien coupés, cuits au feu de bois, grillés des deux côtés, savamment disposés sur une pierre plate et qui semblait l'attendre auprès de sa main droite. Deux larmes de saphir embuèrent sa vue. Sa gorge se noua tant il était ému. Or sitôt revenu de cet état de transe, il eut une pensée pour sa chère Laurence, et ce qu'il vit alors au fond le rassura : la trace de deux tranches qui n'y étaient pas. Saisissant une tranche et remerciant Laurence, la porta à ses dents, la mangea, l'air vorace.
Alors la vie revint dans le cœur d'Ilynion, de nouveau ses yeux virent les lumières de Sion. Il passa ses soirées à dire les prières que durant son délire il négligeait de faire. Il retrouva le temps de contempler les fleurs, d'écouter les oiseaux et leurs rires moqueurs, de goûter sur sa main le glacé de la neige et d'entendre la pluie égrenant ses arpèges.
Mais la faim pour autant n'avait pas disparu. Quand il la ressentait, la pluie semblait plus drue. Le souvenir des chairs alourdissait ses pattes, et il en gémissait comme mintrit la rate. Deux journées se passèrent et le pie le céda aux malédictions, prières à Lyssa ; or dans l'ombre une oreille impavide et discrète recevait la supplique et sa main était prête.
Après ces tristes plaintes, Dieu bénit ce logis de ses célestes feux, de sa chair de sa vie. Dès lors, tous les deux jours une tranche de viande sur la pierre venait comme unique prébende. Ilynion, ravivé, retrouva sa vigueur : le plus terrible loup eût cédé à son cœur. Et l'hiver infini, les tempêtes glaciales, n'atteignait plus son corps en ces heures étales.
Vint pourtant le moment où la viande faillit. Ilynion s'éveilla, ne vit rien, défaillit, rechercha de son œil débordant de colère la place où il aurait dû retrouver la pierre. La faim le tenaillant, il pensa qu'un larcin, commis par quelque patte, commis par quelque main, lui avait dérobé sa si douce pitance. L'âme égarée, un temps, il soupçonna Laurence ! Il fouilla la caverne, cherchant quel animal l'aurait osé voler, voulant le mettre à mal ; il fouilla jusqu'au ciel accusant les outardes, agonisant d'injures la buse qui regarde, chassant à coups de pierres et l'aigle et le vautour qui, proches des nuages, le narguaient de leurs tours.
Alors il entrevit, reposant sur la neige, quelques gouttes de sang comme un sinistre piège. Il pensa un instant que c'était son repas qui, revenu des morts, s'enfuyait loin de là ; mais une pensée vive, une obscure mâchoire, comme un pressentiment, une faveur des Moires, le laissa inquiet, lui assombrit le front. Une pointe en son cœur lui disait que Charon avait d'un mouvement de ses rames funestes emportait avec lui, ne laissant que les restes, une tête si chère au parent éploré, une âme qui naguère s'égayait à chanter. La révélation le jeta net à terre : il tomba sur le sol et ne put plus s'en traire.
Il songea que depuis deux semaines déjà, il n'avait vu Laurence prendre soin de son bras.
Il rampa sur la neige et remonta les traces jusqu'à ce qu'un rocher lui dévoile la place où Laurence mussée, sans faire un mouvement, semblait faire un accueil au visage charmant d'Ilynion qui, voyant la robe dans les scilles, se disait qu'un sommeil avait saisi la fille. Il s'approcha alors, toujours au ras du sol, mû par une joie vive et un espoir de fol, mais ce qu'il découvrit derrière les branchages lui divisa le cœur entre tristesse et rage. Sur le coup, il souhaita que le ciel le foudroie, fasse pleuvoir la mort, noie de feu cet endroit !
Laurence gisait là, un couteau dans sa cuisse – elle avait dû subir un terrible supplice –, un couteau dans sa cuisse et que sa main tenait : loin de l'en retirer, elle l'y enfonçait. Du regard il fixait cette béante cuisse, voulant le détourner sans que ses yeux n'y puissent.
Ilynion, égaré par cette vision, aurait eu sur le cœur quelque moxibustion qu'elle n'eût empêché que les chairs se fendissent, que son cœur fût béant comme béait la cuisse.
Pauvre Laurence amie, pauvre enfant, pauvre sœur, pauvre âme au désespoir de sauver ceux qui meurent, pauvre cœur tout meurtri qui fit un sacrifice de son sang, de sa vie, de la chair de sa cuisse, pauvre sainte volée par la bise et le froid, toute l'humanité se lamente pour toi, pauvre fleur épanouie au bord du précipice que le siècle a fauché d'une lame en sa cuisse. Sous le coup des douleurs, elle s'évanouit : et la neige et le froid la tinrent endormie.
Ilynion se pencha sur cette robe blanche. Sa main n'osait toucher ni la peau ni la manche. La nature sembla mourir autour de lui : plus de fleur qui parfume, plus de soleil qui luit, plus de chant de moineau n'atteignit son oreille, plus de ce bal vivant qu'il aimait tant la veille, plus de charme menteur à toutes ces beautés. Il découvrait la vie depuis l'obscurité.
Sous les coups du clairon, sous les malheurs sans nombre, son âme se mua dans la couleur de l'ombre.
Sybilla
Envoyé le :  31/7/2021 18:54
Modératrice
Inscrit le: 27/5/2014
De:
Envois: 95048
Re: Les ruines de Mars (chant 6 et dernier)


Bonjour Froidmont,

Magnifique histoire poignante et émouvante sous ta très belle plume que j'ai aimé lire !



Belle soirée !
Amitiés
Sybilla


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Presque toutes mes poésies ont été publiées en France et ailleurs avec les dates "réelles" de parution.


Le rêve est le poumon de ma vie (citation de Sybilla)

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