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     Les ruines de Mars (chant 4)
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Expéditeur Conversation
Froidmont
Envoyé le :  29/7/2021 2:01
Plume de soie
Inscrit le: 20/7/2021
De:
Envois: 69
Les ruines de Mars (chant 4)
Les beaux jours épuisés, la grisaille revint, un long manteau de pluie coula du ciel d'airain, transforma les chemins en rivières boueuses et l'air de la caverne en des gelées affreuses. Moururent au buisson par centaines les baies, ni plus de lapin blanc, ni plus de cheval bai ne peuplèrent la plaine et la forêt herbeuse en égayant ces bois de leur course joyeuse.
Ces jours ont tant duré que la faim s'arrima, comme une peau nouvelle à leur corps se greffa. Ils prièrent, pleurèrent, les Cieux et les beaux anges de leur vouloir donner une chair qui se mange ; et dussent-ils alors en céder la moitié à Dieu, à tous les saints de la chrétienté, qu'ils eussent accepter, salaire dérisoire, d'en verser plus encor chaque jour, chaque soir, qu'ils eussent fait un temple, un très saint sanctuaire pour au nom du Seigneur consacrer cette terre, qu'ils eussent même admis la souffrance en leur corps, pourvu que l'estomac souffrît un peu moins fort.
Par une nuit sans lune, à faire frémir l'homme, la faim frappant plus dur, plus tenaillante en somme, Ilynion le premier connut le désespoir : il renia alors ce qu'il ne pouvait voir ! Qu'il ait pu s'élever une telle souillure en un esprit si simple, en une âme si pure, eût étonné des saints le plus chrétien de tous, comme la fleur de vie qui sur le lisier pousse.
Laurence seule encor priait pour deux le soir. Avant que de coucher sur le roc, dans le noir, elle joignait ses mains en prière muette, adressait au Seigneur ses pensées inquiètes, mais n'oubliait jamais, sa prière finie, de remercier le Dieu qui lui donna la vie. Elle implorait le Ciel de pardonner son frère, qu'il était trop normal qu'affamé désespère, et que la Bonté même, auréolée de blanc, embrasserait son fils dans son égarement. Loin de lui reprocher son attitude impie, Laurence s'abîmait pour son frère chéri : elle travaillait dur, elle creusait la neige pour trouver sous ce froid de petites baies beiges qu'elle apportait alors, le sourire radieux, à Ilynion l'athée qui s'en trouvait heureux. Pour deux baies qu'il mangeait, elle n'en mangeait qu'une, arguant qu'elle s'était régalée de deux prunes ; et quand son frère, enfant, exigeait de ces fruits, elle se reprochait de lui avoir menti.
Pour réveiller sa foi depuis longtemps éteinte, et bravant à nouveau le froid et ses atteintes, Laurence ramassa un épais bout de bois et d'une pierre aiguë y sculpta une croix. Elle l'alla placer sur la couche adorée de son frère endormi et retourna prier.
Ilynion, épuisé, fatigué de famine, garda le lit le jour et rêva de chaumine. Il lui semblait sentir le feu de cheminée, les soupes à l'oignon que sa mère faisait, l'odeur douce du pain, le goût de la mie chaude, le temps béni enfin du thé vert émeraude. Il revoyait aux murs, suspendus aux crochets, avec en leur milieu un morceau arraché, la couleur défraîchie des tapisseries noires où il se suspendait quand il jouait le soir. Il revoyait la table et l'établi du père, et le bois découpé, et la sciure par terre. Il revoyait la huche où sa mère mettait les pelotes de laine et le bois du foyer. Il revoyait la cour et son sol en dallage sur lequel il jouait durant son plus jeune âge ; et la fontaine blanche, en faux marbre italien, que son père acheta une bouchée de pain, qu'il plaça dans la cour pour servir son orgueil et qui servait à boire aux petits écureuils. Chaque invité croyait qu'une bonne carrière pour sa construction avait fourni la pierre ; et son père riait de paraître enrichi pour l’œil jaloux, envieux, des marchands avachis.
Tous ces doux souvenirs lui troublèrent la tête. Il oubliait pourquoi, au nom de quelle dette, ou bien de quel danger, ou de quelle invasion, ou quel sinistre qui détruisit sa maison, ou fut-ce le soleil qui lui chauffa le crâne et l'assécha au point de la réduire en fane ; il oubliait pourquoi il avait déserté ce logis tant aimé, ce logis regretté.
La douleur le pliait, il avait mal au ventre : une pointe perçait l’estomac en son centre. Ilynion se tenait à deux mains l’abdomen pour en calmer le feu lui causant tant de peine. Puis la fièvre arriva et bientôt le délire, Ilynion se sentit secoué de grands rires. Aux rires succéda un lourd abattement, puis un sommeil inquiet prolongea son tourment.
Laurence lui donna des onguents, des pommades, des remèdes conçus, pour les soins du malade, d’une poignée de neige et de sève de pin, qu’elle lui appliquait de ses si douces mains.
Pourtant, malgré ses soins et malgré ses prières, la quittait peu à peu le souffle de son frère.
Laurence s'affligeait de cette désertion. En cet essoufflement s'échouait sa mission. Ses tendresses de sœur, son envie d'être ensemble que les vents, les marées et la terre qui tremble n'auraient pu entamer ou tenir en échec, se voyaient abattues par cet air froid et sec, par cette maladie, comme une mort grimpante, qui aspirait sa vie dans une agonie lente.
Ilynion éveillé réclamait l'aliment qui le saurait guérir, rendre convalescent. Son estomac souffrant, sa fièvre et son délire convainquirent l'enfant, et quand, après un rire, Ilynion se saisit de son propre bras blanc, le porta à sa bouche, y imprima ses dents, Laurence, pétrifiée de voir le sang qui coule, se ressaisit alors, autour du bras se roule, crie le nom de son frère, arrache bras et chair, laisse un morceau sanglant qui régale son pair. Lors Ilynion sentant le coût de sa blessure, tordit son beau visage en une ignoble hure : aucun cri ne sortit, sa conscience sombra. Il laissa choir Laurence, il laissa choir son bras.
Sybilla
Envoyé le :  29/7/2021 21:52
Modératrice
Inscrit le: 27/5/2014
De:
Envois: 95002
Re: Les ruines de Mars (chant 4)

Bonsoir Froidmont,

Très émouvante et belle suite de ton histoire !



Belle soirée !
Amitiés
Sybilla


----------------
Presque toutes mes poésies ont été publiées en France et ailleurs avec les dates "réelles" de parution.


Le rêve est le poumon de ma vie (citation de Sybilla)

Froidmont
Envoyé le :  30/7/2021 1:48
Plume de soie
Inscrit le: 20/7/2021
De:
Envois: 69
Re: Les ruines de Mars (chant 4)
Merci Sybilla pour tes retours sur les 4 premiers chants.
Je me permets de faire un tir groupé, pour éviter les répétitions. ^^
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