Plume de soie Inscrit le: 20/7/2021 De: Envois: 69 |
Les ruines de Mars (chant 3) L'ombre loin des humains alla porter ses pas jusqu'à l'obscure grotte, au royaume d'en bas, où vivait là Nature, source de toute vie et, la vie impliquant sa contraire ennemie, mère qui engendra le si douloureux sort qui frappe tout vivant et le condamne à mort. Une rumeur disait que la Dame farouche, ennuyée des fruits secs que lui donnait sa couche, pour inventer la mort dut inventer la vie, et que par certains soirs nos bouches endormies murmurent des soupirs à bousculer le temps, son cri, dit-on souvent, de mécontentement. A trop voir que la vie dans tous les cœurs palpite, elle se retira, attendant que la quitte le dernier grain de temps lui étant dévolu. Et les siècles passèrent, et le temps jamais plus ne fit tomber sur elle le lourd glas des années : elle se retrouva épargnée, condamnée. On dit qu'aujourd'hui les spectacles de bouches, de sang qui bat plus fort, d'enterrement, de couche qui parsèment toujours les arpents de nos terres, rendirent la grand Dame et jalouse et amère. Mais une autre rumeur la faisait plus amène. On dit que dans son cœur s'agrandissait la peine de voir tous les vivants user de son cadeau en perte et en gâchis, en miroirs et en faux. Si bien qu'en sa bonté, en levant une branche, le vert vif se teinta d'une couleur moins franche, pâlit, rougit, noircit et bientôt s'envola en une poussière, et plus rien ne bougea. Elle venait alors de donner sa valeur au cadeau de la vie en inventant les peurs, en inventant le temps, la mort et les soucis : et dès lors les prairies verdirent de puissance ; voyant la mort prochaine, on vivait de bombance ; chaque instant, précieux, se goûtait mille fois ; tout rayonnait de vie, du chasseur à la proie. Et la mémoire vint aux enfant de Nature qui chérirent les temps, qu'ils leur soient mols ou durs. C'est devant cette Dame et son antre magique que l'ombre vint porter sa fièvre nostalgique, et ses millions de gens le suivaient inquiets. Quand sa main se porta au manche de l'épée, on sentit comme un flot s'élever sa folie, comme en un peuple en liesse qui d'une voix élit le tyran qui, un jour, causera leur trépas, éructant de grands cris, se brisant de vivats. Il tira du fourreau la lame meurtrière, tendit cet éclair gris qui pèse sur les bières, et dit d'un ton certain où pas un son ne tremble à la Dame des lieux ces mots liés ensemble :
J’ai le souvenir D’une enfance neutre Où je dois le dire Je vivais en pleutre Caché dans les jupes Et dans la mollesse Quand plus rien n’occupe Quand plus rien ne blesse
J’aurais aimé vivre Je crois chevalier Et je chargeais ivre A dos de mulet
J’ai le souvenir D’une vie tranquille Passée à haïr Le temps qui défile Sans me gratifier D’une geste haute Sans me confier Le destin d’un autre
J’aurais aimé vivre Je crois roitelet Et voir en un livre Mon sang ma lignée
J’ai le souvenir Des champs des semailles Et quand au nadir On faisait ripailles Les aliments fades Poussant dans l’ennui M’étaient des alcades Jugeant de ma vie
J’aurais aimé vivre Je crois comme un Dieu Idole de cuivre Pour les cœurs pieux
J’ai le souvenir De rumeurs anciennes D’un être à honnir Au rire de hyène Qui créa la vie Qui créa le temps Qui créa l’ennui Sur tous mes instants
J’aimerais à vivre Je crois déicide Et eux de me suivre D’être mes séides
La Dame l’entendit, la foudre répondit, de la grotte sortit comme un douloureux cri. L’ombre ne broncha pas et couronna son chef d’un sourire guerrier, carnassier et bref, quand sa foule tremblait, dépourvue de raison, répétant en son cœur la funeste oraison ; inconsciente du risque et de la mort prochaine, elle souriait gaiement au chant de la Sirène. Les hommes d’un poing dur frappaient les boucliers. Le fracas s’élevait, annonçant le charnier que la pluie lavera de ses si fines gouttes. Le destin prévoyait des morts jusques aux boutes et des enfants pleurant aux terres des villages des pères en allés, fauchés en leur jeune âge. Les pas frappent le sol et les lignes se dressent, des poitrines bombées qu'aucune maille oppresse sort en un souffle unique une lourde clameur qui regonfle les cœurs et domine les peurs. Les cimiers rutilants, gamelles et chaudrons, paillasses mal tressées dardait un œil de plomb sur tout ce qui sortait au bas de la colline, un air furieux et noir jaillissant des narines. Le paysan rompu serrait en sa main fort la hampe de sa houe sans tirer réconfort des regards qu'il jetait au visage en oblique de l'ombre écartelée d'un sourire extatique. Le sourire cessa. Le vent un temps mourut. Pendant un long moment aucun bruit ne courut.
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