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     Les ruines de Mars (chant 1)
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Expéditeur Conversation
Froidmont
Envoyé le :  26/7/2021 1:40
Plume de soie
Inscrit le: 20/7/2021
De:
Envois: 69
Les ruines de Mars (chant 1)
Allez ! Je cours le risque de poster un texte long, mais en plusieurs parties quand même.



Chant I


Les collines étaient enrubannées de nuit, dans la vallée le loup étouffait un long cri et, gouvernant sa meute, la menait au charnier nettoyer les reliques des vautours dédaignées. Des profondeurs obscures, des chaleurs de la terre jaillirent par milliers des légions de vers. La terre, avant repos, ne fut que mouvement ; la terre, avant de sang, ne fut plus qu'ossements. Et l'insecte affamé, en manque de verdure, trouva son compte alors dans cette pourriture : se posant, s'envolant, hésitant mille fois, sa mandibule osa croquer un bout de foie, et le sang ruisselant sur sa chitine noire la couvrit largement des restes de la gloire. Et la vie peu à peu sur la plaine du nord effaça en un jour toute trace des morts, à penser qu'un vain songe eût égaré par là le bruit d'une légende en des traces de pas.
Quelques formes pourtant chassaient cette vermine, ruines d'une armée que boude Proserpine. Blessés, lâches cachés, tire-laine mussés, tout un néant obscur s'élevait, harassé. Au milieu de la plaine, au milieu des cadavres, trônait un fol espoir comme un mousse en son havre ; au milieu du banquet, au milieu des bourbiers, une ombre détachée par soubresauts riait.

Loin des douleurs, des cris, du sang qui coule à flot, les rois se distrayaient des contes des héros. Ils étaient écrivains d'ardentes tragédies, artistes par le feu, artistes de la vie, musiciens composant la fureur des canons qu'estramaçons et lances reprenaient en canon, aèdes d'un beau mythe, aèdes de légendes, rhapsode rapportant tout ceux qui leurs corps vendent, sculpteurs des grands succès, sculpteurs des grandes gloires, maîtres des hauts écrits, façonneurs de l'histoire. Un doigt levé faisait s'étendre leurs conquêtes, un doigt penché faisait tomber toutes les têtes. Sentant germer en eux la graine du divin, se repaissant du sang comme d'un très vieux vin, ils proclamèrent culte, hommage à leur personne, tout ave qui s'élève, toute cloche qui sonne.
Un messager venant apporter des nouvelles était récompensé par de dorés ocelles, mais s'il avait le front d'en porter de mauvaises, sitôt qu'il fut chez lui tout tremblant sur sa chaise que les hommes des rois venaient lui rendre grâce, découpant ses enfants à sa livide face. Le monde allait ainsi, dirigé par des fous qui, sur leurs trônes d'os, gouvernaient d'autres fous. Les mondes pouvaient bien aller sur leur déclin que les rois ignoraient ce que coûtaient leurs biens. Il advint bien qu'un jour un obscur messager portant tête de prince en un paquet frangé ne pouvant plus garder chez lui ce noir colis précipita au père et peu après s'occit, préservant ses enfants des longs couteaux aigus que la garde royale arborait par les rues. Son récit devint conte, puis légende, puis mythe, une histoire que femme entonnait aux marmites.
Or le temps des tournois allait en s'approchant, et les crieurs déjà répandaient par les vents la charte du seigneur, la décision de paix à l'incrédule ouïe du peuple qui savait.
« Oyez, pauvres et gueux, la décision le Roy. Mort fiert terres belles comme tourne rouet. Visité en la nuit des esprits des défunts, Notre Roy réveillé plora jusqu'au matin. Ces larmes répandues, pria pour son pardon et, l'ayant de Dieu eu, convoqua ses barons ; mais en ce jour de deuil point de tentures riches : les murs en ombre noire et la lumière chiche, ni venaison portée, ni vin pour les gosiers : les fonds de coupes secs et le Roy épuisé. Si se dressa devant tous ses seigneurs à table et dit de sa voix : « Sers, Mars nous est favorable, mais l'ombre d'un Dieu seule, unique et plus puissant, sur les ailes du songe me parla nuitamment. Je vis la boue, le sang, les larmes du fermier qui dans ses mains tenait une tête tranchée, je vis mère plorant le bonnet de son fils, je vis bandit riant de ces temps trop propices, je vis cité brûlant sous un ciel de ténèbres, j'entendis cris montant de ce bûcher funèbre, je vis dans l'avenir l'orphelin fait esclave, je vis la vierge pure souillée dans une cave, je vis le prix, hélas ! de nos orgueils sans bornes, je vis dans nos cœurs noirs la marque de deux cornes ! » Frappée d'une ferveur toute religieuse, l'assemblée des seigneurs signa une paix pieuse. »
Mille années que le monde en était à ce point, mille années que les rois gouvernaient pour leur bien, mille années que le peuple vivait dans son coin, mille années de bonheur à s'occuper du sien. Cette paix n'était donc qu'un doux son sans surprise dont on oyait déjà un écho dans la brise mais déformé, meurtri, avili, affranchi, la peste vérité en réformant le bruit.
Dans ce bouillonnement vivaient les nations, privées du doux confort de leurs illusions.

Deux longs cycles passèrent et guerre ne revint. L'ombre jadis riant grave et sombre devint. La vie de ferme avait repris toute sa place : de l'aurore au nadir il coupait l'herbe grasse, les tiges ramassait, les liait en fagots pour les entreposer, pour nourrir les bestiaux. Et, quand de son œil terne, il voyait haut la brune, il repensait au temps où, bras de la fortune, il fauchait vie à vie les hommes en armure, salué comme un preux par les hommes en bures. Là était le plaisir, là le sens de cet air qu'il aspirait depuis par goulée familière, autrefois si rugueux, autrefois si amer, en ce temps tout empli d'un souffle identitaire. C'était son temps humain ; or, devenu machine, il reprenait toujours l'éternelle routine. Son sang de prédateur en ses veines bouillait ; il souhaitait le retour des animosités, le réveil attendu des heures glorieuses, le crissement traînant d'une lame rieuse, cliquetis de cuirasse et chocs de boucliers, l'unité renaissant d'un ancien chant guerrier, la gloire et le butin, les lauriers du vainqueur, la vierge et la putain confondues par erreur, les réunions, le feu, les gloussements sinistres, la visite impromptue d'un odieux ministre, la liberté en somme et la bestialité, rendre à l'âme bipède sa vraie humanité.
Le soir à sa chaumière, se chauffant à la flamme, voyant dans l'ombre celle qu'il dut prendre pour femme, laissait en son esprit danser les amertumes, songeant à la longueur des lumières anthumes.
Or elle à lui venant l'assomma d'un discours, lui rapportant les faits d'un insolent amour.

On dit qu'au matin, dans la brume,
Célestin vola Augustine
Et l'emporta sur une plume
Au plus profond d'une ravine ;
On dit que la belle chanta
De se voir ainsi emmenée
Entre les bras de ce paria
Qui l'aimait depuis des années.

On riait d'eux au village,
D'Augustine la tremblante
Et de cet enfant peu sage
Qui vivait de par les sentes ;
Ils parlaient dans leur langage :
Loin d'être âmes innocentes,
Folâtraient dans les herbages
Le bandit et son amante.

On dit que ce soir, à la brune,
Célestin prit femme Augustine
Sous les yeux des herbes des dunes
Et des grands oiseaux de marine ;
On dit que bourrasque souffla
Faisant voler sa chevelure,
La faisant tomber dans ses bras,
Les unissant, comme un augure.

On pestait dans le village
De voir leur bonheur si grand.
Commères prenaient ombrage
De ce non respect du rang.
De notables attelages
Furent montés en courant,
Mais poussèrent des bocages
Résistant aux coups du brant.

On dit qu'à l'heure où le ciel brûle
Célestin mena Augustine
Comme une reine sur sa mule
Visiter toutes ses rapines ;
On dit qu'un haut mont se brisa
Formant dans la roche un beau trône,
Que quand Célestin s'y posa,
A ses pieds s'inclina la faune.

L'ombre comprenait bien la source de ces haines. Chacun dans son malheur hait ces chimères vaines, et hait bien plus encore qui en jouit pleinement : les bonheurs sont en soi des actes insolents. La jalousie était un insidieux poison qui rampait sur les âmes, corrompait les maisons, œil sur le rang de l'autre, sur sa propriété, et pourtant inhérente à toute société. Le berger le plus tendre et heureux de la Terre voyant chez son voisin un plus beau gazon vert, lui dispute le droit d'y mener son troupeau, et sur ces mots y plante la hampe d'un drapeau, parlant d'abord partage, ensuite annexion ; le premier crie « outrage », le deuxième « raison » ; et les troupeaux menés par la main de leurs maîtres bêlent sauvagement toute leur fureur d'être.
L'homme, être corrompu, noir comme un fruit trop mur : en premier par blessure, ensuite par nature. Or la plaie gangrenée ne laisse plus d'espoir : l'homme coupe sa branche à grands coups de doloire. Pourtant encore naissent des hommes incroyables, âmes d'un blanc si pur, tout à l'autre serviables, et qui à trop vouloir répandre de leur cœur la lumière sacrée, éponger les rancœurs, se voient tôt condamnés pour leur sincérité et confondus d'avoir fait preuve d'amitié. Leur âme alors touchée par la pointe noircie s'obombre de ténèbres et en secret maudit. Le blanc des yeux se voile à la vue de quelque autre, et le cerveau travail à s'éloigner des nôtres. Les plus vertueux anges font les pires démons, délaissent les caresses qu'en secret nous blâmons pour leur substituer le sourire menteur : un visage réjoui, des larmes plein le cœur. Ils haïssent les hommes, se haïssent eux-mêmes comme tout homme hait ce que sa face blême voit et ne comprend pas, sent et ne perce pas. Par peur d'être piégé, ils sèment des appâts. Et d'hommes incroyables deviennent admirables, de ceux qui peuvent tout, aimés sans être affables. Ce monde sans noblesse, cette farce simiesque, cet art de tout cacher sous l'urbaine arabesque, ces rois qu'on dit de droit étalant leurs corps secs sur des coussins gardés par des haies de corsèques, tonnant des ordres fous comme tonne l'orage, riant du peuple, boue, comme on rit quand l'eau rage, l'ombre se sentait faite pour y porter un terme : incendier les palais aussi bien que les fermes, nettoyer cette ordure par le feu, purifier, redémarrer ce monde comme s'il était né.
Sans plus lui accorder ni ouïe, ni regard, l'ombre quitta sa femme et son corps et ses fards. En franchissant la porte il respira le vent, savoura son odeur, savoura ce moment : l'air avait retrouvé de son parfum perdu, pas tout à fait parfait, mais cette odeur du nu, du simple et de l'idiot, frappait à son cerveau, envahissant son être comme un doux renouveau.
Il alla les hameaux pour faire son armée tenant aux villageois ce discours inspiré :

Voyez, peuple en sommeil,
Voyez gens oppressés !
Les ruines du soleil
Briller sur nos palais !
Le chantre des beaux jours
A levé haut son bec
Et promet pour toujours
Des chansons aux cœurs secs.
Et ce faux adressé,
Par les rayons du ciel
Voyez-le se dresser,
Lui, l'engendreur de fiel !
Voyez son torse fier
Où rougeoie l'indomptable ;
Un passé commun erre
Sous son plumage arable ;
Nul ne voit sa promesse,
Mais j'entendis ses mots
Courir, hauts, toute liesse,
Et réchauffer ma peau.
Je le dis à présent !
Or voyez mes paroles
S'élever comme un vent,
Balayer les Écoles,
Renverser de leur souffle
Faire trembler, femelles,
Les célestes maroufles
Qui, du haut des échelles,
Vous jouent mille musiques
Et font danser le sable
Au pied du famélique
Que leurs rires accablent !
Je me souviens encore
des hiers de torture,
des coups subis au corps.
Voyez mes écorchures !

Mais les temps ont changé,
Le soleil larmoie sec,
Et les astres volés
N'éclairent les infects.
Les trésors de Novembre
Apportèrent repos,
Une pause, et moi, ambre,
Murmure d'un héraut.
À présent le murmure
Se fait voix et se lève,
Condamne la ramure
D'une dynastie brève,
Et les vents portent son
Que les rois étouffaient
Par grèves et par monts
Plus vite que hauts-faits !
Désormais la voix, cri,
Jette sur les silences
Un grognement meurtri,
Un parfum de licence.
Et le cri, hurlement,
Soumet toute la faune ;
Et le hurlement, chant,
Devient comme une icône.

J'annonce en ces palais
La fin des vieux régimes,
Le balancement laid
Des têtes légitimes.
Nul ne peut plus vous dire
Ni quoi faire ou penser ;
Croyez-moi, sans médire,
Et suivez ma pensée !
Les doigts clairs du nadir,
Teintés rouge de sang,
Voyez-les donc pâlir,
Dénoncer les puissants.
Les aurores nimbées
De rougeoiements incestes
Ne seront désormais
Que rosée chaude et leste.
J'annonce le printemps,
L'aube des hirondelles
Qui s'en vont, s'égaillant,
Le bonheur sur leurs ailes ;
J'ai cousu ce plumage
De lambeaux de ma chair,
Il porte mon message
Aux âmes solitaires.

J'annonce le bonheur
Et fais flambeau mon cœur !

Il traversa son huis, seul, armé de sa langue, et le voilà suivi de fourches et de cangues. Chaque nouveau hameau apportait son lot d'hommes : ses discours et ses fers les mettait en sa paume.
islander
Envoyé le :  26/7/2021 4:34
Mascotte d'Oasis
Inscrit le: 11/4/2009
De: Baltimore, Bretagne
Envois: 57481
Re: Les ruines de Mars (chant 1)
de très beaux vers



yann



Sphyria
Envoyé le :  26/7/2021 7:55
Mascotte d'Oasis
Inscrit le: 25/4/2021
De: France
Envois: 26235
Re: Les ruines de Mars (chant 1)
Des vers magiques de beauté dans ton écrit, j'ai aimé les lire.
Je reviendrai pour apprécier la prose !
Froidmont
Envoyé le :  26/7/2021 10:38
Plume de soie
Inscrit le: 20/7/2021
De:
Envois: 69
Re: Les ruines de Mars (chant 1)
Merci à vous. Ce sont des projets d'écriture qui prennent plus de temps et donc qui tiennent plus à cœur. Je publierai la suite demain de jour en jour jusqu'à mon départ en vacances. Ainsi, à mes publications bavardes s'ensuivra un long silence.

Par contre, je vois que j'ai été déplacé dans la section prose, mais tout est bien écrit en vers. J'ai juste fait une disposition prosifiée à la manière de Paul Fort. Mais bon, pour éviter tout litige, je publierai la suite ici.
cyrael
Envoyé le :  26/7/2021 15:18
Mascotte d'Oasis
Inscrit le: 30/10/2005
De: ****
Envois: 83223
Re: Les ruines de Mars (chant 1)




excellent texte poétique

c est bien d'annoncer le bonheur
qui fait flamber le coeur !!!

J'annonce le printemps,
L'aube des hirondelles
Qui s'en vont, s'égaillant,
Le bonheur sur leurs ailes ;

__________________________________________

ce fut intéressant ; captivant; fort original , et.... bien écrit
mais , bcp de personnes, n'ont pas assez de temps, pour lire
et essayer de se plonger dans ce récit..



bravo


----------------
EVELYNE NADINE maryjo 2O11

Sybilla
Envoyé le :  27/7/2021 10:54
Modératrice
Inscrit le: 27/5/2014
De:
Envois: 93754
En ligne
Re: Les ruines de Mars (chant 1)


Bonjour Froidmont,

Superbe texte à fleur de coeur en partage !



Belle journée !
Amitiés
Sybilla


----------------
Presque toutes mes poésies ont été publiées en France et ailleurs avec les dates "réelles" de parution.


Le rêve est le poumon de ma vie (citation de Sybilla)

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