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     "La Maison du Berger" d'Alfred de Vigny
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Expéditeur Conversation
ThierryCABOT
Envoyé le :  11/6/2021 18:44
Plume d'or
Inscrit le: 10/3/2013
De:
Envois: 992
"La Maison du Berger" d'Alfred de Vigny
Celui que "la grâce ne touche que par moments , mais avec quel éclat !" selon les propres termes de Georges Pompidou dans son " Anthologie de la poésie française", apparaît comme un auteur d'autant plus attachant que d'un seul coup d'aile, en effet, il peut devenir l'égal des plus grands.
Alfred de Vigny occupe de la sorte une place singulière au sein de la littérature hexagonale. Ses vers frappés quelquefois comme des médailles, sonnent magistralement. Il n'est pas rare aussi qu'on y découvre des faiblesses, soit imputables à des images trop conventionnelles, soit dues à une forme de prosaïsme ou de rigidité dans l'expression.
Ces réserves exprimées, force est d'admettre néanmoins qu'un poète à la production si abondante n'était nullement en mesure, à travers toutes ses pièces, d'atteindre chaque fois des sommets. Quand c'est le cas - et d'emblée le miracle saute aux yeux - nous respirons l'air pur des cimes, le souffle himalayen de l'émotion sublimée. Ce qu'Alfred de Vigny conservait en lui de compassé, d'inutilement tendu, se fissure tout à coup et, des profondeurs de sa sensibilité, une voix nue se fait entendre, reconnaissable entre toutes, où le génie éclate en septains aériens, libérés de leur gangue, des septains inouïs de beauté.
Vite débarrassée de quelques strophes prêcheuses qui en altèrent le cours, "La Maison du Berger" déroule alors ses eaux magiques avec des scintillements de soie. Une digue semble s'être brisée. Plus encore que dans "La Mort du loup" où se décèle par endroits une certaine raideur, le lecteur ici est transporté, soulevé, enivré. Le prodige tient notamment à un équilibre quasi extraordinaire entre une sève poétique longtemps contenue dont, à la façon d'un abcès qui crève, la force devient impérieuse et une grâce expressive confondante dont la plénitude se nourrit d'elle-même.
Le bouquet suprême, le sommet des sommets, s'adresse à Eva, la femme aimée, l'inspiratrice. Comment Vigny parvint-il à ces accents que le sublime traverse de toutes parts ? Devant une telle "composition symphonique", nous restons médusés. C'est sans aucun doute là le point d'orgue d'une "méditation grave et tendre" sur l'amour, la nature, le lien unissant les vivants et les morts. Jamais peut-être des alexandrins n'ont été autant marqués par la splendeur de l'évidence, la magie du rêve, l'éclat de l'élévation.
Après avoir lu ce monument, des échos profonds nous en reviennent. Ainsi, entre autres :
"Que m'importe le jour ? que m'importe le monde ?
Je dirai qu'ils sont beaux quand tes yeux l'auront dit."
dolores
Envoyé le :  11/6/2021 18:56
Mascotte d'Oasis
Inscrit le: 24/8/2009
De: france : 06 Alpes-Maritimes
Envois: 34142
Re: "La Maison du Berger" d'Alfred de Vigny
Je connais l'auteur mais pas son œuvre alors j'ai cherché je m'arrête pour lire bonne soirée

A Eva

Si ton coeur, gémissant du poids de notre vie,
Se traîne et se débat comme un aigle blessé,
Portant comme le mien, sur son aile asservie,
Tout un monde fatal, écrasant et glacé ;
S'il ne bat qu'en saignant par sa plaie immortelle,
S'il ne voit plus l'amour, son étoile fidèle,
Eclairer pour lui seul l'horizon effacé ;

Si ton âme enchaînée, ainsi que l'est mon âme,
Lasse de son boulet et de son pain amer,
Sur sa galère en deuil laisse tomber la rame,
Penche sa tête pâle et pleure sur la mer,
Et, cherchant dans les flots une route inconnue,
Y voit, en frissonnant, sur son épaule nue
La lettre sociale écrite avec le fer ;

Si ton corps frémissant des passions secrètes,
S'indigne des regards, timide et palpitant ;
S'il cherche à sa beauté de profondes retraites
Pour la mieux dérober au profane insultant ;
Si ta lèvre se sèche au poison des mensonges,
Si ton beau front rougit de passer dans les songes
D'un impur inconnu qui te voit et t'entend,

Pars courageusement, laisse toutes les villes ;
Ne ternis plus tes pieds aux poudres du chemin
Du haut de nos pensers vois les cités serviles
Comme les rocs fatals de l'esclavage humain.
Les grands bois et les champs sont de vastes asiles,
Libres comme la mer autour des sombres îles.
Marche à travers les champs une fleur à la main.

La Nature t'attend dans un silence austère ;
L'herbe élève à tes pieds son nuage des soirs,
Et le soupir d'adieu du soleil à la terre
Balance les beaux lys comme des encensoirs.
La forêt a voilé ses colonnes profondes,
La montagne se cache, et sur les pâles ondes
Le saule a suspendu ses chastes reposoirs.

Le crépuscule ami s'endort dans la vallée,
Sur l'herbe d'émeraude et sur l'or du gazon,
Sous les timides joncs de la source isolée
Et sous le bois rêveur qui tremble à l'horizon,
Se balance en fuyant dans les grappes sauvages,
Jette son manteau gris sur le bord des rivages,
Et des fleurs de la nuit entrouvre la prison.

Il est sur ma montagne une épaisse bruyère
Où les pas du chasseur ont peine à se plonger,
Qui plus haut que nos fronts lève sa tête altière,
Et garde dans la nuit le pâtre et l'étranger.
Viens y cacher l'amour et ta divine faute ;
Si l'herbe est agitée ou n'est pas assez haute,
J'y roulerai pour toi la Maison du Berger.

Elle va doucement avec ses quatre roues,
Son toit n'est pas plus haut que ton front et tes yeux
La couleur du corail et celle de tes joues
Teignent le char nocturne et ses muets essieux.
Le seuil est parfumé, l'alcôve est large et sombre,
Et là, parmi les fleurs, nous trouverons dans l'ombre,
Pour nos cheveux unis, un lit silencieux.

Je verrai, si tu veux, les pays de la neige,
Ceux où l'astre amoureux dévore et resplendit,
Ceux que heurtent les vents, ceux que la mer assiège,
Ceux où le pôle obscur sous sa glace est maudit.
Nous suivrons du hasard la course vagabonde.
Que m'importe le jour ? que m'importe le monde ?
Je dirai qu'ils sont beaux quand tes yeux l'auront dit.

Que Dieu guide à son but la vapeur foudroyante
Sur le fer des chemins qui traversent les monts,
Qu'un Ange soit debout sur sa forge bruyante,
Quand elle va sous terre ou fait trembler les ponts
Et, de ses dents de feu, dévorant ses chaudières,
Transperce les cités et saute les rivières,
Plus vite que le cerf dans l'ardeur de ses bonds

Oui, si l'Ange aux yeux bleus ne veille sur sa route,
Et le glaive à la main ne plane et la défend,
S'il n'a compté les coups du levier, s'il n'écoute
Chaque tour de la roue en son cours triomphant,
S'il n'a l'Å“il sur les eaux et la main sur la braise
Pour jeter en éclats la magique fournaise,
Il suffira toujours du caillou d'un enfant.

Sur le taureau de fer qui fume, souffle et beugle,
L'homme a monté trop tôt. Nul ne connaît encor
Quels orages en lui porte ce rude aveugle,
Et le gai voyageur lui livre son trésor,
Son vieux père et ses fils, il les jette en otage
Dans le ventre brûlant du taureau de Carthage,
Qui les rejette en cendre aux pieds du Dieu de l'or.

Mais il faut triompher du temps et de l'espace,
Arriver ou mourir. Les marchands sont jaloux.
L'or pleut sous les chardons de la vapeur qui passe,
Le moment et le but sont l'univers pour nous.
Tous se sont dit : " Allons ! " Mais aucun n'est le maître
Du dragon mugissant qu'un savant a fait naître ;
Nous nous sommes joués à plus fort que nous tous.

Eh bien ! que tout circule et que les grandes causes
Sur des ailes de feu lancent les actions,
Pourvu qu'ouverts toujours aux généreuses choses,
Les chemins du vendeur servent les passions.
Béni soit le Commerce au hardi caducée,
Si l'Amour que tourmente une sombre pensée
Peut franchir en un jour deux grandes nations.

Mais, à moins qu'un ami menacé dans sa vie
Ne jette, en appelant, le cri du désespoir,
Ou qu'avec son clairon la France nous convie
Aux fêtes du combat, aux luttes du savoir ;
A moins qu'au lit de mort une mère éplorée
Ne veuille encor poser sur sa race adorée
Ces yeux tristes et doux qu'on ne doit plus revoir,

Evitons ces chemins. - Leur voyage est sans grâces,
Puisqu'il est aussi prompt, sur ses lignes de fer,
Que la flèche lancée à travers les espaces
Qui va de l'arc au but en faisant siffler l'air.
Ainsi jetée au loin, l'humaine créature
Ne respire et ne voit, dans toute la nature,
Qu'un brouillard étouffant que traverse un éclair.

On n'entendra jamais piaffer sur une route
Le pied vif du cheval sur les pavés en feu ;
Adieu, voyages lents, bruits lointains qu'on écoute,
Le rire du passant, les retards de l'essieu,
Les détours imprévus des pentes variées,
Un ami rencontré, les heures oubliées
L'espoir d'arriver tard dans un sauvage lieu.

La distance et le temps sont vaincus. La science
Trace autour de la terre un chemin triste et droit.
Le Monde est rétréci par notre expérience
Et l'équateur n'est plus qu'un anneau trop étroit.
Plus de hasard. Chacun glissera sur sa ligne,
Immobile au seul rang que le départ assigne,
Plongé dans un calcul silencieux et froid.

Jamais la Rêverie amoureuse et paisible
N'y verra sans horreur son pied blanc attaché ;
Car il faut que ses yeux sur chaque objet visible
Versent un long regard, comme un fleuve épanché ;
Qu'elle interroge tout avec inquiétude,
Et, des secrets divins se faisant une étude,
Marche, s'arrête et marche avec le col penché.


----------------

ThierryCABOT
Envoyé le :  11/6/2021 22:09
Plume d'or
Inscrit le: 10/3/2013
De:
Envois: 992
Re: "La Maison du Berger" d'Alfred de Vigny
Merci !
Sybilla
Envoyé le :  12/6/2021 21:23
Modératrice
Inscrit le: 27/5/2014
De:
Envois: 95396
En ligne
Re: "La Maison du Berger" d'Alfred de Vigny


Bonsoir Thierry,

Quel merveilleux hommage à ce très grand écrivain romantique que j'ai adoré lire !



Belle soirée !
Amitiés
Sybilla


----------------
Presque toutes mes poésies ont été publiées en France et ailleurs avec les dates "réelles" de parution.


Le rêve est le poumon de ma vie (citation de Sybilla)

ThierryCABOT
Envoyé le :  13/6/2021 12:07
Plume d'or
Inscrit le: 10/3/2013
De:
Envois: 992
Re: "La Maison du Berger" d'Alfred de Vigny
Merci, Sybilla, pour vos mots toujours généreux.
Excellent dimanche !
Amicalement.
Thierry
ThierryCABOT
Envoyé le :  13/6/2021 12:08
Plume d'or
Inscrit le: 10/3/2013
De:
Envois: 992
Re: "La Maison du Berger" d'Alfred de Vigny
Merci, Sybilla, pour vos mots toujours généreux.
Excellent dimanche !
Amicalement.
Thierry
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