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     L'africaine au plateau de fruits
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Expéditeur Conversation
faustinyavo
Envoyé le :  8/2/2021 8:50
Plume d'argent
Inscrit le: 8/9/2014
De: Paris
Envois: 254
L'africaine au plateau de fruits
Kili Manjaro rentrait d'un symposium sur les arts et la sculpture. Il retrouvait sa maison sur les hauteurs de Belleville. Il avait fait ce voyage en province pour confirmer sa notoriété même si, dans le métier, sa réputation n'était plus à faire. Il fournissait les marchands d'art de la région et de tout le pays en sculpture. Ses œuvres originales pouvaient se contempler dans des expositions à Paris, Sydney, Los Angeles et Abidjan. Il tenait un catalogue où il affichait ses créations artistiques. Il était présent sur la toile où il faisait la plus grosse partie de ses ventes.
Voilà trois jours qu'il était rentré. Il pleuvait. Kili se rendit comme il en avait l'habitude au Musée du Louvre. Il descendit sous la pyramide de verre. Il se promena ; arpenta les différentes galeries d'art. Il arriva devant le tableau de Léonard de Vinci. Il regarda Mona Lisa. Son œil expérimenté s'imprégna des traits du visage de la jeune femme. Il retourna chez lui, satisfait de sa promenade et de sa matinée.
La veille, il avait reçu un immense bloc de marbre qui était encore dans sa toile de protection. Il l'avait rangé dans son atelier. La marchandise aiguisa sa curiosité et l'envie du travail le reprit. Il décida de s'y mettre. L'après-midi s'annonçait ensoleillée.
Dans la salle, encombrée de nombreuses esquisses de nu, il déballa le colis et examina tout de suite la qualité de la pierre. Elle lui plut. Un sourire de soulagement marqua la commissure de ses lèvres. Il allait faire un travail remarquable !
Les fenêtres et la porte de la salle étaient grandes ouvertes. Le soleil pénétrait l'atelier et éclairait le sol et une partie des murs. Dehors, les oiseaux chantaient. Non loin des haies qui encerclaient la villa, dans un arbuste, une famille de merles nichait. Kili y avait observé trois oisillons et avait affiché une mine béate devant les parents qui donnaient la becquée à leur progéniture. L'hiver s'achevait et le printemps prenait place. Les journées étaient plus longues. Les arbres renaissaient. Les plantes fleurissaient. Il faisait doux. La montre au poignet de l'artiste affichait l'heure d'été.
L’atelier se situait au rez-de-chaussée du pavillon. La salle était immense et remplie de figurines, de statues et d’outils à sculpter. Le premier étage de la maison servait de lieu d'habitation. Kili Manjaro y vivait. Célibataire, il était complètement voué à la sculpture de la pierre. Sa spécialité était de graver des visages, des bustes, des corps dans toutes sortes de blocs de marbre.
Par-dessus ses vêtements, il enfila un tablier épais et souple en peau de daim qui comportait des poches. Il y rangea des outils essentiels et y maintint un marteau avec des attaches. Il se mit aussitôt au travail.
Il attaqua la pierre au burin. Il s'aida de pieds de biche pour soulever, enlever des morceaux de marbre. Il donna des coups de massettes et de maillets. Il tapa avec un marteau à deux têtes la pierre pour en faire ressortir la forme désirée. Le sculpteur scia le bloc de marbre qu'il avait posé sur une selle rotative. Il le modela avec des gradines à dents, grava la pierre avec des ciseaux. Il ponça, lima et fraisa. Il donna du volume et du relief à la pierre. Il se saisit de bouchardes, de pointes ou de broches, de rifloirs à marbre pour lisser les formes ; aplanir les protubérances ; égaliser les surfaces ; effacer les bosses et les creux ; finaliser son travail. Cela dura des semaines. Il nettoyait l'atelier au fur et à mesure en enlevant la poussière. Il se servait d'un aspirateur.
La silhouette d'une femme finit par se dégager de la masse pierreuse. La statue prenait les traits physiques des canons de la beauté comme Kili le souhaitait. Elle avait les traits d'une femme qui portait un plateau de fruits dans les bras et un collier de fleurs dans les cheveux. La forme était grande, mince, aux courbes nues et bien faites. Kili dessina au burin le premier visage qui lui vint en mémoire.
L’expression corporelle était saisissante. Les masses musculaires semblaient véritables. Les proportions respectées. Le chef-d'œuvre était vivant. Le sculpteur avait donné au bloc de pierre un nom. Il l'appelait l'Africaine au plateau de fruits. Kili Manjaro ne ménagea pas ses efforts. Il travailla à faire naître la beauté de la femme telle qu'il la captait, tel qu'il la ressentait, telle qu'il la concevait. Pour atteindre l'apothéose de son art, il illumina la statue de pierre : il lui dessina un sourire.
Les journées suivantes, il ponça la sculpture. Avec une éponge abrasive et du papier de verre, il frotta l'Africaine au plateau de fruits. Ensuite, il recouvrit d'huile la statue jusqu’à en saturer la pierre puis il la polit à en obtenir un lustre soyeux. Il passa une couche de peinture puis contempla le résultat de ses efforts. Il trouva la statue parfaite. Il sortit son œuvre dans le jardin. Il faisait chaud. Le ciel était couvert de peu de nuages. Dans l'arbuste, les oisillons étaient devenus grands et piaillaient très fort. Ils s'apprêtaient à quitter le nid familial. Le sculpteur fit des photographies de la statue qu'il posta immédiatement sur son site Internet. Il décida d'ouvrir son atelier au public afin de montrer son chef-d'œuvre. Le public ravi le félicita, trouva la statue extrêmement expressive et jolie avec son teint d'ébène.
Mais tous ceux qui la découvrirent attentivement, aussi bien sur le net que dans l'atelier, trouvèrent à l'Africaine au plateau de fruits un air de déjà vu.
- Elle a le visage de Mona Lisa.
Plus exactement, de la Joconde. Le tableau de Léonard de Vinci.
C'est une œuvre que je dédie à la beauté. J'ai mis toutes mes forces à la créer. C'est une œuvre vivante ! répondit Kili Manjaro.
L'œuvre du sculpteur était saisissante de réalisme. Le regard ressemblait à s'y méprendre à celui d'une jeune femme bien en chair. Les yeux pétillaient de vie. Mais les répliques étaient unanimes. La réaction des critiques d'art se fit cinglante.
- La statue a le sourire de la Joconde.
L'artiste se souvint de ses visites au musée du Louvre et des minutes passées à regarder le visage de Mona Lisa. Sa mémoire photographique avait fait le reste. Il comprit. Maintenant, tout s'éclairait ! Il avait reproduit spontanément le visage de la Joconde, instinctivement. Inconsciemment.
- C'est une Å“uvre ressemblante, se dit-il.
Du coup, la statue perdit toute valeur à ses yeux. Des semaines de travail pour rien, conclut-il.
Dégoûté et plein de dépit, le sculpteur se détourna de son œuvre. Lui qui la voulait originale, il ne put supporter l'idée de l'erreur, de cette terrible ressemblance. Le sourire de la statue le mina. Un matin, l'Africaine au plateau de fruits quitta la pièce principale de l'atelier pour la remise. Le sculpteur la cacha sous un drap blanc. Il l'enleva de son catalogue et de son site Internet. Il ne trouvait plus son œuvre belle et magnifique. Elle avait perdu son authenticité, son originalité. Il ne voulait plus la voir.
- J'ai copié Léonard de Vinci sans m'en rendre compte. Je voulais sculpter un visage et je n'ai fait que reproduire quelque chose que mon subconscient a suscité.
Un soir, il alla dans la remise et pour effacer son erreur, il brisa la statue qui s'écrasa sur le sol. Les morceaux de l'Africaine au plateau de fruits s'éparpillèrent. Le regard du sculpteur tomba sur l'un d'eux. C'était un grand morceau du visage qui souriait. Kili Manjaro sortit de la pièce hors de lui. Cette nuit-là, il détruisit une œuvre d'une inestimable valeur pour ne plus entendre parler de sa faute, mais surtout pour sauver sa réputation de grand maître de la sculpture. Dans l'arbuste, le nid était vide. Les oiseaux l'avaient quitté depuis longtemps.
Sybilla
Envoyé le :  9/2/2021 22:03
Modératrice
Inscrit le: 27/5/2014
De:
Envois: 95621
Re: L'africaine au plateau de fruits


Bonsoir Faustinyavo,

Magnifique récit qui tient en haleine !
Bravo !



Belle soirée !
Mes amitiés
Sybilla


----------------
Presque toutes mes poésies ont été publiées en France et ailleurs avec les dates ""réelles"" de parution.

Le rêve est le poumon de ma vie (Citation de Sybilla)

faustinyavo
Envoyé le :  10/2/2021 10:14
Plume d'argent
Inscrit le: 8/9/2014
De: Paris
Envois: 254
Re: L'africaine au plateau de fruits
Merci, Sybilla. Amitiés.
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