Oasis des artistes: Poésie en ligne, Concours de poèmes en ligne - 6527 membres !
S'inscrire
Connexion
Pseudo : 

Mot de passe : 


Mot de passe perdu ?
Inscrivez-vous !
Petites annonces
Qui est en ligne
101 utilisateur(s) en ligne (dont 86 sur Poèmes en ligne)

Membre(s): 4
Invité(s): 97

Erdrek, PASCAL, franie, ThierryCABOT, plus...
Choisissez
no title
Hébergez vos images
zupimages
Droits d'auteur


Copyright



Index des forums de Oasis des artistes: Le plus beau site de poésie du web / Poésie, littérature, créations artistiques...
   Contes et nouvelles (seuls les textes personnels sont admis)
     La honte
Enregistrez-vous pour poster

Par conversation | Les + récents en premier Sujet précédent | Sujet suivant | Bas
Expéditeur Conversation
Nidne
Envoyé le :  28/3/2007 17:03
Plume d'argent
Inscrit le: 20/3/2007
De:
Envois: 498
La honte
Dire que la prostitution est un péché et une honte !

Même les rayons du soleil censés effleurés tous les visages du monde entier, se limitent, hélas, à caresser par leur grâce ceux qui ont la chance de naître sous la bonne étoile et privent les autres d’en ont avoir droit ; les autres damnés que la providence les a complètement anéanti tout en les laissant moisir dans les gouffres ténébreuses de la souffrance à tout jamais.

Fatma plutôt Linda ou les deux à la fois. Elle n’a pas choisi ni l’un ni l’autre. Tous les deux prénoms lui sont donné par obligation : le premier lui a été imposé par sa famille lors de sa naissance, quant au deuxième c’est le milieu qui l’a confectionné pour elle afin de s’y adapter. Bref, disons qu’elle opte pour Linda puisque ça sonne un peu moderne et résonne bien dans le milieu des noctambules… !

Linda, ses nuits sont sans fin et ne voit dans la lueur du jour que le commencement d’une nouvelle souffrance.

Accroupie, comme à l’accoutumée, sur les bords du vétuste balcon de sa chambre qui donne directement sur la baie d’Alger. Elle contemple de loin, les petits points lumineux au large de la mer. Elle se perd dans l’immensité de la méditerranée et ses yeux cherchent désespérément d’aller toujours un peu plus loin ; peut être à la recherche de l’inconnu ou tout simplement, elle essaie d’oublier ses peines et ses souffrances dans la noirceur de la mer. Pensive et triste, son seul compagnon est son chat. Tantôt elle le pousse par disgrâce et tantôt elle le caresse comme un petit bébé. Il est le seul qui ne l’a pas trahi. Il est fidèle et ne la voit pas sous le même œil que les autres qui ne trouvent en elle que le plaisir d’un bon moment de délice et se cassent ensuite pour aller ailleurs à la recherche d’une autre fleur de macadam dans d’autres lieux et sous d’autres cieux. Tandis que son chat est toujours là, omniprésent. Avec sa mâchoire cassé laissant sa fine langue en perpétuel mouvement de va-et-vient telle que la langue d’un cobra qui se prépare à se jeter sur sa proie. Quand elle le pousse, il s’en va et puis il revient comme c’est rien ne s’est produit ; il est indulgent pas comme tous les hommes que Linda les a bien côtoyé et fréquenté tout au long de sa périple vie de merde !

Il lui arrive souvent de lui parler, parfois même à haute voix.

Elle quitte son vieux balcon et se dirige à l’intérieur, vers la chambre. Elle ramasse un paquet de cigarettes et le briquet qui les a déposé sur une table basse en bois datant de l’ère coloniale et pourrait facilement trouver sa place dans un musée d’objets d’antiquité, à force d’être désuète et délabrée. Elle retire une cigarette, l’allume et au moment de faire demi tour, elle les jette sur la table mais au lieu q’ils tombent au bon endroit, ils glissent sur le bord et se logent sous un canapé longeant le mûr d’en face.

Elle continue son chemin sans se rendre compte de tout cela. Elle revient au balcon. Sa cigarette entre les lèvres et son esprit ailleurs. Elle décide de s’asseoir au sol.
Les pieds croisés et la tête toujours pensive. Par une main tient sa cigarette et par l’autre caresse ses longs cheveux. C’est sa façon de se méditer !

Soudainement, son chat vient l’interrompre.

Elle le prend avec ses deux mains après avoir mis sa cigarette entres ses lèvres. Jette sa cigarette du haut du balcon pour se consacrer à son chat. Elle le caresse comme un bébé et commence à lui parler. Il se laisse aller docilement et sous l’effet de la douceur et la tendresse, finira par dormir.

Elle est dépossédée de son humanité et de sa féminité ; brisée et anéantie ; déchirée et frustrée. Elle ne garde de sa personne que l’aspect physionomique de femme avec tous les traits d’une belle nana que la chance l’a esquivé au moment où elle s’apprête à la saisir entre ses fines mains. Au lieu de réussir le pari malicieux et vilain de la vie, elle a bel et bien échoué. Elle s’est conduite aveuglement vers l’échec ; elle s’est trouvée dans la merde à contre cœur et personne n’a osé l’aider ou lui prêter main forte pour la faire sauver. Elle s’est écroulée involontairement dans les précipices de l’abîme et devenue la honte de l’humanité.

La faute est à qui ?

Même elle, elle ne cesse de se poser cette question qui reste énigmatique aux yeux de ceux qui gardent un peu de pitié et de compassion vis-à-vis de cette catégorie de femmes…des femmes délaissées par la société ; charcutées par l’imprévisible destin et jetées dans l’obscurité de l’incertain ; des femmes abandonnées par leurs proches, par la société toute entière et par elles-mêmes ; perdues dans des rues qu’elles connaissent bien ; errantes comme des fantômes au milieu de l’inconscience rasant les murs de peur d’être repérées par des fauves humaines pouvant mettre fin à leur calvaire. Des femmes qui se jettent à bras ouverts vers la mort et trouvent dans le suicide un soulagement reposant et confortant. Certes, elles aiment la vie comme tout être vivant mais elles préfèrent quitter ce monde pour enterrer des souffrances ancrées au fond de leurs pensées ; des souffrances qui les terrorisent et les tracassent jours et nuits. Par le suicide elles cherchent la justice et le repos !

Des femmes comme Linda… il suffit de regarder dans leurs yeux pour bien les comprendre et ressentir le degré de mal qu’elles endurent ; quand elles parlent et évoquent le désarroi qu’il les hante, personne ne retiendra ses larmes s’il a, vraiment, un cœur qui bat !

Cette femme n’a jamais pensé en arriver là. Elle était ambitieuse, dynamique, vivace et par dessus tout, elle croyait fortement au destin et au bon dieu. Elle a vécu une enfance ordinaire comme tous les enfants de son âge. Elle a fréquenté la petite école de son douar et elle a bien réussi sa scolarité primaire. Elle voulait réaliser ses rêves comme toute personne ambitieuse mais son entourage l’a bloqué…à cause du même refrain : les traditions et les principes archaïques.

Dans une société conservatrice telle que la sienne, aucune femme n’a le droit d’aller au-delà de certaines limites édictées par des lois imposées par la société et par la religion. La femme n’a pas le droit de fréquenter l’université, de quitter le foyer parental et de passer la nuit loin de sa famille. Elle est sensée de rester à la maison ; une sorte de boniche qui se charge de faire le ménage, la bouffe, le lavage et satisfaire les désirs de son male si elle est mariée sinon sa tâche se limite aux travaux ménagers. Elle ne peut pas se voir autre qu’un petit objet aux mains de l’homme qui le manie comme il veut et quand il veut selon ses désirs et ses envies…elle doit être soumise et elle l’est par us et coutumes.

Presque toutes les filles du douar se marient à un âge précoce et rares sont celles qui dépassent la vingtaine pour se marier.

Quelle conception faite de la femme ! Elle est considérée comme un objet de plaisir, une machine de production et un moyen qui assure la survie de la race humaine…elle garantit ainsi le principe des trois P (Plaisir, Production et Prise en charge des travaux ménagers).

Sombrée dans sa tristesse et son chagrin, elle ne soucie même pas du froid qui rabatte sur son balcon. Les larmes aux yeux et la gorge sèche cherchant désespérément mettre fin à son calvaire. Mais comment ?

Aucune idée.

Elle finit par se rendre compte que son chat ait froid, alors elle décide de gagner sa niche. Elle s’allonge sur son petit canapé et serre très fort son chat contre sa poitrine. Elle veut bien dormir mais en vain. Même le sommeil ne veut pas d’elle et l’a enfuit depuis longtemps ; elle est insomniaque et fait partie depuis une belle lurette de la famille des noctambules.

Il fait tard et tout l’algérois est sombré dans le silence. Un silence qui fait peur. La peur du lendemain. Un lendemain imprévisible, incertain et qui cache beaucoup de surprises. Demain ! Ah demain ! Tout pourrait y survenir : assassinats, génocides, exactions, vols, etc. Et demain serait pareil à aujourd’hui si ce n’est pas pire. Donc, tout l’algérois est sous une frousse pernicieuse et qui est enracinée dans des esprits perdus dans une misère camouflée par des fausses façades conçues par ces miséreux spectres qui forment la société pour le simple désir de s’attacher à la vie.

Alger est belle par ses bâtisses mais elle dissimule sa grande tristesse et son désarroi aux fonds de ses anciens quartiers où les mûrs sont délabrés, les ventres vides et la délinquance est à son summum. Même les chats et les chiens errants ont quitté ces endroits pour aller vivre ailleurs dans l’espoir de trouver une autre vie meilleure. Alger la vraie, ce sont ces pauvres gens perdus dans les macabres d’une société qui oscille et tergiverse entre un modernisme imposé et une tradition héritée. Elle est condamnée de ne pas pouvoir décider, de rester hélas à la merci d’une société qui cherche une petite lueur d’espoir à travers une obscurité éternellement vécue.

La peine et la souffrance qui pèsent sur le cœur de la pauvre Linda ne sont qu’une goutte de l’océan de souffrances et de misère dans lequel baigne l’algérois.

Comme le sommeil ne veut pas lui accorder son pardon, elle décide de céder sa place à son chat pour aller s’installer au balcon. C’est ici qu’elle se médite souvent et y trouve la paix. Malgré la brise et la fraîcheur provenant de la baie d’Alger, le corps de Linda, à force d’être malmené par les coups secs et durs de la vie, ne s’en soucie point.

Accoudée sur le bord du balcon, les yeux imbus de larmes et le gosier bien crispé, elle fait un petit voyage dans le passé, une façon de se restituer.

D’un clin d’œil, sa mémoire l’amène vers son enfance, dans son douar et parmi ses proches. Elle vient de revenir en arrière et de se souvenir d’un passé lointain enivré d’innocence et de joie. En dépit de la pauvreté de jadis qui dévorait le paysage et les visages, néanmoins elle trouve que durant toute son enfance, elle se sentait protégée et heureuse. Heureuse par son sort et son destin et protégée par sa famille jusqu’au moment où sa famille décida de la priver de rêver.


Le tournant.

A 13 ans, la pauvre Fatma (changeant par la suite son prénom et deviendra Linda) se trouve déjà fiancée à un homme qu’elle ne connaissait ni d’Eve ni d’Adam. Dans le douar aucune fille n’ose contredire la volonté de son père et ses oncles. Elle doit obéir et obtempérer à la décision de son tuteur. L’élu mari est un homme qui a dépassé la quarantaine, marié à cinq femmes et Fatma sera bientôt la sixième épouse de ce pacha. Il est propriétaire de quelques hectares de terre fertile, une centaine de moutons et quelques vaches. Il compte parmi les riches du douar de Soudkia ; un douar perdu dans les enclaves montagneuses de l’Aurès ; un douar où la vie cesse d’exister.

Dans ce douar la vie se retire en retraite cédant sa place à une tristesse visiblement apparente sur les visages ravinés et ridés de ses autochtones par la dureté de la nature et le poids des années et s’ajoute à tout cela, un feu de braise brûlant qu’au lieu de s’éteindre il s’allume n’épargnant ni ceux qui le détiennent ni ceux qui l’entourent. Un feu qui dévaste les cœurs et les âmes avant même de s’attaquer aux biens. Un feu qui vient de semer la terreur et la peur au sein de nous, au fond de nous et partout dans tous les coins et les recoins du bled...ce feu nous l’avons bien porté en nous et nous l’avons accouché pour que nous en soyons ses victimes. L’inverse de ce qui se passe parfois avec des animaux qui nourrissent leurs bébés en tuant les plus faibles parmi eux…

En les voyant adossés aux mûrs, enveloppés dans leurs burnous ou djellaba, en été comme en hiver, entassés autour d’une vieille cafetière, on ne peut que les comparer à des morts vivants qui viennent quitter leurs tombaux au moment où le jour a pris congé ! Quand ils se quittent pour regagner chacun son petit taudis, ils se glissent comme des spectres traînant derrière eux une pauvreté qui n’a pas d’égal. Leurs faciès ravinés par une misère atroce qui dévore la chair et l’os, qui ronge l’espoir et l’espérance et qui tue le rêve et le bonheur.

Ils sont heureux par cette vie !

Peut être ils le sont ainsi pour la simple raison qu’ils arrivent à surpasser cette souffrance qui les hante depuis la nuit du temps. Une souffrance qui est devenue, à la longue, un héritage sacré, transmis d’une génération à une autre. Ils sont, tout simplement, des gens condamnés à vivre !

La grande fillette Fatma, habitué par ce décor que la vie du douar lui a imposé, elle vient depuis qu’elle est fiancée de se séparer de sa poupée. Une poupée en laine remplie de pailles, confectionnée par sa mère. Elle jouait souvent avec et la considérait comme un membre de sa famille. Cette séparation la chagrine mais elle doit vivre avec car elle est désormais femme et les femmes n’ont pas le droit de jouer. Naïve et jeune, ignore tous les malices de cette vie et l’injustice de l’univers. Elle vient juste de vivre sa puberté et de découvrir ces changements physionomiques qui font d’elle, d’ores et déjà, une femme.

Elle était choquée et effrayée quand elle a eu son premier cycle menstruel. Heureusement que sa mère lui a fait faire comprendre la chose. Dans notre société, la majorité des filles et des garçons sont confrontés au manque voire à l’inexistence d’une éducation sexuelle puisque cette dernière est considérée comme un sujet tabou et personne n’ose l’aborder publiquement. Le cas de Fatma ne fait pas l’exception. Elle doit se familiariser avec tous les changements qui peuvent survenir sur son corps et apprendre à bien se connaître et se reconnaître toute seule.

Elle se prépare pour se marier. Il lui reste uniquement quelques mois pour quitter son foyer parental et aller joindre son nouveau foyer conjugal sous le joug d’une personne qu’elle n’a pas choisi ni même connu ; elle ne sait même pas comment il est fait. Sans doute, elle va l’apprécier et l’aimer par la suite…ses sœurs, sa mère et sa grand-mère ont toutes aimés leurs maris par expérience et vie commune !

Dans le douar son nom est sur toutes les bouches et les femmes l’envient pour ce mariage car son futur mari, pour l’avoir comme épouse a donné en guise d’arrhes deux vaches et une somme importante d’argent.

Elle a deux sœurs déjà mariées. Elle est la toute dernière dans une famille constituée de cinq fils et trois filles. L’aîné de ses frères est aussi marié à une cousine et habite près de ses parents.

Au fond d’elle, elle ne veut pas se marier car elle se sent qu’elle n’est pas encore prête pour qu’elle puisse fonder un foyer, mais elle sait qu’elle ne doit en aucun cas décevoir sa famille, surtout la parole de son père. Partout en Algérie et en particulier Chez les Chaouia et surtout dans la région de l’Aurès, la femme ne peut jamais outrepasser la décision de l’homme.

Alors la pauvre est condamnée d’accepter. Elle veut calmer sa tristesse par le fait qu’elle ne peut pas être différentes aux autres filles de son douar et qu’elle doit suivre le chemin de ses aïeux sans trop poser de questions. La vie est faite comme ça et nul n’est en mesure de changer le destin et le cours des évènements.

Elle attend le jour de son mariage…

L’Inattendu.

Toute la famille est à cheval pour les préparatifs du mariage. Même Linda participe dans cette opération en préparant des gâteaux et surtout du couscous et par la même occasion, ceci va lui permettre d’apprendre à cuisiner.

Au douar, les gens sont occupés par la médiocre récolte de blé et l’orge. Cette année, le ciel n’était pas généreuse comme à l’accoutumée et la sécheresse a bien ravagé pas mal d’hectares de terres semées en automne par ces pauvres gens. En plus, les incendies perpétrés par la horde sanguinaire à l’encontre des arbres du djebel, ainsi que les vols répétés des cheptels ont paralysés ces pauvres créatures et les a appauvris jusqu’à la moelle épinière.

Malgré qu’ils paient des rançons aux traîtres à la nation de peur d’être massacrés, mais ces criminels ne ratent aucune occasion pour les harceler davantage et les dominer par leurs armes et épées.

Chacun des habitants du douar, ne veut que le fait de se réveiller le matin sain et sauf. Tous ici et ailleurs, partout là on va, les gens ont peur d’être assassinés, d’un coup de hache, d’une balle ou d’avoir la gorge tranchée par un couteau ou tabassés jusqu’à la mort. Ils ont peur que leurs filles et leurs épouses soient violées devant leurs yeux, et leurs enfants grillés dans des poêles et leurs propres femmes éventrées. Ils optent tous au silence et à l’obéissance aveugle et sans condition. Ils ont alors sous l’égide d’un nouveau modèle d’esclavagisme. Un esclavagisme qui ne fait plus appel à la couleur de la peau mais à l’arme et au crime !

Pour ces pauvres gens, les fêtes de mariage ne sont que des obligations pour assurer leurs survies et garantir la continuité de leurs races. Par contre, pour Linda, cette fête n’est rien d’autre qu’une mort à petit feu. Elle va être déracinée de son milieu, privée de son enfance et de la tendresse de sa famille, conduite de contre gré vers une autre nouvelle vie qu’elle refuse d’y vivre mais, malheureusement, elle n’a pas le droit ni de choisir ni de renoncer. Elle doit l’accepter et de vivre avec sa peine le restant de sa vie.

La date du mariage est fixée à la fin de la deuxième semaine du mois de juillet. Toute sa smala serait au rendez-vous pour l’accompagner à sa nouvelle maison.

Depuis qu’elle est fiancée, elle est privée de sortir dehors et de quitter la maison. Ce sont les traditions et les coutumes chaouis. Même chez son frère qui habite à quelques centaines de mètres de chez elle, elle n’a pas le droit de lui rendre visite !

C’est son père qui se charge de lui acheter son trousseau et doit aller se rendre à la ville à cet effet. Pour ce faire, il a pensé utile de demander l’avis de sa fille et sa mère pour l’achat des différents habits et accessoires pouvant faire l’objet dudit trousseau.

Il prend un bout de papier pour prendre note et fait appel, en premier lieu, à sa femme pour le recensement de la dot que sa fille devrait emmener avec elle, le jour de son mariage.

- Tu sais, au douar les langues sont bien tendues et nous devons honorer le mariage de notre fille. Par ces propos, le père de Linda s’adresse à sa mère. Sans faire attention à la réponse de sa femme, il continue à parler :
- Certes, on n’est pas assez riche pour lui faire grande chose mais avec le peu qu’on a, je vais essayer de sauver la face. Je ne veux pas que les gens me dénigrent et surtout je n’accepte pas que les femmes du douar prennent ma fille pour une marionnette. Je veux qu’elle soit fière de nous et que sa tête soit bien haute devant ses paires.

Il se tait un moment et avec un bout de bois, il commence à dessiner des cercles sur le sol sec, et aride. Sa femme en face de lui, le contemple. Sa main droite sur sa joue et son esprit est vraiment ailleurs. Elle ne trouve rien à dire, en plus que les femmes, par us et coutumes, ne peuvent jamais interrompre leurs hommes. Lala Aicha, la mère de Linda, fait de même et reste à l’écoute de son mari.

Cheikh Salah, revient au fil de la discussion et sur un ton triste et morne, il enchaîne ses dires :
- Je sais que notre fille est assez jeune pour fonder un foyer et je sais aussi que ma décision ne t’a pas plue, mais j’avais peur et j’ai encore peur de ce qui va se produire. On vit dans l’insécurité et comme tu sais, il ne passe pas un jour sans qu’on entende qu’une jeune fille soit enlevée de chez elle par des terroristes. Moi, j’ai peur que ma fille fasse l’objet d’un tel enlèvement. Ma décision était pour son bien. Moi aussi, j’ai de la peine pour elle d’autant plus que j’aurai aimé qu’elle mûrisse un peu plus pour pouvoir se marier. Mais je n’avais pas le choix. On vit dans un monde cruel, cruel par ceux qui le forment et cruel par son ingratitude qu’il étale sur nous. On est terrorisé à la fois par la pauvreté et par l’injustice.

- Qu’Allah soit avec nous, le console sa femme par cette phrase. Elle veut apaiser sa peine et le soutenir car elle sait que son mari souffre le martyr.
- avec tout ce qui se passe autour de nous, il m’arrive parfois de penser que même Allah nous a oublié et peut être avec tout cela, il veut nous punir et châtier !
- Non, ne te désespère pas et saches que le bon dieu nous fait ça pour savoir le degré de notre croyance et notre foi en lui. C’est grâce à sa clémence et sa miséricorde que nous sommes épargnés par les massacres des assassins. Il nous protège et nous donne le courage de résister et de garder la foi en lui.
- Tu as raison. Qu’il me pardonne pour mon ignorance !

La silhouette de Linda qui fait irruption achève cette discussion. Son père lui charge de lui apporter une tasse d’eau sans prendre la peine de lever sa tête. Elle rebrousse chemin et revient dans quelques instants. Durant ce temps, le silence a pris le dessus.

Linda, passe la tasse en inox remplie d’eau à son père et lui dit :
- A ta santé, père ;
- Merci ma fille, que Dieu te bénisse.

Elle s’adresse à sa mère sur un ton doux et plein d’amour :
- Veux-tu que je t’apporte un café, maman ? Un café comme tu le veux toujours avec une pincé de poivron dedans.
- Non, ne te fatigue pas ma fille. J’ai déjà pris deux tasses en présence de ta tante Kheira. Déjà, j’ai l’hypertension et la dernière fois le médecin m’a conseillé de ne pas abuser.
- Ah ! Les médecins nous interdisent tout par contre eux, ils se permettent tout ! Franchement, je ne crois pas trop en leurs dires, hasarda Cheikh Salah de l’autre côté. Il continue à parler :
- Un jour, ils vont sûrement nous dire de ne pas respirer de l’oxygène !
- Le médecin a raison, père. Trop de café ce n’est pas bon. L’excès dans toute chose n’est pas bien.
- En fait ma fille, demain j’irai au Souk et je veux bien savoir si tu veux que je t’achète des choses que tu en as besoin dans ton trousseau.
- Non, père. J’ai tout ce qu’il faut et ne te dérange pas pour ça.
- Je sais que tu ne veux pas me dire ce que tu veux alors tu le dis à ta mère et elle me le transmettra.

Linda s’est rougie et a pris congé.

- Elle est encore enfant ! dit le père.
- Avec le temps elle grandira, répond la mère. Tu te souviens, quand on s’est marié je n’avais que 13 ans et j’ai eu Sadek, notre fils aîné, une année après. A l’époque, je me disais que je ne pouvais pas l’élever mais au fur et à mesure, j’ai pu devenir une femme mûre et mature.
- Mais ce n’est pas kifkif. Le temps a changé et même la race humaine est devenue trop fragile à cause de la prise excessive des médicaments, l’agro-alimentaire importé, la pollution, etc. par contre, jadis on vivait dans la nature et on prenait des choses naturelles.

Le soleil commence à s’éclipser derrière les collines perdues du douar, entraînant avec lui la convivialité des diverses discussions des pauvres gens et laissant derrière lui, la peur et l’effroi de l’arrivé d’une nuit inconnue où tout pourrait y survenir !

Cheikh Salah s’appuie sur sa canne pour se soulever et Lala Aicha fait de même. Ils rejoignent tous les deux la cour de leur petit demeure, envahi par la peur et la misère.

Même les chauves-souris d’autre fois, ont quitté en masse ce douar et ne reste hélas que les corbeaux qui pleurent le désarroi et la pauvreté de ces gens. Ces pauvres gens qui sont abandonnés par le reste de la société et peut être même par l’espoir. Ils attendent en silence que les glas sonnent pour leurs ôter la vie et les épargner de cette infernale attente dans l’insécurité et l’imprévisible. Dans ce douar, on ne pleure pas les morts mais on les envie !

Le douar replonge encore une fois dans l’obscurité de la nuit et Linda replonge ainsi dans ses pensées moroses et nostalgiques. Elle pense sans cesse à ce qu’il va lui arriver une fois le mariage est consommé. Cette idée taraude son esprit et la rend triste et malheureuse. Elle n’a pas aussi peur d’être étranglée au milieu de la nuit que de se marier. Elle n’arrive hélas pas à imaginer qu’un jour elle partagera son lit avec une personne qu’elle ne connaît pas. C’est dur de faire ce qu’on n’a ni l’envie ni la volonté de faire.

Elle a peur de la nuit comme elle a peur de la venue d’une nouvelle journée qui ne fait qu’avancer le fameux jour tant attendu par la majorité des gens du douar : le jour où elle sera dans le foyer de son présumé mari !

Elle prie Dieu qu’il lui ôte la vie avant que ce jour arrive. Elle préfère que son âme et son corps soient disséminés avant qu’elle soit un objet dans les mains d’un homme qui ne voit en elle que sa chair fraîche et sera un nouvel objet dans sa nouvelle collection.

Son esprit s’obscurcit par le chagrin et la tristesse et la lourdeur de la nuit le fatigue davantage.

Avant même que les premières lueurs du jour viennent raser les sommets de montagnes qui surplombent le douar, les cris assourdissants et les hurlements jaillissants de partout, envahissent les oreilles des dormants et interrompre le silence effrayant au sein des âmes. A l’exception des noctambules et les veilleurs de nuit, tous les habitants se laissent prendre par le sommeil et oublient que le danger n’est pas loin et qui peut survenir à tout instant. Ces derniers trouvent au lit un certain soulagement et une façon d’oublier leurs misères.

Linda sursauta et se mit à debout. Elle serre fortement contre sa poitrine l’oreiller sur lequel elle était accotée. Les bruits et les cris venant de partout l’accablent et la rendent immobile et inerte comme un bloc de pierres. Figée, sur place, les yeux effrayés et le visage glacial. Son corps tremble comme une petite feuille sèche à la merci du soufflement d’un vent. Elle ne fait même pas attention aux paroles de sa mère qui l’incite de quitter la maison et de s’enfuir. Elle est paralysée et stupéfiée.

Les gens courent pêle-mêle et chacun d’eux ne cherche que de s’enfuir et ne pas être une cible aux assaillants.

A travers la porte ouverte du haouch, Linda n’aperçoit que la poussière dégagée d’en bas en haut formant dans le ciel un nuage épais et dense, et les feux qui ravagent quelques maisonnettes d’en face et s’ajoute à cela, les cris des habitants décrivant facilement l’atrocité de l’événement.

Suffoquée par ce paysage cruel, elle veut courir mais ses pieds le déçoivent, alors elle renonce à la fuite et se met à pleurer. Ses parents ont déjà quitté la maison.

Le calme vient progressivement régner sur l’atmosphère horrible de ce douar perdu entre les hautes montagnes de l’Aurès. Les gens qui ont été entassés dans un ravin à quelques centaines de mètres de chez eux, regagnent leurs maisons après que les criminels sont partis laissant derrières eux des maisons incendiés, des objets cassés et tout le douar est complètement saccagé. Même les parents de Linda regagnent leur haouch et leur stupéfaction était très grande en voyant que leur fille n’a pas bougé et est restée à l’intérieur.

Ils ont essayé de lui parler mais en vain, elle ne parle plus et tout son corps tremble.

Elle est restée dans cet état un peu plus d’une semaine pendant laquelle elle ne parle pas, évite de manger et dors rarement. Elle passe toute la journée à regarder le ciel et à verser des larmes sans pour autant pleurer !

La plupart des habitants du douar ont décidé de partir ailleurs, d’aller s’exiler et chercher leur gagne pain sur d’autres cieux. Certes, l’acte perpétré par les assaillants n’était rien d’autre qu’un message aux gens pour qu’ils se soumettent aux ordres et d’obéir pleinement aux envies de ces terroristes et toute personne contrevenante paiera les yeux de la tête. Néanmoins, les pauvres gens de ce douar n’ont plus la force de revivre une autre nuit pareille d’autant plus qu’ils savent bien qu’il n’y ait personne pouvant leurs apporter secours. Ils décident alors de partir…

Quant au père de Linda, il ne veut pas se déraciner et s’exiler loin de son douar natal. Il n’accepte pas l’idée de quitter ses terres et ses biens pour aller s’aventurer dans un endroit qu’il ne connaît pas. Il préfère vivre la peur continue et la sauvagerie ici, dans son patelin que de vivre la misère autant que étranger !

Lala Aicha a trop insisté pour qu’il change d’avis mais hélas ! Son caractère de chaoui et têtu a pris le dessus.

Le douar commence par se vider des quelques familles qui l’habitent. Il devient identique à un cimetière juif dévasté par les nazis et raviné par le temps.

Durant cette période cruciale au douar, le père de Linda voit impératif d’avancer la date du mariage de sa fille pour qu’elle puisse être épargnée d’un acte d’enlèvement au cas où les terroristes refassent irruption une autre fois.
Le futur mari ne voit pas d’inconvénient quant à la proposition du père de Linda, bien au contraire cette idée l’enchanta beaucoup.

Par contre, la pauvre terrorisée ne sait plus quoi faire !

Elle pense que même mariée, la peur ne serait pas écartée et elle pourrait être massacrée par les agresseurs de la dignité, de l’honneur et de la chair.

Ce qui peut vraiment l’épargner de cette peur interminable, c’est de partir vivre ailleurs.


Il fait très noir. Dans cette obscurité aveuglante Linda arrive quand même à faufiler entre les arbres et faire un chemin parallèle au petit oued car elle sait que le premier village voisin commence juste à la fin du oued. Elle a peur beaucoup plus d’être rattrapée par sa famille que par la noirceur que la nuit affiche. Tout est calme. Sa confiance à la nuit est due au fait que durant la pleine nuit personne n’ose s’aventurer dehors, ni les bailleurs de sang, ni les forces de l’ordre, sans citer les simples citoyens qui se cachent dans leurs maisons comme des bêtes détraquées.

Elle fonce dans le noir et quitte son douar pour une destination imprévisible. Elle ne sait pas encore où aller. Elle veut tout simplement être dans un endroit où personne ne la connaîtra pas.

Comme il fait chaud, elle a préférée être légère et ne rien porter avec elle durant sa fugue. Elle n’a de bagages que la robe qu’elle porte et la pair de sandales aux pieds ainsi que une petite somme d’argent qui ne lui permet même pas une nuit dans un hôtel de troisième choix.
lire la suite prochainement!!!
nad34
Envoyé le :  30/3/2007 15:16
Plume de diamant
Inscrit le: 27/2/2007
De: languedoc roussillon
Envois: 12223
Re: La honte
Quelle cruauté que cette vie!on a pas idée lorsqu ' on ne connait ni le pays ni les véritables coutumes cachées de ces traditions!j 'ose imaginer la suite d'aprés le début de cette histoire;c 'est trés bien écrit je ne me suis lassée à aucun moment et dire que certaines femmes vivent cela tous les jours!!bravo pour ce récit,on arrive à le vivre tout en le lisant:j 'en ai la chair de poule!!
lilo
Envoyé le :  31/3/2007 18:52
Plume de platine
Inscrit le: 10/2/2007
De:
Envois: 3851
Re: La honte
Elle le caresse comme un bébé et commence à lui parler. Il se laisse aller docilement et sous l’effet de la douceur et la tendresse, finira par dormir.

le tableau est très joli.


Les pieds croisés et la tête toujours pensive. Par une main tient sa cigarette et par l’autre caresse ses longs cheveux. C’est sa façon de se méditer !

On l'imagine très bien.
Cette histoire est triste et prenante,criante de vérité et
je serai au rendez vous pour lire la suite.
Merci.


----------------


Bonjour à toi et bisous.


Nidne
Envoyé le :  1/4/2007 9:19
Plume d'argent
Inscrit le: 20/3/2007
De:
Envois: 498
Re: La honte
Merci d'avoir pris la peine de me lire et m'evoyer ton commentaire! Oui c'est sûr, la vie est très dure et cruelle. Cette histoire est tirée de la vérité et si j'ose dire elle ne montre que la partie supérieure de l'iceberg car la réalité de la cruauté surtout vis-à-vis de la femme est plus pénible et cruelle que cela! Enfin, merci et j'espère que tu vas me lire la suite! A bientôt!
Nidne
Envoyé le :  1/4/2007 9:22
Plume d'argent
Inscrit le: 20/3/2007
De:
Envois: 498
Re: La honte
Merci lilo! merci pour le fait d'avoir pris la peine de me lire et de me transmettre ton commentaire! Oui, je serai au rendez-vous avec la suite et j'espère que le récit va te plaire! A bientôt!
anonyme
Envoyé le :  1/4/2007 13:11
Re: La honte
tres beau texte qui reflète bien la condition de la femme dans certain pays . j attends la suite
Nidne
Envoyé le :  2/4/2007 9:12
Plume d'argent
Inscrit le: 20/3/2007
De:
Envois: 498
Re: La honte
Merci pour votre soutien et vos commentaires! Vous êtes sympas!
Nidne
Envoyé le :  2/4/2007 10:37
Plume d'argent
Inscrit le: 20/3/2007
De:
Envois: 498
Re: La honte
Merci Roky pour ton commentaire! J'espère que tu vas apprécier la suite de la suite! à bientôt!
Par conversation | Les + récents en premier Sujet précédent | Sujet suivant |

Enregistrez-vous pour poster