L'Ère Nouvelle

- " Grand-père, grand-père, raconte-moi une histoire avant que j'aille au lit !
- Une histoire, Pierrot ?
- Oui, parle-moi de ton enfance, quand tu avais mon âge !
- Comme tous les soirs, alors... Tu aimes ce feuilleton du passé ! Soit. Où en étions-nous ? Ah oui ! Tu te souviens que la vie avait beaucoup changé dans la Cité Heureuse, suite à la prise de pouvoir du Maître des Émotions ?
- Oui, oui, qu'est-ce qui s'est passé après ?
- Le nouveau Règne du Bien ? Notre existence s'était bien améliorée, pour mes parents et pour moi. Le nouvel ordre du monde permettait à tous de coexister pacifiquement. Les populations ne se déplaçaient plus à la surface du globe, les guerres avaient disparu, la pauvreté s’était éteinte. Chacun travaillait dans de vastes fabriques, dix heures par jour et sept jours sur sept.
- Mais toi, Papy ? Comment tu passais le temps ?
- Oh ! j'étais un petit garçon bien sage, qui aimait beaucoup ses parents. Ces derniers travaillaient tous les deux à l'Usine de Conditionnement de l'Accolade, ils étaient appréciés par le contremaître. Et moi, j'allais à l'école.
- Comme moi ?
- Mais oui, comme toi, mon petit.
- Quelle est la matière que tu préférais ? Moi, c'est l'enseignement du Rite. Ça permet de ne pas faire de bêtise, c'est important. Il y a beaucoup de Gardes du Bien-Etre dans la rue, il ne faut pas faire de gaffe.
- Tu as raison, Pierrot. Personnellement, j'aimais beaucoup l'entraînement au "Pleure ou meurs".
- Qu'est-ce que c'était ?
- C'était une discipline qui a disparu dans les nouveaux programmes. Il s'agissait de verser des torrents de larmes au commandement. L'ordre donné était "Pleure ou meurs". Une matière très utile, mais il fallait prévoir les mouchoirs. Mes camarades et moi en versions, des larmes ! C'était à qui se mettrait à pleurer le premier. Le professeur félicitait publiquement le gagnant pour son empathie. Je remportais souvent le prix, j'avais de très bons réflexes.
- C'était utile dans la vie de tous les jours, Papy ?
- Bien sûr, cela permettait d'échapper au châtiment suprême infligé par les Gardiens de la Convivialité, qui patrouillaient dans les rues. Une balle dans la tête si l'on n'obéissait pas sur le champ à l'injonction. Un très bon test qui permettait de s'assurer que chacun était conscient de la nécessaire compassion à déployer en cas de malheur survenu à autrui.
- C'est vrai, c'était super, comme matière, mais maintenant, on a encore mieux !
- Ah oui ? Dis-moi tout, Pierrot !
- Il y a l'entraînement pratique au Cérémonial de la Fraternité.
- En quoi cela consiste ?
- Il faut serrer un maximum de mains en un minimum de temps. Là aussi, le gagnant est récompensé. Mais le perdant est puni pour son manque d'intérêt pour autrui. Le châtiment va jusqu'à lui couper un doigt.
- Un seul ?
- Oui, un seul doigt, c’est peu. Bon, ça se comprend, il faut garder les autres pour le service de notre pays, la Nation Amicale.
- C'est très bien pensé !
- En effet ! Bien sûr, il y aussi les châtiments corporels pour ceux qui manquent d'enthousiasme. Ce n'est pas mon cas, moi, je réussis très bien !
- Bravo, Pierrot ! On peut se féliciter de vivre dans un pays aussi évolué, avec des règles fermes mais justes et des enseignements qui nous guident dans la bonne direction, hier comme aujourd'hui.
- Oui, Papy, comme dit le Rituel, "chacun à sa place, le Maître des Émotions au sommet".
- Félicitations, mon petit, tu as bien appris ta leçon. Allons, il est temps de dormir à présent. Tu as une longue journée d'école demain. Passe une bonne nuit.
- Merci, Papy, toi aussi, dors bien ! « Le Maître des Émotions veille sur nous ».
- « Que la Paix du cœur soit en nous et celle de l’âme aussi. Qu’il en soit ainsi pour l’éternité » ".

FIN