Le lendemain matin, Alois de Braubach, en maître des lieux, affichait une mine épanouie car, lorsque sa virilité faramineuse avait pu être étanchée, les choses apparaissaient d'une manière plus joviale à sa nature gaillarde...
Ils se délecta d'épaisses tranches de pain noir sur lesquelles on avait versé un potage gras parsemé de légumes et de lardons, accompagnées de lait cru...
Il rencontra sa bienheureuse épouse qui donnait ses indications aux dames de sa suite...
Elle était accompagnée de sa soeur cadette, la marquise Hildegarde d'Epstein...
Après les salutations d'usage ils décidèrent tous les trois d'aller voir où en était l'édification de la chapelle qui allait servir de mausolée pour contenir le corps défunt de Charlotte de Feutchwangen, leur malheureuse nièce, celle qui était tombée des remparts...
Pendant qu'ils s'y rendaient à travers un dédales d'allées et de jardinets, et alors qu'il les suivait, le grand personnage pouvait comparer le port altier de son admirable belle-soeur et l'allure insignifiante de celle qu'il avait dû épouser et avec qui il avait eu néanmoins des enfants beaux et radieux ...
Lorsqu'ils arrivèrent sur place ils s'immobilisèrent pour contempler le spectacle offert par les travaux qui en étaient à leur finition... Des sculpteurs sur pierre martelaient anges et angelots de façon à rappeler, à ceux qui viendraient se recueillir, le prix qu'il faudrait accorder à l'âme de celle que l'on avait ensevelie ici …
Après que des échanges eurent lieu sur l'avancée des travaux, les trois arrivants se recueillirent pour prier et se rappeler leur nièce défunte...
Pendant que ces personnes éminemment émues se recueillent il est bon d'évoquer les faits qui ont put amener une jeune personne d'environ dix-huit ans à ce destin malheureux...
Charlotte était une jeune personne un peu naïve, fraîche et étourdissante qui pensait rencontrer un jour le Prince Charmant... Son voeu se réalisa lorsque le Prieur de Lammerling s'intéressa à elle. Sa charmeuse beauté la subjuga et il n'eut aucun mal à l'amener jusqu'aux dernières extrémités d'une aventure amoureuse.
Le Père Abbé qui, par une indiscrétion apprit la chose, menaça son second de rejet dans la honte et le déshonneur...
Alors, à sa surprise, il se vit benoîtement proposer par ce dernier un odieux marché.
Le scélérat, pris de court, se faisait fort de rendre la jeune fille consentante pour avoir avec le vieil Abbé un commerce charnel réparateur...
Comme il connaissait l'appétit concupiscent de son supérieur, le rusé Prieur n'eût aucune difficulté à le convaincre de se rassasier d'une proie facile...
Malheureusement, au moment crucial, les choses tournèrent mal car la jeune fille, réalisant soudainement son erreur, se défendit tant et si bien que cela tourna à un abus sur sa personne par le vieux prétendant, dont elle ne put se remettre.
Ce tourment qui la poursuivait, la fit se précipiter, une nuit, du haut des remparts du chateau de son illustre parent le Landgrave... Elle le fit non sans avoir omis de décrire auparavant son acte désepéré dans une lettre explicite à sa tante Hildegarde d'Epstein où elle l'informa sur le comportement délictueux de l'abbé...
Le Landgrave prit des dispositions pour maquiller le suicide en accident afin que l'église puisse accepter des obsèques religieuses et il demanda à sa parente de tenir un secret sur cet agissement infâmant...
Mais revenons chez le Burgrave...
Malgré la présence d'Edda et les sollicitations d'entraînement intensifs qui lui étaient proposés, Robert Essen commençait à s'importuner entre les murailles de cette gigantesque bâtisse...
Il avait beau faire galoper son cheval sur les immenses terres alentour, découvrir des paysages inconnus de lui qui le ravissaient, l'hiver approchait et il se demandait s'il ne serait pas condamné à le passer dans ces lieux qui lui étaient somme toute étrangers...
Pourtant une nuit tout changea...
Alors qu'il dormait il entendit des chuchotement discrets à sa porte et cela suffit à le mettre sur pied... Il ouvrit et se trouva face à une individu bien charpenté, entièrement vétu de noir et qui portait sur la figure un masque qui laissait entrevoir des yeux obscurs et scintillants...
-“Ab imo pectore Ab irato Ab origine fidelis"... prononça-t-il
Et le jeune chevalier comprenant qu'il pouvait le suivre, répondit :
-" Absit omen "
-"C'est bon... fit l'autre et il se couvrit d'un grand manteau noir, que portait un serviteur qui devait lui être attaché, et en donna un autre même au jeune Comte...
Celui-ci mit ses bottes et prit tout ce dont il avait besoin puis d'engagea dans le couloir derrière cet inconnu...
Les deux hommes, couverts et encapuchonnés se rendirent aux écuries où ils prirent deux chevaux noirs... Comme Robert protesta, préférant le sien, l'autre l'obligea à suivre les consignes car seul ce cheval pourrait savoir le ramener du manoir d'où ils allaient aller à sa destination initiale...
Robert comprenait qu'il entrait dans une organisation secrète parfaitement concertée qui avait magnigancé toute une opération dont il n'était qu'un des maillons...
Venant de l'Ordre Teutonique qui l'avait formé à ce genre de discipline, sauf le mystère qui semblait régner sur l'ensemble de cette action, rien ne l'impressionnait vraiment...
(A Suivre...)
