Quand chaque matin l’hôtesse
Annonce l’embarquement d’Eurostar
Je reste assis sur la banquette de pierre.
La foule se précipite, comme ayant peur
Que le train parte sans elle,
Se pressant aux portes et dans les escaliers Ă©troits.
Je reste sur place et je regarde défiler
Tous ces visages, dont certains sourient,
Béats d’autosatisfaction à la mode,
D’autres fermés, crispés, comme prêts à mordre.
Pratiquement jamais un sourire franc dans cette mêlée.
Au passage, ils me jettent un regard
Aux mieux méprisant, au pire presque haineux :
« Qu’est ce qu’il fait, ce gros fainéant, à rester là ?
Il ne sait pas se remuer, s’agiter frénétiquement
Comme nous tous, nous les moutons de Panurge ? ».
J’attends patiemment que cette horde soit tarie
Et se soit précipitée pour faire la queue
Dans les couloirs, les escaliers bondés,
A la porte des voitures qui vont rester à moitié vides.
Je suis arrivé en avance, pour éviter la foule
Aux contrôles d’identité et bagages,
Corvées quotidiennes incontournables.
Je me lève enfin, le hall est vide,
Les couloirs sont libres, les escaliers aussi.
Je marche sans me presser jusque la voiture cinq
Qui ne correspond pas à ma place réservée,
Mais plus proche de la sortie arrivé à destination.
Tout le monde est déjà assis. Je choisis calmement ma place,
Salue les collègues naufragés de cette ligne
Qui, tous les jours, comme moi, rament avec les retards.
Eux seuls sont capables d’un vrai sourire,
Mais cela fait douze ans qu’on se voit tous les jours.
Je m’installe, sors, une feuille et un crayon
Et j’écris. Le paysage défilant à trois cent à l’heure
Ne m’intéresse plus que le soleil levant, par neige ou gel,
ou au printemps, quand les couleurs changent.
J’écris ces mots que vous lisez maintenant.
Ils me ramènent un peu de paix et de calme
Et je me dis que j’ai de la chance. En plus du métro,
Je n’ai pas à subir les trains de banlieue où on s’étouffe
Comme des sardines, à peine respectés comme humains.
Chronique quotidienne et banale d’un navetteur privilégié.
Le 22 janvier 2009
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Science sans conscience n'est que ruine de l'âme (Rabelais)