LE PILIER
Il a fait l’ouverture et sortira dernier…
C’est ainsi chaque jour. Il fait de longs voyages…
Sûr, dans une autre vie, il était tavernier.
Il le conte souvent dans d’affreux bafouillages.
Ses mots mêlés d’alcool s’enroulent à sa langue
Et son palais renvoie comme un galimatias…
Son navire s’échoue aussi souvent qu’il tangue
Et tous ses verres bus sont des « Déo gratias ».
Son île est juste un zinc où il refait le monde,
Ses cartes sont faussées, auréolées de rouge.
Dans ses yeux délavés quelque chose d’immonde
A fixé son regard qui plus jamais ne bouge.
Dans sa tĂŞte il entend des chansons de marins
Entrecoupées des cris de putains outrancières
Dont les seins sont offerts, mamelons ivoirins,
Aux lèvres assoiffées de ces chairs nourricières.
Ses mains ne s’ouvrent plus, s’accrochant à son verre
Dont il vise le fond. Chaque jour il y plonge.
Sa vérité s’y cache. Il y croit, persévère,
Et se moque pas mal de savoir qu’il s’y ronge.
……..
Quand soudain une mouche est venue amerrir
Pataugeant, éperdue, dans son nectar d’oubli.
L’alcool et les vapeurs vont la faire périr.
Ses yeux l’ont remarquée qui nage et s’affaiblit.
Sa main tremblante alors, lance un doigt maladroit
Dans le liquide amer dont l’homme se nourrit.
La mouche s’y cramponne, salvatrice paroi.
Il la pose en douceur…. Son visage sourit.
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Christian RAY avec Michel Drucker et Patrice Laffont