Et le voici tout seul, souverain face au vent,
Bercé par les étés, givré par les hivers,
Depuis cent ans déjà , il voit les mêmes champs
Et les mêmes labours et la même misère.
Tous ceux qui l’ont connu au temps de sa jeunesse,
Aïeules et aïeux, aujourd’hui disparus,
Témoins de son passé admiraient sa richesse
Et son tronc si noueux et ses rameaux feuillus.
Sa force tranquille présidait aux récoltes
Et la mousse, à son pied, ménageait un doux lit
Aux amants qui gravaient leurs amours, désinvoltes,
Que son ombre veillait dans la paix des midis.
A l’automne, quand l’or maquillait son feuillage
Et que s’ébouriffaient les nuages pressés,
Il écoutait les mots que les oies de passage
Lui murmuraient, tout bas, avant de le quitter.
Quand l’hiver se prolonge en frissons obstinés,
Ses rameaux, transpercés par les glaives du vent,
Se tordaient, décharnés, comme des barbelés
Que le givre a figé dans l’étau de ses dents.
Au printemps, ses bourgeons, sous la douce lumière
D’un soleil aguichant, se déployaient, heureux,
Il contractait ses nœuds comme autant de paupières
D’où s’écoulait la vie, comme larmes des yeux.
De mes doigts, de mes mains, j’en caresse l’écorce
Et j’enlace ce tronc qui se fond dans la terre,
Il me donne sa sève et m’imprime sa force
Et pénètre mon âme et l’emplit de lumière.
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(c) Antigone
"L'amour, ce n'est pas se regarder l'un l'autre, c'est regarder ensemble dans la même direction" (Antoine de Saint-Exupéry)