Jeanne Anicet but une gorgée de vin. Elle joua un moment avec le verre de cristal avant de le poser sur la table ronde du café-restaurant qu’elle fréquentait. Le verre était pratiquement vide et la bouteille de beaujolais à moitié pleine. L’alcool l’enivrait et elle se sentit légèrement euphorique. Elle posa sa joue gauche dans la paume de sa main et les coudes sur les bords de la table. Elle était mélancolique, perdue dans ses pensées. Elle portait une chemise blanche à longues manches sur un pantalon jean et avait noué ses cheveux en arrière ce qui faisait ressortir son visage juvénile et rond, un léger poupin.
-Il ne viendra pas, se dit-elle. Elle avait commandé la bouteille de vin pour qu’ils la boivent à deux ou trois selon qu’il vienne avec un ami ou pas. Elle avait attendu puis avait entamé la bouteille de vin. Elle n’avait pas l’habitude de boire mais depuis qu’elle l’avait rencontré, il l’avait entraînée, soirée après soirée à boire de l’alcool. Elle n’était pas alcoolique mais ne se refusait pas de bonnes rasades de vin.
Un homme, à une table à côté, griffonnait un dessin sur un papier. Il levait les yeux sur elle puis penchait la tête sur le côté et s’activait sur sa tâche. Du coin de l’œil, elle le vit griffonner puis gommer. Elle le vit se lever, ramasser sa feuille de dessin puis prendre une immense chemise verte en carton comme en ont les étudiants en beaux-arts. Il se dirigea vers elle et posa le dessin devant elle, sur la table ronde. Elle se reconnut aussitôt, l’air mélancolique, les coudes sur la table, le verre de vin pratiquement vide et la bouteille de Beaujolais à moitié pleine.
-Mais c’est moi ! dit-elle.
-Oui, répondit l’étudiant en beaux arts. Je n’ai pas pu résister à croquer ce dessin de vous, perdue dans vos pensées et un tantinet mélancolique. J’ai l’habitude de dessiner tout ce qui m’entoure. Tenez, je vous le donne !
Elle lui fit un grand sourire et s’empara du portrait. L’étudiant s’en alla. Une grande joie illumina le visage rond de Jeanne Anicet. Elle se sentit heureuse de trouver tant d’attention et de gentillesse chez l’artiste.
-Et puis tant pis s’il ne vient pas, dit-elle en finissant sa bouteille de vin et en songeant à son rendez-vous. Elle quitta le bar, droite dans ses bottines. Elle trouverait son amant chez lui et entamerait la nuit blanche qui s’annonçait.

Le hasard fait bien les choses, il a même bien inspiré ce jeune homme
Au moins l'attente de Jeanne ne fut pas pour rien

Merci pour cette agréable lecture

Amitiés

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Ce n'est pas pour devenir écrivain qu'on écrit , c'est pour rejoindre en silence cet amour qui manque à tout amour .
Christian Bobin