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Histoire de Sindbad le Marin (Cinquième voyage)
Histoire de Sindbad le marin (Prélude) Histoire de Sindbad le marin (Premier voyage) Histoire de Sindbad le marin (Deuxième voyage) Histoire de Sindbad le marin (Troisième voyage) Histoire de Sindbad le marin (Quatrième voyage)
Cinquième voyage de Sindbad le marin
Les plaisirs, dit Sindbad, de ma sombre mémoire Effacèrent toutes ces sinistres histoires. Je ne songeais plus aux maux que j’avais soufferts, Attiré par ce gouffre immense qu’est la mer, Tous ces périls ne me rendirent point sage. Je voulais de nouveau partir en voyage Pour voir d’autres terres et pour m’y aventurer ; Par les flots bourreaux mille fois torturé, Sans me repentir de leurs caresses furieuses Et de courir toujours les mers périlleuses, Je fis même construire un vaisseau fort somptueux, Achetai des marchandises, et plus impétueux Que les autres fois, j’en fus le capitaine Et me préparai à braver la mer hautaine Avec d’autres marchands comme moi décidés. Nous prîmes le large, par le zéphyr aidés, Tout à notre voyage semblait fort propice, Le vent sans violence et la mer sans artifices.
Nous arrivâmes après longue navigation A une île dans la plus complète désolation Qui était fort belle, mais qui était déserte. Les marchands virent, la bouche de surprise grande ouverte, L’œuf blanc d’un Roc, d’une formidable grosseur, Qui renfermait, dans ses ténébreuses profondeurs, Un petit Roc et qui allait bientôt naître Car son bec aiguisé commençait à paraître. Les marins, qui avaient faim, songèrent un moment Et cassèrent l’œuf à coups de haches, véhéments, Y firent une ouverture par où ils sortirent Le petit Roc sanglant, qu’ensuite ils rôtirent Malgré mes conseils et mes avertissements. Ils tombèrent bientôt dans un doux affaissement Après qu’ils eurent tous dîné de la sorte, Et moi, connaissant le Roc, je restais alerte Sur mon vaisseau, tremblant et n’osant point bouger. Les dîneurs finissaient à peine de manger Quand ils virent en l’air deux immenses nuages Qui poussaient affreusement des cris emplis de rage. C’étaient le père et la mère du Roc. Je pressai Ces marchands de revenir à bord, et me lassait De les attendre. Les deux nuages disparurent Et les marchands jusqu’au vaisseau coururent. Les deux Rocs revinrent rapidement, et armés. De deux énormes pierres, nous les vîmes, alarmés, Sur nous faire tomber la première. Avec adresse Je l’évitai. Mais la deuxième en mille pièces Brisa le navire, dont les hardis passagers Furent tous écrasés et furent submergés En poussant de grands cris. Submergé moi-même, Je m’accrochai à une pièce du débris, et blême, Je nageai, par les flots de tous côtés frappé, Jusqu’à une île au rivage fort escarpé.
Fatigué de nager, je m’assis sur l’herbe. L’île où je me trouvais était si superbe Que je crus être dans un jardin délicieux Qui était sur terre ce que l’éden est aux cieux. Je voyais des ruisseaux d’une eau douce et claire Et des arbres chargés de fruits faits pour plaire Autant par leur odeur que par leur curieux goût. Le soleil était fort, le zéphyr était doux ; Je mangeai et je bus, et la nuit venue Je ne pus m’endormir dans cette île inconnue Qui, malgré ses beautés, m’emplissait de terreur. Je m’occupai seulement à gémir de douleur Et me reprochais mon éternelle imprudence En me souvenant de ma douce résidence, De la patrie, de tout ce que j’avais laissé, Et, rongé par les maux, de mon bonheur passé.
Le jour vint. Ses blanches lueurs dissipèrent Subitement mes chagrins. Dans cette île prospère Je continuais à marcher, lorsque, hagard, J’aperçus sur le bord d’un ruisseau un vieillard Qui gémissait à cause de sa décrépitude. Je plaignis sa faiblesse et sa solitude, Il inclina la tête quand je le saluai Et malgré toutes mes questions resta muet, Me demandant, quand il fit signe avec sa gaule, De lui faire passer le ruisseau sur mes épaules Pour qu’il allât cueillir avec mon aide des fruits. Je le fis promptement, de son dessein instruit, Et remarquai que son étreinte était puissante. Quand je me baissai pour aider sa descente, Cet affreux vieillard, qui me parut décrépit Et qui allait pourtant me priver du répit, Devenant tout à coup vigoureux et ingambe, Passa autour de mon col ses deux fortes jambes Et sur mes épaules se mit à califourchon Et il me dit ce seul mot sinistre : « Marchons ! » La peau de sa jambe semblait celle d’une vache, Elle me serra la gorge puissamment, sans relâche, Avec tellement de force, que je m’en évanouis. Quand je m’éveillai, il n’était point encor nuit ; L’incommode vieillard qui élut domicile Sur mes épaules, comme sa monture docile Me chevaucha tout le jour, sur mon col pliant Ses jambes décharnées, fardeau humiliant. Quand la nuit venait, ce vieillard impitoyable Ne s’endormait que peu. Je dormais, rendu faible Par le travail qu’il me faisait faire en marchant Toute la journée, pour qu’il se nourrît cherchant De bons fruits à manger, m’en laissant une partie Pour que je restasse en vie, bête assujettie A tous ses commandements et à tous ses désirs Qu’il maniait, sinistre cavalier, à loisir.
Portant ce diable qui tout le temps vocifère, Malgré tous mes efforts je ne pus m’en défaire ; Tout léger qu’il fût, sa vigueur le rendait lourd Et à toutes mes plaintes il demeurait si sourd Que je le crus fait de bronze ou fait de marbre. Il allait ainsi sur mon dos d’arbre en arbre Et cueillait les meilleurs fruits, sans qu’il s’inquiétât En mangeant goulûment, de mon tragique état. Un jour, je trouvai en mon chemin des calebasses Tombées d’un arbre, j’en pris une assez grosse Et je l’emplis du jus de raisins compressés Que sur cette île je vis abondamment pousser. Je la mis en un lieu où je me fis conduire Quelques jours après, qui suffisaient pour produire Du vin, par le vieillard qui me vit, ébloui, Après quelques gorgées tellement réjoui Que je chantai et je dansai. Il me fit signe De lui donner à boire. Cette superbe vigne Avait des raisins dont le vin est excellent ; Le vieillard, trouvant le breuvage succulent, L’avala prestement jusqu’à la dernière goutte. Il s’enivra et ne m’indiquait plus la route Que je devais prendre, et je l’entendis pousser De prodigieux cris de joie, et se trémousser Sur mes épaules. Les vapeurs lui cachèrent Sans doute la vue, ses jambes se relâchèrent Et je sentis qu’il ne pouvait plus me serrer. Je le jetai par terre et je cessai d’errer Et, plus violent que la houle et la tempête, Pris une grosse pierre et lui en écrasai la tête.
De ce maudit vieillard finalement délivré, Par la joie plus que le vin j’étais enivré. Je marchai vers la mer et je vis descendre Des marchands d’un navire, qui venaient pour prendre Avant de repartir, quelques rafraichissements. Ils m’écoutèrent tous avec éblouissement En m’affirmant que nulle proie de ce vieillard traître Ne se libéra quand il s’en rendit maître. « Ce vieillard à l’esprit sombrement déréglé, Me dit le capitaine, a déjà étranglé Maints et maints braves. Les voyageurs l’appellent Le vieillard de la mer. De ses jambes cruelles Vous avez sans doute sauvé mille marins. » La mer était calme et le vent était serein, Après avoir dîné, nous appareillâmes Et au port d’une grande ville nous abordâmes Après quelques jours en mer, passés sans hasards, Où nous fûmes joyeux, éloquents et musards.
Un marchand du vaisseau, d’une voix amicale Et voyant que j’étais encore très pâle, Me conduisit dans un logement hospitalier Aux étrangers comme moi et aux oubliés. Il me donna un grand sac et me dit : «Ramasse Comme les autres marchands que tu verras sur place Des cocos, et tu vas gagner beaucoup d’argent. » Je le remerciai et partis avec ces gens. Nous arrivâmes à une forêt fort épaisse Dont les arbres étaient si hauts, aux troncs si lisses, Qu’on ne pouvait cueillir leurs fruits, notre métier. Les marchands, réunis autour des cocotiers, Ramassèrent des pierres et les lancèrent aux singes Irrités de notre commerce qui dérange Leur quiétude, voulant ne point être visités, Ils cueillirent des cocos ; pleins d’animosité, Ils nous les lancèrent à leur tour. Nous en remplîmes Nos sacs vides, et après quelques heures nous partîmes Contents de ce butin que nous avions gagné. Le bon marchand me dit, après avoir daigné M’aider de la sorte : « Travaille et continue Jusqu’à ce que tu gagnes la somme convenue Pour rentrer à Bagdad. » Et je le remerciai Une deuxième fois, parce qu’il se souciait Du sort d’un voyageur las et misérable. Je gagnai bientôt une somme considérable En vendant mes cocos et en les échangeant Contre d’autres biens, en buvant et en mangeant Fort peu. J’attendis d’un navire l’arrivée Et mes affaires étaient sur cette île achevées. Quand il arriva, de l’homme qui avait songé A m’aider, j’allai prendre en l’étreignant congé Et je me mis en route avec grande confiance. Par l’île où le poivre croît en abondance Nous passâmes, et aussi par l’île de Comari Qui était un austère et magnifique abri Dont les habitants se firent une loi inviolable De ne jamais servir le moindre vin à table Et de ne souffrir nul lieu de débauche caché. Avec d’autres marins nous allâmes pêcher Sur cette île ensemble de précieuses perles Et j’en devins plus riche, car moi qui vous parle J’en chassai de très grosses. A Bagdad arrivé, Les pauvres de mes gains ne furent point privés, Et pour remercier Dieu je fis de grandes aumônes. » Sindbad se tut et, âme généreuse et bonne, Au porteur donna les cent sequins, l’invitant A revenir, ainsi que les convives l’écoutant Avec émerveillement et surprise fort grande Et à qui il fit de bienveillantes offrandes.
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